Pieter de Hooch (1629-1684(?)), un parmi tant d’autres peintres du siècle d’or néerlandais, qui ont surgi, avec leur manière d’apparence tranquille, d’un peuple se libérant des Espagnols, menant guerre sur guerre : événement calme au milieu des turbulences. Les arts ont une existence fragile. Il dépend des caprices d’une époque qu’elle transforme les œuvres dont elle hérite en objets de culture, en reportages sur les mœurs du passé, en manifestes d’une morale, en occasion de plus-value spéculative ou touristique. Lancés dans un monde qui n’a que faire d’eux, les tableaux deviennent des images. Ceux de Pieter de Hooch n’y ont pas échappé.
De son temps, Pieter de Hooch répugnait au régime visuel dominant, aux emblèmes moralisants et surtout à l’art officiel de la province de Hollande, copie de l’antiquité romaine, lequel d’ailleurs l’a ignoré, lui et ses immenses collègues.
Aussi devons-nous être sensibles au présent de l’art qui n’est ni tout à fait – les tableaux tout juste vernis, l’encre à peine sèche – le présent historique saisi rétrospectivement, ni vraiment l’éternité idéale prisée par une certaine philosophie, mais un autre présent, celui du peindre, pas du peint, la part d’infinitif de toute peinture, d’infinitif présent, qu’on tente de sentir avec les moyens du bord, ceux de notre temps.
Comment aimer Pieter de Hooch sans être aux aguets de ses motifs toujours persévérants : peindre des regards absents perdus dans le vague, des habitudes et des gens dans des intérieurs domestiques que leurs yeux dépaysent, produire un tiers-espace entre celui de la toile et celui du spectateur, figurer une durée momentanée dans des gestes indécis et pourtant familiers, inventer les arrière-cours de Delft comme fait pictural, etc. Tout cela sous le signe d’un dieu égaré dans le règne calviniste, Hermès, ange inspirant la recherche de ces fameux passages par des cadres, portes, porches, fenêtres et trouées, de plus en plus étroits dans le lointain.
Les auteurs
André Scala, né en 1950 à Paris, a étudié la philosophie à Vincennes. Il a traduit pour les éditions de l’Éclat Le Traité de la réforme de l’entendement de Spinoza (2013) et a notamment publié : aux Belles Lettres, Spinoza (1998), Berkeley (2007) ; Silences de Federer (Éditions de la Différence, 2011), Pas si vite ! (avec Jackie Berroyer, Albin Michel, 2000), Flaubert et Bovary, un livre sur rien écrit par personne (Hdiffusion, 2021), et a écrit le scénario du film de Philippe Collin, Les Derniers jours d’Emmanuel Kant (1992).
Presse
Entretien d’André Scala avec Yves Tenret, Radio Aligre
Gérard-Georges Lemaire, Visuelimage
Christian Ruby, nonfiction.fr
Yves Tenret, Bon pour la tête
Extraits
Bien que Hollandais, Pieter de Hooch est un peintre de la distraction, du regard absent. On verra rarement chez lui une dentellière attentive, concentrée sur son ouvrage. Si, malgré tout, on veut en faire un peintre de l’attention, ce sera d’une attention sans concentration volontaire. Bien sûr, il emprunte aux anciens de nombreux motifs : dualisme de direction des corps et des regards, rotation du buste ou de l’échine, torsion de l’élévation sur le plan, absence de regards portés vers le haut, mais tous ces motifs ont, pour lui, une autre fonction que celle d’assurer entre les figures une commune présence mentale. Chez de Hooch l’intériorité et l’absorbement conscient n’expriment pas, à la différence de nombreux de ses contemporains, l’attention dans sa fonction libératrice des espaces vacants. Avec lui, les espaces sont intermédiaires d’une manière positive, l’attention ne se substitue pas à l’action, mais va jusqu’à éviter toute ressemblance de fonction avec la volonté.