Sans peinture

Comme tout le monde, j’ai regardé des tableaux avant de savoir lire et écrire. J’ai toujours regardé les couleurs, longtemps, incompréhensiblement. Je ne suis pas devenu peintre.
Plus tard, j’ai commencé à écrire. J’ai voulu reprendre ces plongées, poursuivre ces tableaux, courir après l’effet qu’ils me faisaient.
Écrire pour encaisser la peinture, en retourner l’impact, en vivre les conséquences. Presque toujours de mon propre chef, j’ai essayé de savoir ce que ces œuvres voulaient, et me voulaient, comment elles portaient mes couleurs en emportant leur désir.
Réunir ces textes c’est l’occasion de faire le point sur ces chemins d’art. C’est aller voir comment écrire et peindre se croisent, se quittent, s’accompagnent. Comment chacun sépare pour agir côte à côte, mais regarder le monde ensemble.
Observer dans les corps le renvoi des effets au fin fond de leurs sources, et vers où ils engagent. Ce faisant, c’est, d’une même main, ajouter un pan à l’aventure des Juliau puisqu’au fond regarder un paysage ou des tableaux, c’est la même opération.

Date de publication : 23 mai 2017
Format : 16 x 20 cm
Poids : 680 gr.
Nombre de pages : 224
ISBN : 979-10-92444-54-4
Prix : 25 €

Des textes (essais et poèmes) à propos de : Gilles Aillaud, Pierre Buraglio, Anne Deguelle, Eugène Delacroix, Claude Garache, Shirley Jaffe, Bernard Moninot, Myonghi, Aurelie Nemours, Roman Opalka, Brigitte Palaggi, Gérard Schlosser, Javier Tellez, Carmela Uranga, Jan Voss, Paul Wallach.

Ouvrage publié avec le concours du CNL.

Les auteurs

Nicolas Pesquès, né en 1946, commence à écrire en mai 1971.
Le poème La face nord de Juliau débute en 1980 ; il compte aujourd’hui dix-huit livres publiés (chez André Dimanche et chez Flammarion). À l’origine, il s’agit d’une tentative de transposition : appliquer à l’écriture d’une colline ardéchoise l’insistance et l’assiduité de Cézanne sur son motif. Exprimer pas à pas le vif et l’intégralité du paysage. Mais dire une colline, compte tenu des phrases qui la façonnent et du corps qui les éprouve, c’est entrer dans la nuit de l’expression. Le projet est devenu une aventure. Il a absorbé son questionnement, déplacé les éclairages. Il est happé et repoussé par cette relation qui interroge « la nature des choses » via l’articulation d’un langage. Le projet est inachevable. En tant que poème, il est imprévisible. C’est du cœur de cette cécité qu’il travaille. La dix-neuvième et dernière version de La face nord de Juliau paraîtra chez Flammarion en 2023. La question de l’image sera centrale, comme dans ses écrits sur Gilles Aillaud.
Les autres poèmes publiés peuvent être considérés comme des excroissances, des poussées respiratoires hors du tronc central. Parallèlement, la fréquentation de la peinture accompagne et nourrit l’ensemble du travail, ce dont atteste Sans peinture (L’Atelier contemporain, 2017), recueil de textes sur les œuvres de Pierre Buraglio, Anne Deguelle, Bernard Moninot ou Shirley Jaffe, entre autres.
Le site de N.P.

Presse

Articles de Jean-Paul Gavard-Perret  : « lelittéraire.com » et le « blog de l’art helvétique ».

Monique Pétillon (« Le Monde », 23 juin 2017) :
« Rassemblant les textes qu’il a écrit au fil des années sur des œuvres de peintres, de Claude Garache à Jan Voss, de Gilles Aillaud à Roman Opalka, Nicolas Pesquès s’interroge, dans un long préambule inédit, sur le statut de ces textes : ni histoire de l’art, ni critique, ni philosophie, ni même vraiment poésie. Il s’agit, à côté de ces tableaux, comme devant le paysage de l’Ardèche auquel Pesquès consacre une œuvre poétique splendide et inachevable (suite des Juliau), d’engager son corps dans une contemplation. De retrouver l’élan, le rythme qui a fait naître ces petits blocs d’énergie picturale. D’éprouver à son tour le choc initial qu’évoque, citée par le poète, une lettre fulgurante du peintre Nicolas de Staël : On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir, semblable, différent.

