Cet ouvrage se donne à première vue comme un ensemble de propos, d’aphorismes — certaines de ses « phrases » qui le constituent sont effectivement la retranscription de paroles entendues ici ou là (de l’ouvrage de philosophie le plus sérieux aux paroles du « café du commerce » en passant par le vers poétique), mais l’ensemble forme bien un projet : le constat de notre finitude n’est pas uniquement mélancolique ou douloureux, au contraire, il est dynamique. (Avec une lecture de François Boddaert)
Livre étonnant par sa construction, le systématisme de ses recherches, son humour, le mélange des genres linguistiques, de la trivialité la plus commune à la richesse et la jouissance de l’ancien français auquel l’œuvre précédente de Jean-Pascal Dubost nous a habitués. Ce texte est lui-même en constante métamorphose, il est celui de l’inconstance des hommes pris dans la constance de la mort. Le seul fil narratif qui soit s’il en fallait un, est le fil de l’écriture, qui ne tient qu’à un fil, mais solide, ambitieux, poétique.
Après avoir célébré « Éros » en publiant l’an dernier à L’Atelier contemporain Lupercales, Jean-Pascal Dubost interroge Thanatos… Nos rapports à la mort : ils sont aussi nombreux que variés, uniques — voilà donc quelques centaines de phrases pour dire ce qui demeure pour tous et chacun, depuis la nuit du temps, indicible et terrifiant, et qui occupe, finalement, toute notre vie — l’actuelle pandémie du coronavirus est bien là pour nous le rappeler…
Texte écrit au fil du temps et au fil de ses carnets, en un temps court, sans préméditation aucune, seulement par nécessité, voilà néanmoins un livre véritable : lisible en piochant ici et là, le lecteur aura, à notre avis, plus d’intérêt à le lire dans sa continuité, qui dévoilera alors une construction parfaite, des ensembles tenus par des réunions thématiques ou un travail de langue.
Les auteurs
Hervé Bohnert s’attache à chercher les liens entre la mort et la vie. Passage indéniable et sort de tout organisme vivant, la mort est inlassablement interrogé dans les œuvres d’Hervé Bohnert et ce, depuis une vingtaine d’années : un jeu de défiance, un duel inéxorable entre l’artiste et la grande faucheuse se profile.
http://hervebohnert.com/
Né en 1963 à Caen, Jean-Pascal Dubost habite dans la forêt de Paimpont, dite forêt de Brocéliande. Co-fondateur en 2012 de l’association Dixit Poétic, il organise au sein de son association des actions poétiques et un festival en Brocéliande des poésies contemporaines (« Et Dire et Ouïssance »). En tant que lecteur et critique littéraire il collabore à la revue internet Poesibao, publie des articles dans différentes revues. Il a publié plusieurs livres de poésie (dont Assemblages & Ripopées, Tarabuste, 2021 et La Pandémiade, Isabelle Sauvage, 2022), et de prose (Compositions et La Reposée du solitaire, Rehauts 2019 et 2023), dont trois à L’Atelier Contemporain. Au total : « Un foutredieu de bougre de fuckin faiseur de poèmes ! » (Roger Lahu)
Photographie : © Michel Durigneux
Presse
Jean-Paul Gavard-Perret, Le littéraire.com
Georges Guillain, Les Découvreurs
Jacmo, Décharge
Jacques Josse, remue.net
Jean-Claude Leroy, Sitaudis
Jacques Morin, Poézibao
Extraits
Ho lecteur, que je suppose raisonnable,
En ces pages tu pourras lire des phrases
Dispersées en vrai vrac cinq carnets durant
Comme contrainte et quinze mois ce pendant.
Maintes modiques phrases à faire danser
Dans la tête & à lire dans le désordre
Pour se bien rappeler cela que la mort
Est tout & rien & que c’est du grand pareil.
