Les Cœurs des rois

La légende veut que le peintre Martin Drölling, né en Alsace en 1752, venu à Paris vers 1779, soit entré en possession en 1793, lors de la profanation des tombes royales de Saint-Denis, de la chapelle Sainte-Anne du Val-de-Grâce et de l’église Saint-Louis des Jésuites de la rue Saint-Antoine, de quelques-uns des cœurs des rois de France, dans le but de les utiliser comme « momie », coûteuse substance alors fort prisée des artistes, car permettant d’obtenir un rendu des couleurs incomparable. D’aucuns s’accordent à croire, sans preuve, que L’intérieur d’une cuisine, qu’on peut voir au Louvre, fut peint par Martin Drölling en 1815 en usant de ladite royale « momie ».

Édition bilingue présentée par Vincent Wackenheim et traduite de l’allemand par Marie-Thérèse Wackenheim. Dessins de Stefan Eggeler et Denis Pouppeville.

Date de publication : 4 novembre 2022
Format : 16 x 20 cm
Poids : 520 gr.
Nombre de pages : 184
ISBN : 978-2-85035-087-0
Prix : 25 €

Cette invraisemblable affaire, très sujette à caution, tout à la fois sulfureuse, inquiétante et propre à stimuler l’imagination, sera reprise et sublimée en 1907 par l’écrivain allemand Hanns Heinz Ewers, traducteur de Poe, d’Oscar Wilde et de Villiers de l’Isle-Adam, considéré comme un des maîtres du fantastique au tournant du siècle, dans une nouvelle intitulée Die Herzen der Könige, dont la version française paraîtra dès 1911 sous le titre Les cœurs des rois.
On y retrouvera le personnage de Martin Drölling, sous les traits d’un peintre torturé par la mission qu’il crut être sienne, de montrer dans ses tableaux la déchéance des rois de France, en y mêlant pour moitié leurs cœurs momifiés, l’autre étant destinée, non sans ironie, à devenir du tabac à priser. Le peintre se débarrassera d’une forme de malédiction en vendant ses toiles à Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans, petit-fils de Philippe Égalité, faisant ainsi s’entrechoquerl’Histoire.
La nouvelle fut rééditée à Vienne en 1922, accompagnée de six magistrales gravures, ici reproduites, de la main de Stefan Eggeler, étonnant artiste autrichien, familier d’Arthur Schnitzler, dont il réalisa les planches qui illustrent La Ronde en 1921, ou Le Voile de Pierrette en 1922.
À côté du texte allemand, une nouvelle traduction française est proposée, enrichie des créatures de Denis Pouppeville, qui ne craignent pas de se mesurer au monde fantastique de Hanns Heinz Ewers.

Les auteurs

Hanns Heinz Ewers est un écrivain allemand né en 1871 à Düsseldorf et mort en 1943 à Berlin. À travers ses nouvelles, ses romans et ses pièces de théâtre, il a élaboré une littérature de l’étrange, aux accents macabres et érotiques, tout en entretenant des relations ambiguës avec le parti nazi dans les années 1930. Il a notamment écrit L’apprenti sorcier (Der Zauberlehrling oder die Teufelsjäger, 1909) ou Vampir. Un roman tout en couleurs et en lambeaux (Vampir. Ein verwilderter Roman in Fetzen und Farben, 1920).

Chez Denis POUPPEVILLE se mêlent personnages insolites et grotesques, mi-hommes mi-bêtes dans une truculente mascarade. Denis Pouppeville s’inscrit dans la lignée des expressionnistes flamands, James Ensor, Permeke… Son dessin mêle encres, aquarelle, gouache au gré de la plume ou du pinceau. Daumier n’est pas loin : l’humour et le sarcasme mènent la danse dans une atmosphère jubilatoire.
Né en 1947 au Havre. Études aux Beaux-Arts de Paris puis travaille comme illustrateur de presse. A aussi enseigné à la faculté des Arts d’Amiens et à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris.
Depuis 1980, nombreuses expositions en France (Galerie Béatrice Soulié, Paris, Abbaye d’Auberive, etc.) et à l’étranger (Salon d’art de Bruxelles, Lausanne, Genève, Tokyo, etc.). Plusieurs rétrospectives lui ont été consacrées comme en 2011 au Fort de Condé.
Denis Pouppeville a aussi illustré de nombreux textes littéraires : Jules Renard, Jean Paulhan, Louis Calaferte, Gilbert Lascault, Alfred Jarry, Lionel Bourg, Léon Bloy…