Laurence Arzel Nadal (« Critique d’art ») :
Les Editions de l’Atelier contemporain proposent un très bel ouvrage de Nicolas Pesquès. Il se décline en deux parties, l’une à la manière d’une longue introduction composée de trois préambules, de notes, d’une sélection de documents iconographiques et de peintures ; l’autre, constituée d’une série de regards, mis en mots, sur les œuvres de différents artistes, Jan Voss, Gilles Aillaud, Pierre Buraglio, Kang Myonghi, etc. L’écriture de Nicolas Pesquès est une véritable traversée, elle donne la sensation unique d’un maillage corporel de pensées critiques, poétiques, philosophiques, existentielles, conscientes et non-conscientes, qui s’actualisent face à l’œuvre. Corps à l’œuvre, corps de l’œuvre, ou encore, « poche à flux », selon l’expression originale de Nicolas Pesquès, il y va ainsi d’une pulsionnalité du regard qui se veut aussi inévitablement cultivé. Le corps devient l’interface entre l’œuvre et le texte : « Voir avec des mots ce qui le fut sans eux », en suivant l’implication du corps, son agitation devant la peinture et cette tension pour « y vivre des sentiments, y effectuer des pensées ». Sans peinture est une mise en tension, la pensée de l’auteur est en mouvement, elle est vive, et incite le lecteur à la poursuivre : écrire sur ce que cela suppose d’écrire, quand le regard se pose sur l’œuvre, avec ce sentiment de distance, d’intimité d’écart, éprouvé et reconduit infiniment. Tout est bon pour tenter le saut, pour franchir le vide. Belle tentative que cette formule, l’œil des mots, (l’œil de la lettre, diraient les typographes), pour venir rassembler les questions qui animent l’écriture de Nicolas Pesquès. Il est intéressant de constater que ce dernier nous livre sa « mnémosyne » personnelle non seulement à travers de beaux montages, de belles conjonctions et frictions d’images, mais aussi à partir d’une juxtaposition de notes et pensées sur l’écriture de l’œuvre, à l’œuvre. Tels les oiseaux de Gilles Aillaud, dans cet envol réalisé l’été 2003, reste la question ouverte sur le ciel : comment échapper à la peinture ? L’écriture serait-elle cette échappée ?

Extraits

Trois préambules

1

« J’appelle corps toute activité non consciente qui porte mon activité consciente »

Mais corps est aussi plusieurs mondes. Jamais clos, jamais identique, il inclut le dehors, les galaxies de la pensée et encore, comme au bout distendu de lui-même, les trous noirs de la vie, ceux de la réflexion, là où s’abîme la phrase. Et même la grammaire. Et aussi la peinture.

Ne pas faire du corps quelque chose d’unitaire, plutôt une poche à flux, carcasse impactée de part en part, jetée à tout instant dans le grand bain des perspectives, parmi les secousses de la langue et la circulation – toutes les circulations – d’idées, de rêves et de mémoire. Corps devenu celui qui passe, le brinqueballé, le cogné de partout, qui se divise pour se multiplier, qui écrit et peint pour ça, pour flotter, pour, le temps d’une vie, vouloir la traverser.

Les activités vécues dans les textes qui vont suivre – peinture, écriture, écrire la peinture – proviennent toutes de corps où elles ont germé et transité.

Il n’y a pas que les peintres qui produisent des images, les écrivains aussi.

Mais il n’y a que les corps qui aillent des unes aux autres, qui soient capables d’ingérence. Les corps avec leurs pensées et leurs sens attachés à tel ou tel espace, détachés de tel ou tel rêve, perdu chacun dans sa chronique, dans ses anachronies, traversant un instant un espace commun, y croisant quelques semblables, puis repartant en solitude.

Corps si proches, traversant les séparateurs, à se toucher, d’autant plus séparés, et par le silence de l’absorption et par le voyage dans les images.
Tous ceux qui lisent, égarés, toujours là, contemporains.
Tous ceux qui regardent dans les musées, ensembles et solitaires, comme devant un paysage.

