Pierre Bonnard. Le feu des solitudes charnelles

Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.

Date de publication : 18 octobre 2024
Format : 12 x 15,5 cm
Poids : 85 gr.
Nombre de pages : 56
ISBN : 978-2-85035-160-0
Prix : 9 €

« C’était le printemps et je regardais des Bonnard. Je contemplais ses nus chaque jour sur des catalogues, des monographies, des cartes postales ; j’allais chercher sur Internet d’autres nus — des nus que je ne connaissais pas — pour les imprimer et les avoir avec moi. »

Circulant de tableau en tableau, Yannick Haenel restitue l’intensité de sa passion avec la générosité du peintre : « [...] Nu au gant bleu, Nu devant la cheminée, Nu rose tête ombrée : je me récitais ces titres comme les vers d’un poème qui me promettait son érotisme clair, sa limpidité classique. » Du bain d’où émerge Marthe, du miroitement affolant des couleurs, s’élaborent des pensées qui cherchent à comprendre et à embrasser le « feu » nourri par chaque toile pour en rejoindre la source.

Interrogeant cette emprise, cherchant à situer le lieu du désir dans des bouquets de couleurs, à en identifier la puissance, celle-ci se découvre non comme l’appétit d’un « œil en rut » mais comme la « provision d’étincelles » qui comble en nous « une soif de lumière ».

Chez Bonnard, nulle appropriation du modèle pour en faire le jouet de l’éros, au contraire : ce don ultime qui est celui de l’amour. Et lorsque l’écriture suit cette courbe flamboyante au cœur des métamorphoses, alors le geste pictural se poursuit, le récit devient celui de la peinture elle-même : « Les instants ont trouvé leurs couleurs, et notre regard, en prenant la suite de Bonnard, les rafraîchit. Nous continuons la peinture en écrivant sur elle. »

Les auteurs

Yannick Haenel est né en 1967 à Rennes. Il a fondé la revue littéraire « Ligne de risque » qu’il coanime depuis 1997 avec François Meyronnis. Il publie son premier roman aux éditions de La Table Ronde : Les Petits Soldats (1997), puis de nombreux autres aux éditions Gallimard dans la collection « L’Infini » : Introduction à la mort française (2001), Évoluer parmi les avalanches (2003), Cercle (2007, prix Décembre et prix Roger-Nimier), Jan Karski (2009, prix du roman Fnac et prix Interallié), Les Renard pâles  (2013), Tiens ferme ta couronne (prix Médicis, 2017), Papillon noir / Longer à pas de loup (2020), Le Trésorier-payeur (2022). Il est aussi l’auteur de plusieurs essais, dont La Dame à la licorne. À mon seul désir au éditions Argol (2005), La Solitude Caravage chez Fayard, réédité chez Gallimard (2019, Prix Méditerranée) et Bleu Bacon aux éditions Stock (2024). Il publie enfin deux volumes d’entretiens, dont Poker avec Philippe Sollers, chez Gallimard (2005). Ses livres interrogent le nihilisme, l’Histoire, mais aussi la possibilité d’un érotisme contemporain. Dans chacun de ses romans, un personnage rompt avec la société et découvre une liberté nouvelle.

Extraits

« La peinture de Bonnard nous apprend que le cœur du désirable, c’est la lumière ; et que regarder ses nus, c’est capter ce rayonnement qui les anime. Il n’y a de nu qu’à travers la vibration de la lumière qui le traverse. Le nu bonnardien est une substance d’irradiation : le corps de Marthe, en s’exposant au rayonnement solaire, ne cesse de transparaître. Les femmes peintes par Bonnard se reconnaissent par la variation de leurs intensités lumineuses, vibrant aux différences de chaleur, s’ouvrant et se fermant aux miroitements de l’espace dans lequel elles se tiennent. »

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« Ainsi, lorsque Bonnard s’obstine à peindre une femme nue dans une salle de bains pour la millième fois dans l’histoire de la peinture, c’est pour maintenir en vie la présence de son démon, rester en contact avec la source, garder allumée l’étincelle que suscite la nacre — pour que le feu des solitudes charnelles qui est l’élément de la peinture ne s’éteigne pas. »

Phalènes

« Le papillon – particulièrement le phalène, ce papillon nocturne qui se glisse par la porte entrouverte, danse autour de la lumière et finit par s’y précipiter, s’y consumer – semble bien l’animal emblématique d’un certain rapport entre les mouvements de l’image et ceux du réel voire d’un certain statut, instable il va sans dire, de l’apparition comme réel de l’image. »
Georges Didi-Huberman