Mon Pollock de père

Grand peintre américain, mais aussi professeur de calligraphie et de typographie, Charles Pollock, frère aîné de Jackson Pollock, n’aura laissé que peu de traces de l’existence de son œuvre avant de mourir à Paris. Sa fille, Francesca, et son épouse Sylvia, mettront alors vingt années à rassembler, archiver, faire connaître son travail et sa vie voilés par le silence et la discrétion. Pour quoi et pour qui s’être effacé ? Quels sens donner aux toiles de Charles Pollock et à son silence ? Aiguillonnée par ces questionnements, Francesca Pollock entreprend de (re)nouer un dialogue avec le père qu’elle a perdu à l’âge de 21 ans. La parole, qui fut si rare entre eux, est alors délivrée au moyen d’une écriture à plusieurs voix, celle de l’auteure, celle de Charles Pollock qui affleure des correspondances, de ses écrits et entretiens, mais aussi celle des œuvres du peintre et de ses contemplateurs qui « parlent » bien plus que tout autre chose.

Date de publication : 15 avril 2022
Format : 16 x 20 cm
Poids : 420 gr.
Nombre de pages : 176
ISBN : 978-2-85035-072-6
Prix : 25 €

Par le récit, ce n’est pas tant l’histoire de son père que Francesca Pollock désire comprendre et raconter, que sa propre histoire, sa propre vie si liées à celle de Charles Pollock dont elle n’a connu que la vieillesse et très vite sa mort physique. Mais bien plus encore, c’est l’absence de parole et de transmission, formes de morts symboliques qui enveloppent son père tout au long de son vivant : « Ce que j’ai mieux connu de lui, c’est son silence ». Dès lors, que faire, que comprendre, que dire des œuvres du peintre, lorsque la figure du père ne dit mot ? Francesca Pollock entend extraire son père de ce chaos informe et enténébré dans lequel il s’est plongé, lui et son œuvre. Cette entreprise passe par un long ouvrage, véritable forage et coups de sonde dans le passé pour excaver l’œuvre ensevelie et rencontrer ainsi son père. Le lecteur suit, parfois avec anxiété, la gestation douloureuse de l’auteure pour « mettre son père au monde », et enfin faire œuvre de vérité, de liberté. Pour la psychanalyste qu’est l’auteure, la tâche n’en est pas moins ardue : il s’agit de déconstruire le mythe bâti autour de l’art et de la personne de Jackson Pollock, mythe qui l’élevait en tant que peintre unique, idée qu’il embrassait et encourageait, excluant ainsi, inconsciemment, l’art de son frère Charles. La délivrance surgit alors au détour de rencontres artistiques – celles surtout du critique d’art et poète Maurice Benhamou – qui, par des regards, des mots neufs, font renaître l’œuvre de l’artiste et délestent l’auteure : « La pensée qui me submerge, c’est que le regard de Maurice a libéré ton œuvre, et, ce faisant, il m’a libérée moi ».
Tout au long de la narration, le lecteur assiste à une subtile correspondance entre le fond et la forme : des bribes d’histoires balbutiés qui se confondent avec les souvenirs épars de l’auteure jusqu’à la nette chronologie qui trace la vie du peintre et correspond à l’accomplissement des recherches, au sens retrouvé. Avec finesse, Francesca Pollock manie les outils de l’historienne : archives, correspondances, entretiens tirés de la presse ou radiophoniques, extraits de conférences de son père, s’enchevêtrent au cœur du récit, entre souvenirs, anecdotes, pensées de l’auteure, références livresques ou encore critiques des œuvres du peintre. Écriture dense donc, mais transparente, franche et d’une grande tendresse qui tire Charles Pollock de la tombe du silence pour s’ériger en tombeau artistique. Illustré de photographies familiales et de reproductions des œuvres du peintre, l’ouvrage donne à voir, de manière touchante, la force et la cohérence de l’art singulier de Charles Pollock, de la figuration à l’abstraction, où formes et couleurs se cherchent et se correspondent.

Ouvrage publié avec le concours du FRAC Auvergne et de la galerie Etc.

