"C’est tellement étrange la peinture, entre le dialogue qui s’annonce et la conclusion d’une œuvre : plus on la pratique, mieux on la comprend, c’est vraiment un art de vieux. J’ai mis des années à me dégager d’une forme d’immaturité, et j’ai l’impression que ce n’est que maintenant que j’entrevois ce qu’est la peinture."
Catalogue de l’exposition au musée Picasso d’Antibes. Avec des contributions de Jean-Louis Andral et Patrick Mauriès.
Delacroix disait : « il faut un cœur d’acier pour terminer un tableau. » Il ne s’agit pas simplement de transmettre la vision de ce que l’on a dans la tête, car dans l’abstraction il n’y a pas de sujet, on s’appuie sur des notions étranges, couleurs, formes, espaces, mais à un moment donné la chose vous quitte, parce que la chose est plus forte que nous. Picasso le disait parfaitement : « la peinture est plus forte que moi : elle me fait faire ce qu’elle veut. »
Le pastel est doute, et moi je veux garder ce doute, parce que le doute est l’humain. La peinture ne sert pas à grand-chose, si n’est peut-être à poser des questions. Et la grande question pour moi aujourd’hui est celle de la forme. Bernard Noël, peu avant de mourir, m’a écrit, en novembre 2020, une très jolie lettre, une lettre dans laquelle il écrit à propos de mes pastels une phrase de peintre : « C’est la forme qui interroge, comme parcourue par un message qui tressaille en elle. » Ce qui m’intéresse, c’est la tension entre la forme et l’espace. La peinture est un grand mystère, on essaie de faire revivre une forme qu’on a vue par exemple chez Georges de la Tour ou Mondrian. Quand ils peignaient, ils étaient dans la forme, ils la délimitaient par un jeu de tensions, et je m’en souviens aujourd’hui dans mes tableaux abstraits où j’augmente ou diminue l’intensité et la densité de la couleur en fonction de la distance ou pas qui se crée entre une teinte et sa voisine, en laissant maintenant de plus en plus de blanc, de respiration entre chaque forme, pour être moins sage. C’est un langage qu’il faut écouter, en laissant aller le pinceau ou le bâton, et qui vous signifie si le bon équilibre est trouvé ; et le tableau est terminé lorsqu’il me surprend : car rien ne doit jamais être acquis.
Les auteurs
Pierre Skira est un artiste né en 1938 qui vit et travaille à Paris. Il expose chez De Bayser à Paris et Arturo Ramon à Barcelone, après Jan Krugier à Genève et Caroline Freymond à Paris. Il a participé à de nombreuses expositions avec entre autres Jean le Gac, Titus Carmel, François Barbâtre ; il a publié des ouvrages en collaboration avec Jean-François Lyotard, Gérard Macé, et Pascal Quignard (la collaboration avec ce dernier a fait l’objet d’une exposition au Musée de Soissons).
Presse
Alain Vollerin, Blog des arts
Extraits
"Cet atelier est devenu depuis quelques années le lieu d’une quête constante d’un dialogue silencieux de formes et de couleurs placées les unes à côté des autres. Les compositions figuratives de natures mortes, de livres, d’instruments de musique, de vanités ont fait place aujourd’hui chez l’artiste à des compositions abstraites, dans lesquelles les poudres agglutinées de ces mélanges de pigments et de kaolin, agissent les transparences ou les opacités de leurs lumières captives. Dans les propos qui suivent, au sujet de Lascaux, Pierre Skira, après avoir franchi les portes de bronze qui en barraient l’entrée, et descendu, en compagnie de son père et de Georges Bataille les marches qui conduisaient dans la grande salle dite des taureaux, raconte l’effroi total ressenti par le jeune garçon qu’il était à la vision d’une longue frise animale que dominaient quatre gigantesques bovidés, et qui, à la lumière des flammes des torches, devait sembler animée et le charger. « J’insiste, écrit Georges Bataille, sur la surprise que nous éprouvons à Lascaux. Cette extraordinaire caverne ne peut cesser de renverser qui la découvre : elle ne cessera jamais de répondre à cette attente de miracle, qui est, dans l’art ou la passion, l’aspiration la plus profonde de la vie. Souvent nous jugeons enfantin le besoin d’être émerveillé, mais nous revenons à la charge. Ce qui nous paraît digne d’être aimé est toujours ce qui nous renverse, c’est l’inespéré, c’est l’inespérable. Comme si, paradoxalement, notre essence tenait à la nostalgie d’atteindre ce que nous avions tenu pour impossible. »
Ses pastels abstraits sont sans doute bien ainsi, comme leur auteur l’évoque lui-même, les conséquences lointaines de ce renversement primitif advenu dans l’argile de l’adolescence, et de cet éblouissement angoissé. Comme les peintures miraculeuses de Lascaux, les pastels de Pierre Skira, complétés d’un ensemble de ses gravures, réunis pour la première fois à Antibes dans la grande salle du musée Picasso, transformée pour l’occasion en une lumineuse chapelle, nous communiquent une émotion forte et intime. À qui sait les voir, à qui accepte le besoin d’être émerveillé, ils font un signe d’avenir réconfortant."
(Jean-Louis Andral)