Si Gérard Titus-Carmel en est venu à l’écriture par ses notes d’atelier, « de la peinture au bout des doigts », il serait réducteur de ne voir en lui qu’un « peintre-qui-écrit ». On se souviendra qu’il est à ce jour l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages et recueils de poésie, dont la matière, tout en témoignant, de même que son activité d’« illustrateur » (notamment aux côtés d’Yves Bonnefoy), d’une continuité complexe entre le geste d’écrire et le geste de peindre, n’en présente pas moins une pleine autonomie. Un écrivain, donc, aussi bien qu’un peintre. De sorte que le présent recueil, réunissant l’ensemble de ses écrits sur la littérature, constitue le second volet d’un véritable diptyque inauguré par Au Vif de la peinture, à l’ombre des mots, qui rassemblait tous ses textes sur l’art.
Présentation de l’auteur :
Ces Écrits de chambre et d’écho sont à entendre comme ils ont été rédigés au fil du temps, mais toujours dans le silence particulier de l’écart ménagé dans le travail journalier du peintre, qui attend de la confidence des mots un signe clair de ralliement (pour dire : une complicité), afin de socler l’imaginaire qui sous-tend (et qui arme) une même entreprise : textes de campagne, donc, rêveries et digressions, arrêts sur image et commentaires où s’énonce une forte amitié pour le livre et la poésie, études et récits pris au piège du pur plaisir d’écrire pour se poser en écho à celui de peindre. D’une rive à l’autre : d’un côté la forme en sa présence, de l’autre la langue en son hommage. Les deux offerts au même vertige que suscite le sentiment de n’avoir rien à pardonner à cette vaste blancheur d’être où se polit l’absence.
Les auteurs
Gérard Titus-Carmel est né en 1942. Après des études de gravure à l’école Boulle, il s’affirme comme dessinateur et graveur. Travaillant par série autour d’un objet ou d’un thème, il analyse d’abord les processus de décomposition ou d’usure d’une forme. À partir de 1972-1973, il élabore lui-même le "modèle" que réclame son travail : petit coffret, nœuds, épissures, constructions de branchages sont fabriqués pour satisfaire le plaisir de dessiner, une dialectique inédite se trouvant ainsi instaurée entre la série et son référent. Dans les années quatre-vingt, Titus-Carmel revient à la peinture, procédant toujours par ensemble : Caparaçons, 1980-1981 ; Éclats, 1982 ; Nuits, 1984 ; Extraits & Fragments des Saisons, 1989-1990 ; Forêts, 1995-1996 ; Nielles, 1996-1998 ; Sables, 1999 ; Quartiers d’Hiver, 1999-2000. Il y déploie des ressources techniques s’autorisant toutes les libertés pour épuiser son prétexte avec une assurance formelle et chromatique remarquable. Il a illustré nombre d’ouvrages de poètes et d’écrivains, et il est lui-même auteur d’une cinquantaine de livres : récits, essais, recueil de poèmes, écrits sur l’art.
Presse
Débat de Gérard Titus-Carmel avec Patrick Werly, le 28 septembre 2019, à la Librairie des Bateliers (Strasbourg) à écouter ici.
Articles de Fabien Ribery (site L’Intervalle) ; Marc Verlynde (site La Viduité).
Extraits
J’entends pratiquer l’exercice de l’écriture avec ce même sentiment d’être toujours au bord du gouffre et de n’avoir rien à pardonner à cette vaste blancheur sur laquelle je me tiens également penché. Les textes succèdent aux textes, je connais une folie d’écrire – sur la poésie, sur la peinture ; sur des auteurs de la marge, somptueux et dédaignés, ou insuffisamment fréquentés ; sur des peintres hors-norme, qu’il est de bon ton d’aimer trop tard, et souvent pour de mauvaises raisons. Sur la beauté et son fracas ; sur l’absence. Et il arrive parfois, comme en un muet retour d’écho, que la peinture heurtant le mur du silence qu’elle révèle, demande à son tour la trêve, qu’elle exige un peu d’air et des mots pour l’accompagner ; et qu’elle commande le projet d’un poème à ses côtés, d’une suite de poèmes, d’un livre, même, pour se mesurer à sa construction et ne plus se sentir trop seule. Elle se conforte alors des mots comme d’une parole amie, bienvenue à ses abords et qui l’aide à se comprendre.
Pareillement, la poésie prend leçon aux parages de la peinture, tout en s’informant d’elle-même, là où elle se bâtit dans la phrase, dans le rythme et la scansion des mots, comme dans l’arrangement des fragments qui composent le poème ; c’est sans doute aussi ce que je cherche dans l’organisation des signes tracés sur la toile qui me fait front dans l’atelier : un même défi à m’inscrire dans l’ici-présent du monde, avec le vague espoir que tant d’énergie dépensée ne peut coïncider qu’avec une secrète nécessité – et que toutes ces traces me confirment que ce n’est pas seulement un rêve : qu’il y a quelque raison de rompre ici une couleur, de calmer cette surface au gris ou au contraire de l’enflammer au rouge, sans que cela soit un caprice ; comme il y a urgence à écrire les mots « ressac » ou « amer » sur la page d’écriture qu’on tend à la marée.
[…] Pas de chemin de traverse, donc, pas de passerelle à franchir pour que l’une [des pratiques] vienne commenter l’autre ; pas de remords hors-cadre, de gloses ou d’apartés. Pas d’éclaircissement non plus à attendre – seules, deux solitudes à combler en veillant autant à l’amitié de leur voisinage qu’à la qualité de leur élan, en formant le vœu de demeurer présent en ce lieu où leurs trajectoires se croisent dans le même récit d’être. Et c’est dans l’épaisseur poétique de leur lancinance réciproque où chacun joue pour soi, allant l’amble avec l’autre, que je me tiens debout. Leurs échos se répondent de loin, mais je travaille toujours là, au milieu, à leur écoute. Comme dans un double lieu où, à tout moment, tout peut s’indéfinir.