Venez tous donc & hommes & femmes & enfants,
Jeunes & vieux, petits & grands, ou faibles & forts,
Venez, & lisez, prenez, puis très passez —
*
Et la vie qui toujours vous dit : mon ami, regardez ma face, et voyez ce que fait la dolente mort, ne l’oubliez désormais jamais, je suis celle que vous aimiez si fort, mais ce corps vôtre, vil et ord, vous le perdrez à jamais, il sera l’entremet puant de la terre et de la vermine, car c’est ainsi, la mort est dure, qui toute beauté fine,
Nous ne pouvons fuir, hélas, ni retrouver le temps perdu, et il est bien malingre et las, celui qui ne craint le douloureux las de l’esprit condamné, renversé par l’orgueil, oubliant tous les morts au-dessus de sa tête, auxquels ici-bas il faut pourtant penser,
Où sont les grands du temps naguère, les Jaurès, Gandhi, Luther King, ils furent tués piteusement, sont bouffis par la vermine à présent,
Et ceux si noblement créés, et en leurs grandeur et beauté d’âmes furent tant louables, ils sont en supplice éternellement, en pâture à la vermine idem,
Où sont-ils ceux si petits qu’ils sont ores là et nous hantent,
Mourir, mourir, mourir pour un seul mot, celui qui changerait la mort en or,
Être à ce point heureux que mourir serait un supplément de bonheur,
Heureux qui connaît qu’il faut finir,
Car contre la mort n’a point de fuite,
Et la vie qui toujours vous dit : mon ami, regardez ma face, et voyez ce que fait la dolente mort, ne l’oubliez désormais jamais, je suis celle que vous aimiez si fort, mais ce corps vôtre, vil et ord, vous le perdrez à jamais, il sera l’entremet puant de la terre et de la vermine, car c’est ainsi, la mort est dure, qui toute beauté fine,
Le passé est chétif et las, devant l’étendue future qui nous attend chacun,
Tout homme est vaste, car tout homme contient la mort,
C’est de chacun des morts au Yémen dont nous devrions parler chaque jour, et non de la mort d’un seul, nommé Johnny Halliday,
Il ne nous faut guère d’assaut, un peu de froid ou de chaud, et c’en est fait.
Un petit arrêt du cœur, un petit AVC, une petite rupture d’anévrisme et c’en est fait,
Que sont-ils devenus Saddam Hussein, Ben Laden, Nicolae Ceaucescu, sinon pareillement que Jaurès, Luther King et Gandhi,
Nous nous croyons au-dessus, et subitement déchéons pour se retrouver plus bas que terre,
Vous qui êtes vêtus de chic et paradez votre fric et frime, l’avantage de votre jeunesse ne durera pas longtemps, car comme tout le monde, vous finirez dolents vos jours,
Votre capital, ne l’emporterez pas au paradis, pas même dans la tombe,
Et la vie qui toujours vous dit : mon ami, regardez ma face, et voyez ce que fait la dolente mort, ne l’oubliez désormais jamais, je suis celle que vous aimiez si fort, mais ce corps vôtre, vil et ord, vous le perdrez à jamais, il sera l’entremet puant de la terre et de la vermine, car c’est ainsi, la mort est dure, qui toute beauté fine,
Et qui que ce soit ou quoi que ce soit qui a prononcé la sentence de mort contre l’homme a émis le plus juste des jugements,
Notre vie ne dure rien, que pour avoir deuil en la fin,
Nous souffrons de vivre, et nous empêchons de mourir,
Notre œil devrait être mouillé et devrions trembler frissons toutes fois que nous y pensons,
La mort n’a de nulluy crainte,
Regardez, regardez-vous, qui avez le visage rongé par le vers, pourris sont vos membres qui vous font trembler, regardez-vous, votre corps se vide,
La vie fuit, la mort est prête,
Les morts furent vivants, mais nous serons ce qu’ils sont maintenant ni plus ni moins rien,
Mauvais sommes et avons servi la mort plus que la vie, et cela le connaissons bien,
