Bacco di Nervi

En 2008 le peintre Farhad Ostovani découvre une sculpture de Bacchus dans un jardin à Nervi — bien que fort endommagée, c’est un émerveillement pour l’artiste qui réalisera une suite de plus de 40 œuvres : des portraits de ce jeune homme peints et dessinés sur une base photographique.
Cet ouvrage réunit l’ensemble des œuvres réalisées, ainsi que, en sus d’un texte de l’artiste contant son rapport à ce Bacchus, deux essais d’Alain Lévêque et Madeleine-Perdrillat.

Date de publication : 12 avril 2019
Format : 23 x 25 cm
Nombre de pages : 104
ISBN : 979-10-92444-91-9
Prix : 35 €

Les auteurs

Farhad Ostovani est né dans le nord de l’Iran, à Lahijan, en 1950. Il commence à peindre à l’âge de douze ans. Il entre en 1970 au département des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran avant d’intégrer l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris cinq ans plus tard, après sa première exposition en 1973 à l’Institut Français de Téhéran.
En 1994, il se lie d’amitié avec Yves Bonnefoy et Bernard Blatter et s’intéresse aux éditions. Il reçoit en 2014 le Grand prix de bibliophilie (prix Jean Lurçat) de l’Académie des Beaux-Arts pour We talked between the rooms, poésie d’Emily Dickinson traduite par Yves Bonnefoy. Son site Internet.

« Et les œuvres de Farhad dans les premiers temps de son travail à Paris sont elles-mêmes la preuve que son regard de peintre n’était alors nullement requis par l’aspect extérieur des choses, couleurs et formes, jeux des couleurs dans les formes, dissolution du souci de l’être dans celui de la composition du tableau, comme ce fut le cas à travers l’histoire de l’Occident chez tant de peintres même paysagistes. Mais ce qu’il faut remarquer aussi, c’est qu’elles montrent que le risque que je disais presque fatal quand on cherche à signifier la présence comme telle existait bien aussi chez ce jeune peintre. » Yves Bonnefoy

Presse

Article de Fabien Ribery, L’Intervalle.

Extraits

ALAIN LÉVÊQUE :

Pourquoi, de nouveau dans l’œuvre de Farhad Ostovani, une suite d’images dessinées et peintes sur une base photo- graphique ? Comment comprendre ce procédé qui lui est cher ? N’aurait-il pas l’avantage, dans son esprit, de conjoindre le réel et le rêvé, de les conjuguer avec lucidité, sans les exclure, sans même les op- poser ? Photographié et réinventé par lui, le visage de cette statue qu’il a découverte par hasard en Italie donne naissance à une série d’œuvres dans lesquelles le visible et l’invisible se mêlent étroitement. Sans quitter la réalité extérieure qui a suscité l’émotion initiale, sans l’oublier, l’espace ainsi créé s’agrandit : il devient lieu intérieur, domaine plus vaste de la mémoire du cœur. Le perdu et le retrouvé, rassemblés, s’articulent dans une tension dynamique qui tient du poème.
(…)
N’est-ce pas comme une fraîcheur, un élan de la présence au monde que Farhad Ostovani tente, non seulement d’évoquer, de façon peut-être conjuratoire, mais aussi de rejoindre ? N’est-ce pas, en mettant l’accent sur le visage de Bacchus, sur les feuilles et les raisins qui le parent, cette efflorescence intérieure, cette ouverture
à la vie, si simple mais si difficile à garder intacte en vieillissant, qu’il voudrait saisir contre toute pétrification de soi ?
En reconnaissant le temps à la fois comme puissance destructrice et comme force d’amour, cette suite d’images instaure, en lui et avec nous, un échange qui rompt la solitude, le repli sur soi-même. La jeunesse ? Par-delà la séduction, l’attirance des corps, ce « divin » qu’est le jeune
âge, Farhad Ostovani ne suggère-t-il pas qu’elle est, en définitive, le fruit d’un lien
émerveillé avec le temps fini, ainsi que l’exprime peut-être — verte, d’un rouge mûrissant ou déjà presque desséchée — la grappe de raisin ?
(…)
En retravaillant, en revisitant le choc de cette rencontre dans un nouveau recueil d’images mi-photographiques, mi-picturales, qu’il centre, à la manière d’une fugue, sur un thème, que fait Farhad Ostovani ? Il redonne plein sens au temps fini tel qu’il l’éprouve. Il pousse plus avant le dialogue qui irrigue son œuvre entre mélancolie et espoir, entre deuil et désir de connaître encore « joie » et « légèreté », pour reprendre ses propres termes.

ALAIN MADELEINE-PERDRILLAT :

Découvrir par hasard, dans un parc, une sculpture abîmée, laissée à l’abandon, pas particulièrement belle, et la distinguer malgré tout, telle est l’expérience que vécut Farhad Ostovani en Italie, à Nervi, à la périphérie de Gênes. On aurait là le sujet d’une nouvelle s’il ne s’agissait de bien autre chose : de l’intuition soudaine que cette œuvre n’est pas exempte de qualités pour autant qu’un regard attentif lui soit accordé, et que la peinture serait en me- sure de la « sauver », de révéler en elle une beauté cachée, un pouvoir d’émotion resté en retrait. Soit une idée singulière (et assez contemporaine), celle d’une intervention de l’art là où l’art n’est pas attendu, n’est pas entendu, aussi tout le contraire des varia- tions classiques sur tel ou tel chef-d’œuvre du passé : l’art consiste à créer, à inventer de la beauté, davantage qu’à reconnaître une beauté préexistante – et, en ce sens, il n’est rien qui, par l’art, ne puisse accéder à la beauté.
(…)
Au départ, le peintre ne cherche donc aucunement à réhabiliter ou célébrer une œuvre d’art injustement méconnue, même si son « intervention », les variations que cette tête lui inspire par l’intermédiaire de photographies, finissent par lui restituer une grandeur jusque là passée inaperçue. Comme dans d’autres séries d’œuvres récentes (celles des Citronniers et des Cyprès des années 2011-2012), qui trouvent leur origine dans des photo- graphies, le travail de Farhad Ostovani consiste à modifier l’aspect de celles-ci, et par suite leur signification, par l’usage, dans un second temps, de l’aquarelle, du crayon et du pastel, ce qui évoque les ajouts et modifications que les graveurs apportent fréquemment aux images qu’ils ont créées. Toutefois, le choix de travailler à partir de photographies est tout autre et on pourrait l’interpréter ainsi : les photographies maintiendraient, malgré tout, un rapport solide avec la réalité (comme s’il était à craindre que celle-ci soit perdue de vue), quand les interventions sur elles feraient place, ouvertement, à l’imaginaire – mais pour saisir, derrière une réalité qui pourrait bien paraître décevante, une qualité d’abord intuitivement perçue, qui serait la vérité profonde de l’œuvre. Comme jadis le bain révélateur permettait de faire apparaître l’image photographique, ici le travail de l’aquarelle, du crayon et du pastel est censé révéler, faire apparaître l’intériorité d’une image qui se dérobe, qui ne se rend pas immédiatement visible.

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Squiggle

Chaque volume monographique de cette collection suit un artiste dans son « tracé libre », selon la formule par laquelle J.-B. Pontalis traduit l’intraduisible mot anglais squiggle. Jeu de dessin à deux que pratiquait le psychanalyste D. W. Winnicott avec ses patients enfants, le squiggle instaurait une atmosphère de communication spontanée. Entendu dans une acception élargie, il nommera ici l’espace ménagé dans chaque œuvre au dialogue, à l’imprévu, à l’inconnu.