Le 8 février 1832, Ruskin reçoit pour son anniversaire un livre illustré par Turner. Le jeune garçon n’a que treize ans, mais la passion qui prend naissance ce jour-là ne s’éteindra jamais. Il en sortira un texte unique, flamboyant, proliférant, sans cesse repris, jamais achevé : Modern Painters / Les peintres modernes. Entrepris pour défendre Turner contre ses détracteurs, poursuivi sur une période de dix-sept ans, il donne du peintre une image de plus en plus riche et complexe.
Traduction et présentation de Philippe Blanchard.
Voici publiées les parties les plus représentatives de ce chef-d’œuvre du romantisme anglais, où Turner apparaît tour à tour comme un observateur scrupuleux de la nature, un poète et un prophète de la décadence du monde industriel.
La lecture de Ruskin reste la voie royale pour accéder à la peinture de Turner.
La méthode de Ruskin fait en effet une place de choix à la sensibilité, car montrer la supériorité de Turner comme chantre de la nature, c’est d’abord constater la consonnance entre ses tableaux et la vision de l’écrivain, telle qu’elle s’exprime dans les pages du journal et dans les textes descriptifs qui ont constitué une large part de la réputation de Ruskin. Ce n’est qu’ensuite que les références scientifiques viennent servir de caution à cette communion des sensibilités. En sens inverse, après avoir servi de modèle au dessinateur, Turner sert de norme au spectateur ; après avoir traduit ses émotions, il les canalise et offre une référence à son regard : d’un tableau de Turner on dira que « c’est la nature », et d’un spectacle naturel que « c’est un Turner ». La vertu du regard de Ruskin, son acuité, est le reflet de la vertu de la main de Turner, son exactitude. Le critique et l’artiste concélèbrent l’office du visible.
Les Peintres modernes obéissent donc à un besoin de totalisation permanente — de connaissances toujours plus riches, d’une expérience jamais achevée — qui fait de Ruskin un « commentateur de l’infini ». Et ce besoin prend une double forme : enseignement et prédication. À ce moment de sa carrière, Ruskin trouve dans son livre une estrade et une chaire. Par la suite, il montera pour de bon à la tribune donner les conférences qui seront les chapitres de ses livres futurs.
C’est peut-être comme apologiste du regard que Ruskin a le plus à nous dire quand il nous parle de Turner. Écrire sur l’art, c’est d’abord faire droit au regard : « voir clairement, c’est à la fois la poésie, la prophétie, la religion ».
Les auteurs
John Ruskin est un écrivain, poète, peintre et critique d’art britannique né en 1819 à Bloomsbury (Londres) et mort le 20 janvier 1900 à Coniston (Cumbria). Parmi ses ouvrages, on compte Modern Painters (Les Peintres modernes, dont une première version parut en 1843), The Stones of Venice (Les Pierres de Venise, 1851), ou encore Sesame and Lilies (Sésame et les lys, 1865, dont Marcel Proust se fit le traducteur en français).
Presse
L.B.K., Lexnews
Gérard-Georges Lemaire, Visuelimage
Christian Ruby, nonfiction.fr
De Penelope Carnet, sur son compte Instagram :
Je suis éblouie par la fougue de l’écriture de John Ruskin, par sa volonté exemplaire d’être précis, juste et pertinent dans ses énonciations. Je goûte la richesse de son vocabulaire, choisi avec soin, la créativité expressive de son phrasé, pour exprimer la puissance d’évocation, parfois surnaturelle, des prodigieux tableaux de Turner.
C’est par amour, passion pour les œuvres de William Turner, 1775 - 1851 que John Ruskin , 1819 - 1900, décide d’entreprendre la composition de ce qui deviendra le grand ouvrage de sa vie - « (...)un texte unique, flamboyant, proliférant, sans cesse repris, jamais achevé : Modern Painters / Les Peintres Modernes » écrit Philippe Blanchard traducteur et rédacteur d’une présentation très éclairante, qui propose ici un choix judicieux parmi tout ce que contient la vaste entreprise de défense du génial artiste peintre que l’éminent écrivain, critique d’art anglais découvre dès l’âge de treize ans, dont il vantera avec conviction, assiduité les mérites et le génie, tout au long de sa vie.
John Ruskin démontre un souci de précision remarquable qui oscille agréablement, tout en étant sérieux, entre l’expression ardente, littéraire et poétique de sa sensibilité, de ce qu’il ressent et l’élaboration pragmatique, posée d’une argumentation concrète et convaincante - offrir un contenu analytique solide - dans l’intention indéniablement ferme d’émouvoir, persuader et affirmer le bien-fondé de ce qu’il avance.
La fluidité de son style, sa clarté limpide et vibrante sont impressionnantes. Elles facilitent la compréhension. La lecture est d’autant plus plaisante et captivante qu’elle est aisée.
« Je pourrais écrire des pages et des pages, sans m’arrêter, sur tous les ciels de Turner et indiquer en chacun des vérités nouvelles » écrit avec ferveur Ruskin.
Me vient l’envie de répondre que je pourrais lire des pages et des pages sans m’interrompre tant ce qui est donné à voir là retient plaisamment mon attention, m’instruit énormément, m’apparaît comme un exemple extraordinaire de ce que peut la littérature quand elle se met au service de l’art pictural afin de lui rendre pleinement justice.