Stéphane Spach glane et collecte : encriers brisés exhumés des tranchés de la première guerre, ossements dispersés et crânes d’animaux sous plastique issus de collections zoologiques, fleurs et feuilles fanées qui semblent des reliques d’un jardin perdu... Toutes ces choses sont offertes au regard des lecteurs de cette vaste monographie, en même temps que rendues à leur silence troublant.
Stéphane Spach glane et collecte. Il soustrait le décor, fixe, et répète.
Il n’en plante un que pour mieux révéler les contours et la matérialité nue de l’objet.
Il s’agit presque toujours de délier l’objet, de le dégager de ses liens, afin de (le) faire voir autrement (de faire sentir, toucher autrement, car ces objets ainsi saisis sont pleins d’entailles, de plis et d’éraflures).
Alors, la familiarité – ou l’absence – des relations qu’avec lui nous entretenions se met subrepticement à vaciller. Le familier inquiète, et c’est par là qu’il suscite, qu’il oblige presque, l’attention.
L’attention particulière qu’il déploie lorsqu’il saisit (capture) des paysages n’est qu’un autre versant de ce travail qui s’attache à produire le cadre d’une célébration de l’ordinaire. Une banalité – des lieux, des éléments qui les composent – qui se situe au seuil de nos regards familiers, de leur absence ou de leur effacement.
Avec des textes de : Ann Loubert, Daniel Payot, Roland Recht, Jérôme Thélot, Alexis Zimmer.
Les auteurs
Stéphane Spach, photographe, travaille pour de grandes entreprises, notamment dans l’univers de l’architecture et du design, tout en pratiquant à côté de cela son art dans une visée esthétique. Il a notamment publié Le beau jour ou L’Alsace revisitée avec Patrick Bogner et Jean-Michel Maulpoix (Le Bateau de papier, 1996), Terres fertiles avec Gilles Clément (Les éditions de l’Imprimeur, 1999) ou Couteaux avec Philippe Fusaro (La Fosse aux Ours, 2001), ainsi que deux ouvrages aux éditions L’Atelier contemporain : Stéphane Spach, photographe (2022) et Parcelle 475/593 (2023).
Presse
Charles Duttine, La cause littéraire
Jean-Paul Gavard-Perret, Le Salon littéraire
Pascale Remy, DNA
Fabien Ribery, L’Intervalle
Entretien de Stéphane Spach avec Roger-Yves Roche, En attendant Nadeau
Extraits
"Il y a dans les images de Stéphane Spach un parfait silence par lequel celui qui les approche est d’emblée saisi et tenu en respect. Ce silence vient d’abord des choses mêmes que l’artiste a élues et disposées devant son regard exact – feuilles qui sèchent, branches immobilisées dans le vide, impénétrables mottes de terre, couteaux brisés ou encriers de jadis, squelettes sous plastique, oiseaux morts... – dont le rendu on ne peut plus net, comme arrêté, exalte la neutralité objective de l’apparence déshabitée. Aussi ce silence est encore épaissi par le mutisme déclaré de l’image elle-même, dont la composition savante, concertée, exhibe ostensiblement son caractère d’image, son insolite éclat et son écart irréductible d’avec le monde ordinaire. Un art intransigeant se poursuit là, tout astreint à la loi sévère qu’il s’est reconnue, et qui reconduit celle-ci quels que soient ses motifs représentés. Le silence de ces photographies, « choses muettes » comme disait Poussin de ses peintures, est une énigme qu’il revient au spectateur d’affronter et de chercher à comprendre, comme il est revenu au photographe d’en faire son objet profond et son destin propre."
(Jérôme Thélot)
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"D’abord il y a l’arbre. C’est ce que l’on voit en premier. Pommier, cerisier, cornouiller, sorbier, noyer, marronnier, pommier du Japon, magnolia, glycine, poirier, acacia et tulipier. Avec leurs odeurs et leurs jeunes pousses gluantes. Des bourgeons pleins de sève qui nous disent le cycle de la vie à la mort, le passage des saisons de l’homme. Nous sommes en pleine Vanité. L’arbre est calme, posé. C’est un sujet zen, sans tourment. À première vue. Puis la photographie infuse, et l’œil dans la pénombre distingue, discerne le relief presque tactile de chaque élément que l’artiste a choisi avec soin. Un chif- fon, un œuf cru, une tablette de médicaments écrasée. Une tête de poupée, une araignée suspendue à son fil, une dent. Un merle mort, une coquille d’escargot, un serpent dans un bocal, un têtard... C’est alors que tout prend sens, lentement, et s’organise sous nos yeux émerveillés. Notre regard s’attable à la scène : le Jardin de minuit de Stéphane Spach perturbe notre vision. Et le glissement qui s’opère est très subtil."
(Ann Loubert)