L’oiseau traverse nos vies nos balcons nos regards. Le rendez-vous est quotidien et on voudrait l’écrire. On répertorie son geste d’envol. On attend que ça entre un peu en soi. On dresse un piège à poèmes. On écoute l’oiseau chanter encore. Étirement dans l’étendue de la page. Héron ou martinet. Quelques corvidés. La pie aussi. Circulation des flux jusqu’en nos dedans : on se relie. Le peintre, dans un grand geste d’air cueillant et l’oiseau et l’arbre, nous accompagne.
La prière d’insérer de JACQUES DEMARCQ :
Pourquoi des poètes, depuis lurette, sont fascinés par les oiseaux ? Plus que par les vaches, lapins, mulots ! Parce qu’ils – mouettes, merles, corneilles, alouettes, goélands, buses, rouges-gorges, mésanges, étourneaux, martinets, pies, hérons – apportent un autre monde : à vif avec la vie, fragile et léger, changeant, mélangé, sans prévention. Pas besoin d’imaginer, suffit d’observer. Ce que fait Jacques Moulin : dans son jardin, son cerisier au printemps ; les champs autour, l’hiver inondés ; au bord de la rivière. Ils sont là, bavards discrets, farouches effrontés, égarés parfois, toujours remuants. Le poème ne les attrape pas ; il joue avec eux, à être eux un peu : « Tu rêvais à cette agilité de plume ». La pensée picore des instants volatiles, où les mots volettent avec des sourires surpris, incrédules. Et Moulin de retrouver le rondel des anciens, dont les ailes tournent avec son nom. Jusqu’à cette merveille : un héron, suscitant un poème élancé, échassier final, d’une tranquille vivacité.
Avec une gravure originale d’Ann Loubert.
Les auteurs
Ann Loubert, née en 1978, a étudié la peinture à l’École des Arts décoratifs de Strasbourg. Son travail est en prise directe avec le réel : portraits, paysages, scènes de vie, fleurs… Elle dessine et peint avec le sujet sous les yeux, sans passer par l’intermédiaire de la photo. Sa démarche est double : la pratique nomade du dessin, assidue, quotidienne, lui permet de glaner des images, des moments de vie, par des croquis rapides et instantanés ; la pratique de l’atelier, nécessairement sédentaire, propose une autre temporalité, celle par exemple des temps de pose. Ce travail sur le motif donne une peinture figurative mais allusive, pratiquant l’ellipse, la suggestion, la recherche de lignes épurées. Les techniques et les matières sont choisies pour leur fluidité – aquarelles, encres sans épaisseur… – et permettent de saisir une réalité mouvante, parfois fugace.
Son site Internet.
L’Atelier contemporain a organisé plusieurs exposition de ses œuvres — voir notre rubrique Expositions
Un dossier a été consacré à sa peinture dans le n°1 de la revue « L’Atelier contemporain », et L’AC a édité plusieurs de ses gravures.
[Autoportrait au cœur de bœuf, 2005, huile sur toile, 120 x 80 cm.]
Jacques Moulin, né en Haute-Normandie en 1949, vit à Besançon. Enseignant il a fondé et co-anime les "Jeudis de poésie". Il a publié plusieurs livres de poèmes, notamment : Valleuse (Cadex, 1999), La mer est en nuit blanche (Empreintes, 2001), Escorter la mer (Empreintes, 2005), Archives d’îles (L’Arbre à paroles, 2010), Entre les arbres (Empreintes, 2012), Comme un bruit de jardin (Tarabuste, 2014), À la fenêtre du transsibérien (L’Atelier du grand tétras).
Une bibliographie de J.M.
[Ann Loubert, Portrait de Jacques Moulin, aquarelle et crayon sur papier, 2014, 80 x 60 cm.]
Presse
Laurent Fourcaut (« Place de la Sorbonne »).
Jacqueline Michel (« Poezibao »).
Jean-Paul Gavard-Perret (« Sitaudis », « Critiques libres »).
Lucien Wasselin (« Recours au poème »).
Richard Blin (« Le Matricule des anges »)
Antoine Emaz (« CCP » n° 27)
Tristan Hordé (« Les Carnets d’Eucharis », 2014)
Serge Martin (« Europe » n° 1028)
> cf. fichier PDF ci-après
Extraits
L’oiseau vole dans ses plumes sans plus de dents qu’un enfant pour mordre l’air. Passereau passera emportant dans son sac tous les outils qu’il faut jabot gésier gravier et un œil qui ronde. Trois doigts bien en avant et puis l’autre en arrière passereau dans le rang tout un ordre dit-on conirostre ou corvidé.
De l’oiseau jusqu’à nous un lien crémeux d’urine. C’est l’onction des plus hauts. L’oiseau est pneumatique et écrit chaque jour ses messages de fiente aux paraphes des vents.
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Les oiseaux de passage espacent l’habitude
On dit d’eux qu’ils font cycle
Ça nous rassure
Nous qui demeurons sur la margelle de pierre
À guetter l’entrée des petits matins
Si d’aventure on voit passer de ces oiseaux
Sautons le pas dit de saison
Sous le temps de leurs plumes
Un vent qui nous espace
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L’oiseau remet nos os
en place
étirement dans l’étendue
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Encore un goéland
Pour t’apporter la mer
Et ce grand souffle d’air
Qui manque à nos élans
Il faut partir au vent
Loin des rochers amers
Encore un goéland
Pour t’apporter la mer
Sur l’île ou l’océan
L’oiseau prend ses repères
À l’aune de l’éclair
Il fulgure devant
Encore un goéland