Vincent Wackenheim est né en 1959 à Strasbourg, ce qui ne serait rien s’il n’était ensuite devenu libraire à Paris (mais d’occasion), au terme de quelques études de lettres, d’histoire et de droit, pour finir éditeur (en charge jusqu’à peu de la respectable Documentation française) – profession qui, pour être exercée avec un minimum de sérieux, demande d’avoir soi-même écrit une paire de livres, qu’on classera, faute de mieux, pour certains d’entre eux, dans la catégorie burlesque, pour peu qu’elle existe.
Il a publié Le Voyage en Allemagne (Deyrolle éditeur, 1996), La perte d’une chance (le temps qu’il fait, 2003), Coucou (Le Dilettante, 2005), La revanche des otaries (le Dilettante, 2009), La gueule de l’emploi (le Dilettante, 2011), Petit éloge de la première fois (Gallimard, folio 2€, 2011), Les décorés – en collaboration avec Christophe Mory (Art et Comédie, 2011), L’ordre des choses (Editions Léo Scheer, 2012), Chaos (Galaade, 2014) ; à nos éditions : Joseph Kaspar Sattler ou La Tentation de l’os (2016) et Bestioles (2020).

Presse

Thierry Guinhut, thierry-guinhut-litteratures.com

Guinhut sur Ewers

Extraits

"Avec en arrière-plan la Révolution française, et la troublante évocation de la « Mummie », l’écrivain fantastique Hanns Heinz Ewers propose en 1908 à notre imaginaire, par un entremêlement tissé de vérités et d’imprécisions, le portrait sulfureux de Martin Drölling, peintre de genre, auquel s’attacheront plus tard et le graveur Stefan Eggeler, en 1922, et, aujourd’hui, Denis Pouppeville, ces derniers - mais s’en étonnera-on ? - récusant tous deux le qualificatif d’illustrateur.
Ewers, Drölling, Eggeler, Pouppeville, quatre hommes donc, au chevet de l’idée que la peinture est bien un acte qui engage, et nous avec eux, à fréquenter les frontières du réel, la lisière ténue entre le bizarre et l’étrange, l’obscur et le macabre, ce dont ce petit livre veut, à sa manière, rendre compte."
(Vincent Wackenheim)

*

"La vue de ce tableau vous fait frémir ? Celui dont le cœur a servi pour cette peinture était d’une autre trempe – lui se serait réjoui de voir ce cœur, s’il avait pu l’admirer, tel qu’il est représenté maintenant ! Je lui ai vraiment consacré un beau monument. Mais comprenez-vous enfin, monsieur Orléans, ce que j’ai enduré ? Voyez-vous, je me suis approprié l’âme de chacun de vos ancêtres. Tous ont habité ici dans ce vieux corps qui se tient devant vous, les Louis et les Henri, les François, les Charles et les Philippe. J’étais obsédé par eux, comme par des démons, j’étais obligé de commettre à nouveau tous leurs crimes. Voici en quoi consistait mon travail. Comprenez que je n’étais pas comme un de ces pauvres malades mentaux atteints malgré eux d’un délire, au contraire il me fallait chaque fois, au prix d’énormes efforts, éveiller en moi de manière artificielle cette folie. Qu’il m’a fallu des semaines, des mois pour me plon- ger dans l’enfer de leurs fantaisies royales, et descendre dans les abîmes empoisonnées de leurs pensées. Il n’existe aucun moyen, monsieur Orléans, que je n’ai pas mis en œuvre dans ce but. J’ai jeûné, je me suis mortifié, pour éprouver ces extases sanguinaires et saintes, si éloignées des conceptions de notre temps. Je me suis plongé chaque jour dans l’ivresse, mais même dans mes délires les plus fous ne me venaient à l’esprit que les fantaisies bon enfant de l’inoffensif Martin Drölling. C’est alors que me vint l’idée d’essayer le tabac à priser ; j’ai réduit en poussière une petite partie de chacun de mes cœurs et je les ai prisés. Vous-même, monsieur Orléans, vous êtes amateur de tabac à priser. Vous savez comment le chatouillement d’un fin tabac agit sur les muqueuses de vos narines, comment il semble libérer le cerveau. C’est comme si l’oppression se levait, et que la respiration devenait soudain plus aisée.
Quant à moi, je ressentais, en même temps que cette agréable sensation, quelque chose d’autre. C’était comme si l’âme du roi dont je prisais le cœur prenait possession de mon cerveau. Elle s’y ancrait, elle chassait l’esprit de Martin Drölling dans son dernier recoin et y régnait en maître et roi. Et mon petit moi n’avait plus que la force de mettre sur la toile les royales folies sanguinaires – à l’aide de la couleur issue des cœurs royaux."

Littératures

Indifférente aux démarcations de genres, la collection « Littérature » entend représenter une approche curieuse de la création littéraire contemporaine. Poésie, récits singuliers, journaux, carnets, correspondances… : sans autres guides que la surprise et l’émotion, elle s’ouvre à des formes inédites, entêtantes, qu’elle enrichit en les accompagnant d’œuvres originales.

Indifferent to the dividing lines between genres, the collection « Literature » aims to represent a curious approach of the contemporary literary creation. Poesy, singular stories, diaries, notebooks, correspondence… : with no other guides than surprise and emotion, it opens up to new and enhanced forms, paired with original works of art.

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