Et la vie qui toujours vous dit : mon ami, regardez ma face, et voyez ce que fait la dolente mort, ne l’oubliez désormais jamais, je suis celle que vous aimiez si fort, mais ce corps vôtre, vil et ord, vous le perdrez à jamais, il sera l’entremet puant de la terre et de la vermine, car c’est ainsi, la mort est dure, qui toute beauté fine,
Regardez où sont allés pères et mères, qui ont eu comme nous vie, et sœurs et frères et tantes et oncles, grand-mères et grands-pères, qui ont laissé les misères de leurs temps esquelles sommes trèstous,
Nous sommes comblés de mort sans nous en apercevoir, et souffrons tourments de damnés sans le savoir, désirant être non-nés sans le vouloir, la mort fait de nous des défaits dérisoires,
Qui ne naissons que pour pourrir en bonne et due forme,
Où sont ceux qui voulurent tout conquérir (liste serait trop longue), sinon qu’ils ont ores logis petit par-dedans terre,
Et les preux du temps présent, qui férissent tout à coup de tronçonneuses, et taillent leur futur berceau,
Papes, présidents et directeurs, la mort vous épie pour vous ôter du corps la vie et plus rapidement que vous ne le croyez, et après quand serez morts, vous serez ainsi que les pauvres pécheurs, que la pauvre racaille et la pauvre valetaille, vous serez hideux et puants au bout de quelques jours cadavériques,
Et regardez bien les morts, regardez Johnny Halliday qui un temps fut comme vous, car bientôt comme lui vous serez, qui n’est plus qu’un vulgaire nom, un flou souvenir, un squelette,
Et par ainsi, chacun s’abuse qu’il durera plus longtemps qu’autrui, quand de toute façon tout n’est que brièveté,
Pensez en quelles peines et en quantes douleurs votre corps souffrira au moment de mourir, au martyr qui vous assaillira, pensez aux diverses couleurs de votre visage à ce moment-là, ce sera de toute façon plus d’horreur qu’on ne peut nommer ici,
Et la vie qui toujours vous dit : mon ami, regardez ma face, et voyez ce que fait la dolente mort, ne l’oubliez désormais jamais, je suis celle que vous aimiez si fort, mais ce corps vôtre, vil et ord, vous le perdrez à jamais, il sera l’entremet puant de la terre et de la vermine, car c’est ainsi, la mort est dure, qui toute beauté fine,
Et la mort, la mort qui jamais ne vous dit rien, plus muette qu’une tombe,
Quand l’esprit voit que le corps part en couille, il faut à soi faire venir la joie d’avoir vécu, c’est la dernière somme de courage à avoir,
Mangez et baisez à volonté, servez-vous tant que c’est chaud, car une fois froid, n’y aura plus rien à faire, et braire regrets ne sera même pas possible,
Pensons doncques de bien finir, que dans la joie et la bonne humeur nous puissions finir, même si souvent on ne peut ce qu’on veut,
À toi donc, créature humaine, à toi est l’heure de trembler, à toi d’inconscience mondaine, à toi qui ne fais que passer, à toi qui te dilueras dans la peine, à toi qui en dois soupirer, à toi je dis que tu n’es rien, toi et ta vie, fors que fientes, ton corps bientôt deviendra poudre, bientôt ta vie sera outrée, bientôt que tu mourras comme un moins que rien, bientôt que tu seras pourri jusqu’à l’os, bientôt ta nature t’abandonnera, et combien que tu sois humain, combien qu’on craigne ta main, combien que tu croûles sous les honneurs, doute et crainte tu dois avoir sur ce qui t’attend, grande peine tu porteras, grande souffrance tu auras, grande douleur tu souffriras, jusqu’au dernier souffle, c’est pourquoi vis pour partir au petit matin.
Ici s’achève ce qui pourrait se poursuivre à l’infini mais qui sera sans suite et aura été conçu au bien gré de l’humeur, assavoir ce livre.