And Also The Trees (« et aussi les arbres ») propose une approche photo-textuelle du paysage dans laquelle l’arbre est autant modèle que sentinelle, dans sa propre solitude ou dans une solitude rassemblée : la forêt. Souvent prises dans la vitesse, au crépuscule ou de nuit, ces photographies inscrivent des diffractions où la notion de composition s’avère essentielle. Écritures photographique et littéraire se côtoient ou se disjoignent pour penser le paysage, dans ses mystères, ses ruptures, son opacité — parfois son silence. En miroir d’un essai sur l’acte photographique et la perception de son propre corps lors des prises de vue, l’écrivain-photographe Marc Blanchet, par l’horizontalité du paysage ou la verticalité d’un arbre, nous met face à un univers qui surgit entre soudaineté et disparité, présence et profusion.
Ouvrage coédité avec les éditions Immanences.
Les auteurs
Marc Blanchet, né en 1968, est écrivain et photographe. Il vit actuellement à Tours. Il a publié récemment aux éditions Obsidiane Tristes encore (poésie, 2022) et aux éditions La Lettre volée, Le Pays (poésie, 2021). De 2019 à 2022, les éditions Immanences ont publié de son travail d’écrivain-photographe une suite de « fototext » à tirage limité, Zwischen Berlin. Sa nouvelle exposition 3 + 3 (trois séries + trois publications) est présentée du 12 au 26 mars à la galerie Veyssière (Tours) et du 7 mai au 4 juin 2022 à la galerie Arrêt sur l’image (Bordeaux). Son travail photographique sera également montré au sein des Collections de la BNF en 2023 et 2025.
www.marcblanchet.fr
Presse
Entretien de Marc Blanchet avec Anne Segal, Télérama Web
Entretien de Marc Blanchet avec Pauline Lisowski, lacritique.org
Jean-Paul Gavard-Perret, Le salon littéraire ; Lelittéraire.com
Fabien Ribery, L’Intervalle
Extraits
Existe-t-il l’endroit où photographier sans altération ? Je me déplace depuis plusieurs jours et chaque prise de vue s’inscrit dans une tension – effondrements, déclivités, obscurcissements. Tout m’apparaît comme une lente défiguration. Existe-t-il l’endroit où ces photographies pourraient connaître un corps plus avenant ? Est-ce un endroit précis, fixe – une clairière, un havre ? Ou est-ce moi, qui me suis épris d’une vitesse, d’une frénésie qui n’offrent aucun repos ?
À chaque occasion, m’éloignant pour des déplacements volontaires, des instants de solitude choisie, je traverse des paysages pour en saisir d’autres à l’intérieur. Je découpe du paysage dans du paysage. Mon œil est en mouvement, chargé d’une capacité presque enivrante à repérer au loin des formes, les laisser s’avancer, se préciser, s’harmoniser (du moins ai-je cette impression puisque j’éprouve une sorte de consentement en les approchant ; photographier à cet instant ce qui paraît s’éterniser me donne comme des frissons d’intelligence – ou du moins me fait ressentir un accord, le plaisir d’une coïncidence qui n’a rien de forcée même si elle est provoquée).
Au sein de la nature, des compositions apparaissent, mêlant leurs matières végétales au rythme de la traversée. S’y ajoutent la nuit et le dérèglement volontaire de l’appareil. Apparitions soudaines et manigances mécaniques : les voici mes créatures, objets d’un désir qui ne connaît pas d’assouvissement.
De temps en temps, des pauses. Se retrouver à la lisière d’une forêt n’est pas se tenir au bord du monde – loin de là. Vécu ainsi, l’espace est une substance d’une inaltérable générosité. Si tout déplacement semble ultime (ne rien laisser s’échapper), les paysages à découper fourmillent. Même si dans mon esprit demeure le poids des peintures et photographies passées, aucune tentative n’est vaine.
Lors de ces arrêts, quand j’éteins le moteur de la voiture ou ralentis ma marche parmi la neige ou la nuit, ma perception des espaces naturels s’apaise. La présence des sujets éloigne le flou ou l’indistinct, et se déplie plus clairement. J’apprécie que ces photographies naissent alors de cette manière, avec une sorte de discernement, d’entièreté, dans la nécessité d’une parenthèse, pareil à un individu qui se tiendrait devant moi et dont j’aurais le temps de voir le corps, d’entendre les propos.
Une inquiétude ressurgit rapidement. Un doute devant une telle clarté. Également le sentiment d’une vibration à venir. L’objection d’un détail qui va tout renverser.
La capture de ces étranges harmonies est en suspens. Le paysage, même resserré autour d’un arbre, lors de tels instants s’agrandit. Une respiration plus souple circule en moi, même si je peine à percevoir les conditions de cette détente. Elle s’avère essentielle à l’avancée de mon corps, aux digestions de ma pensée. La courbe d’un vallon se conjugue à la paix qu’il inspire ; un arbre chavire sans faire l’apologie de la chute ; les branches d’un cèdre palpitent. Ce saule respire sous la neige. Je ne me perds pas dans un songe ; je sais que la neige est en mouvement. Égarée sur l’image, elle la raye de sa légèreté, signe sa gravité de haut en bas. Ce mouvement ne cesse pas. Plus loin, c’est un arbre, trop baigné de nuit pour prétendre à quelque recension. Il appartient au règne de l’indicible, sinon de l’innommable.
L’écriture d’une histoire naturelle demeure possible. Quelqu’un dont ce serait l’affaire pourrait pénétrer l’indistinction de ces espèces, reconnaître des familles dans ces ensembles opaques. N’ai-je pas identifié ce cèdre ? Nominations, glissements. Vérités, voiles. Ces paysages n’en sont pas moins des anamorphoses. Ils tordent le nom de ce que l’on peine à distinguer.