Les auteurs

(Photographie : © Sophie Zénon)
Francesca Pollock, fille du peintre Charles Pollock, est née en 1967 dans le Michigan, a grandi et fait ses études à Paris. Psychanalyste, elle a coécrit avec Jean-Benoît Patricot À la rencontre de Ferdinand (HD Éditions). Elle a également traduit quelques ouvrages sur le cinéma : Conversations en miroir de Michael Cimino, Elia Kazan, Le plaisir de mettre en scène et Robert Altman, Une biographie orale. Elle a également participé à la traduction et à l’assemblage des Lettres américaines publiées aux éditions Grasset, ouvrage qui rassemble la correspondance de la famille Pollock. Avec sa mère Sylvia Winter Pollock, elles ont travaillé à l’archivage et à la diffusion des œuvres de Charles Pollock pendant plus de vingt ans.

Presse

Lectures [video] d’un extrait du texte par Rodolphe Burger & Francesca Pollock (4 mn : dernières pages ; 45 mn : dernier chapitre)

Entretien de Francesca Pollock avec Pierre Gelin-Monastier, Profession culture
Entretien de Francesca Pollock avec Yves Tenret, Radio Aligre

Amélie Adamo, L’Œil
Élisabeth Gillet-Perrot, Association pour l’autobiographie
Christophe Kantcheff, Politis
Thomas Lebreton, Beaux-Arts magazine
Gérard-Georges Lemaire, Visuelimage
Anne-Cécile Sanchez, Le Journal des Arts
François Xavier, Le Salon littéraire

Adamo Pollock L’Œil
Kantcheff Pollock Politis
Lebreton Pollock Beaux-Arts
Sanchez Pollock Journal des arts

Extraits

Prends en compte vos différences : ce qui valait pour lui ne valait pas pour toi. On a interprété et raconté que tu avais quitté New York parce que tu n’avais pas les épaules pour affronter la compétition féroce qui se tramait. Or toi, tu as considéré que faire des caricatures politiques pour un syndicat automobile à Detroit était un motif suffisant pour partir. De même, tu es allé peindre d’immenses fresques en hommage aux muralistes mexicains qui t’avaient tant fait rêver, parce que toi, encore à l’époque – au milieu des années quarante –, tu étais un idéaliste qui pensait que le rôle de l’artiste était d’être un passeur et de rendre au peuple ce qui lui revenait... Tu n’as donc pas pris goût au combat de coqs qui sévissait sur la scène artistique de l’époque ; tu n’as pas non plus participé aux conversations du moment pour savoir qui, des Américains ou des Européens, étaient les plus forts, et quel art était le plus américain ; tout comme tu as jugé peu intéressant de savoir quel nom allait porter le mouvement artistique naissant... Admets que, pour rien au monde, tu n’aurais voulu être un mythe ou un héros – tu aurais détesté cela ; tu as su tout du long ce que Clement Greenberg manigançait et tu as gardé tes distances. Tu ne voulais être adoubé par personne... Ajouter que tu n’étais pas un « irascible » et que tu as choisi de battre froid « l’avant-garde ».

Si, à chaque étape de ta vie que j’évoque ici, tu as écrit des textes éloquents sur ce que tu étais en train d’accomplir, mettant ainsi en forme tes pensées, n’est-ce pas parce que tu y croyais pleinement, avec ton désir, ta foi et tes convictions ?

Alors pourquoi avoir éprouvé le besoin de faire le mort ? À qui devais-tu cela ? À « lui » ? Pour quelles raisons ? Pour effacer vos différences ? Mais tu avais le droit d’être différent. Toi, Charles Pollock, tu avais le droit de désirer ce que tu désirais.

J’aurais tant aimé te connaître comme je te découvre, comme je te lis.

Pourquoi te révèles-tu dans l’absence ?

Squiggle

Chaque volume monographique de cette collection suit un artiste dans son « tracé libre », selon la formule par laquelle J.-B. Pontalis traduit l’intraduisible mot anglais squiggle. Jeu de dessin à deux que pratiquait le psychanalyste D. W. Winnicott avec ses patients enfants, le squiggle instaurait une atmosphère de communication spontanée. Entendu dans une acception élargie, il nommera ici l’espace ménagé dans chaque œuvre au dialogue, à l’imprévu, à l’inconnu.