Par épisodes tirés d’une vie de recherche sur l’art des XIXe et XXe siècles, Christine Peltre retrace l’histoire savante et subjective d’un « décadrage » de l’Orient. En un peu plus d’une douzaine d’étapes, elle nous guide à travers certains de ces hauts lieux de l’« ailleurs » que nous connaissons souvent par les images de nos musées – Athènes, Istanbul, Izmir, Alger, Marrakech, Tunis… – et dans ces villes d’Europe de l’Ouest – Marseille, Barcelone, Madrid – où universitaires et institutions culturelles s’efforcent d’écrire à frais nouveaux, l’histoire du pourtour méditerranéen.
Dans le sillage de L’Orientalisme d’Edward Saïd, les études postcoloniales ont mis en évidence la couche de « pittoresque » contenue dans les images des peintres occidentaux de l’Orient, au point que certaines d’entre elles pourraient s’assimiler à des images d’Épinal. Selon cette perspective, l’Europe aurait considéré la Méditerranée et le Proche-Orient à l’aune de sa propre fascination, à la fois quête des origines, appel de l’ailleurs, fantasme de sensualité et déprédation symbolique. Cela posé, quelles sont les conséquences d’un tel dessillement sur l’art et sur l’histoire de l’art ?
Elle-même amenée à s’y rendre pour prendre part à des colloques, l’auteure, au fil d’échanges avec des collègues étrangers, de rencontres avec des artistes et de déambulations urbaines, met à l’épreuve de la réalité le cadre académique de ses réflexions et son regard « orienté ». Délicat exercice de décentrement, qui consiste moins à laisser le réel d’aujourd’hui dompter les fantasmes d’hier qu’à concilier la rigueur scientifique, la probité de l’observation et « cette voix lancinante qui s’élève vers l’inaccessible » et qui continue de résonner aux oreilles du voyageur.
Dans un dialogue sensible avec les grands témoins de « notre » Orient – Delacroix, Gautier, Hugo, Fromentin, Flaubert, Loti… – et les recherches artistiques et universitaires actuelles, Christine Peltre combine essai érudit, récit de voyage et autobiographie intellectuelle.
Ouvrage publié avec le concours de l’Université de Strasbourg.
Les auteurs
Christine Peltre est professeure d’Histoire de l’art contemporain à l’Université de Strasbourg. Elle y a dirigé l’Institut d’Histoire de l’art entre 2002 et 2013, et est depuis janvier 2014 présidente du Comité français d’Histoire de l’art. Elle a consacré plusieurs ouvrages à l’orientalisme, dont L’atelier du voyage. Les peintres en Orient au XIXe siècle (Gallimard, 1995), Les Orientalistes (Hazan, 1997 et 2018), Théodore Chassériau (Gallimard, 2001), Dictionnaire culturel de l’Orientalisme (Hazan, 2003 et 2008), Les arts de l’Islam. Itinéraire d’une redécouverte (Gallimard, 2006), Le Voyage de Grèce. Un atelier en Méditerranée (Citadelles et Mazenod, 2011), Le voyage en Afrique du Nord. Images et mirages d’un tourisme (Bleu autour, 2018).
Presse
Jean-Paul Gavard-Perret, lelittéraire.com
Présentation du livre (extrait) par Christine Peltre (à la Librairie des Bateliers, octobre 2021°
Extraits
Présentation de l’auteur
Cet ouvrage n’est pas à proprement parler un ouvrage universitaire, même s’il est consacré à une expérience et à une réflexion issues de la recherche. C’est un essai inspiré par une série de voyages et de rencontres qui se sont déroulés, la plupart du temps, à l’occasion de colloques, dans le cadre d’une activité scientifique menée sur les représentations de l’Orient. Contrairement à ses publications antérieures sur ce sujet, régies par les usages académiques, l’auteur s’exprime ici à la première personne et accorde une place aux circonstances, aux descriptions, qui peuvent donner au livre la forme d’un récit de voyage. La plupart des chapitres sont construits autour d’une de ces expériences et, sans renoncer à leur caractère pittoresque ou anecdotique, tentent d’en dégager une signification plus générale.
L’étude de l’histoire de l’art aux XIXe et XXe siècles est à la source de ces étapes et le livre, qui sera illustré, évoque un certain nombre d’artistes dont l’œuvre est aussi éclairée par les références littéraires. L’idée est ici de considérer un corpus au prisme des regards actuels dans les « géographies » qui l’ont inspiré et l’on souhaite ainsi esquisser, dans une sorte de « décadrement » des peintures et dessins, une ouverture disciplinaire. Au cœur du sujet, l’orientalisme revisité par Edward Saïd est interrogé sous l’angle de plusieurs problématiques : la confrontation, comme à Izmir, de la ville d’aujourd’hui avec les décors représentés au XIXe siècle, le dialogue parfois difficile avec un public ou des chercheurs de « culture orientale », comme à Barcelone ou à Tunis, la relecture de certains fantasmes comme ceux des « Turqueries » à Ankara - sans déguiser la permanence des exotismes à l’ancienne, comme à Istanbul celui de Pierre Loti.
L’objectif est aussi de s’interroger sur l’origine et le développement d’un « désir », né avec l’enfance et enrichi au contact de divers foyers dont celui de Strasbourg (« Les ailleurs de l’Est »). Cette réflexion peut prendre place au sein de semblables enquêtes sur les pratiques universitaires, sur la manière dont s’élabore et s’amplifie une orientation de la recherche. Ce témoignage peut, par exemple, apporter une contribution à « l’histoire émotionnelle du savoir » étudiée par Françoise Waquet (2019).