2

Comment font toutes ces œuvres si différentes, pour m’atteindre avec une telle force ? Que font-elles à mon corps, qu’y font-elles dedans ?
Sans doute ne me touchent-elles pas toutes de la même façon. Sélectionnant qui le regard, qui la pensée, qui un couple de sens attirant tous les autres dans son sillage – et par sens j’entends non seulement les cinq traditionnels mais aussi la réflexion, le désir. Ainsi produisent-ils cet arc-boutement, cette tension, toutes antennes dehors, qui vont m’accaparer longtemps.

Et c’est tout l’incontrôlable de l’art d’ignorer comment faire, comment glisser du son entre deux mots et des odeurs partout quand la couleur est au mieux. Imaginer comment le corps s’y prend pour ratisser les sens derrière un seul, construire un amalgame et ne plus savoir qui que quoi tracte et jouit, tire et tombe,

qu’une phrase devienne un vers
et un vers une proposition

et le tableau disparaît d’être là, il disparaît comme s’il avait été repris, comme si les mots l’avaient laissé intact en l’aspirant

et à la fin ça touche
comme des yeux plongeant les uns dans les autres.

Il y a toujours quelque chose de construit qui arrive dans le cœur, et toujours à la fin l’ébranlement échafaudé, la récompense du bâti : l’émotion.

Et puis il y a le chemin inverse, l’autre façon de considérer l’activité artistique, son élan avant même ses effets, sa volonté d’aller où elle va, comme elle va
comme s’il était possible de suivre le chemin emprunté par le peintre, d’y engager le corps, d’y trouver l’espace, d’y inventer le temps qui partage ses battements.

Et ainsi écouter ce qui se passe de ce côté, sous la peau d’à-côté, dans la chair qui se tait et s’active. Qui peint. Qui sculpte.
Qui suit son chemin de peinture, qui le dit en peinture, qui le pense comme ça, c’est à dire sans les mots pour le faire, avec les choses seulement dont on sait qu’elles contiennent les idées, qu’elles sont les idées.

Et les passerelles toujours improbables, les illusionnistes et les menteuses : les fières langagières.

3

Je chercherais bien, comme sur les planches de l’Album Mnémosyne d’Aby Warburg, mais à rebours : non pas pourquoi je réunis ces œuvres mais, les regroupant par la force des textes existants, ce qu’elles peuvent bien partager, ce qui court en sous-main parmi elles et qui n’appartient pas qu’à ma sensibilité, encore moins à mon goût, mais plutôt à ce que nos organismes ont en partage. Ceux des artistes qui y ont jeté leurs forces autant que le mien appelé à y prendre part.

C’est ici qu’il faut mettre les choses les unes à côté des autres. Il faut accrocher et montrer. Il faut composer l’album de leur collectif si toutefois celui-ci peut être établi, si quelque chose peut paraître qui ne soit pas que de l’écriture.

À moins que ce ne soit la disjonction qui éclate, qui soit première, que ce soit bien le règne de la séparation qui ouvre l’empire de la rencontre. À l’image du corps qui serait à la fois le dénominateur commun et aussi le plus grand diviseur.

Reste la question du savoir, donc du statut de ces textes. On y apprend peu de choses, ils ne font pas d’histoire de l’art, ni de critique, ni de philosophie ni même vraiment de poésie. Ils ne le prétendent d’ailleurs pas. Mais qu’y lit-on ? Que peut-on sinon en retenir du moins en éprouver ?

Ils écrivent. Ils tentent, à côté des œuvres, de leur côté, ce qu’ils croient leur voir faire. Ils investissent cet élan qui les a conduits à ce qu’ils sont devenus : des tableaux, des sculptures.

À leur façon, ils essaient de « s’introduire dans leurs histoires », mais autrement, non pas d’écriture à écriture, comme le fit Jacques Dupin, après Mallarmé, mais d’écriture à peinture, à sculpture, dans ces « espaces autrement dits ».

Feuilleter… Sans peinture

Essais sur l’art

L’essai est une forme qui se détermine à chacun de ses usages, une forme différant sans cesse d’elle-même, autrement dit une forme ouverte. Ne jamais quitter le terrain de l’expérimentation pour celui de la certitude, c’est ce que voudraient permettre ces « essais sur l’art », qui dans leur pluralité ont en commun de chercher moins à dire une vérité figée sur les œuvres qu’à remettre en jeu et en mouvement leur secret.
« Un discours sur l’œuvre de peinture qui ne serait autre que le discours de l’œuvre de peinture est-il possible ? » (Louis Marin) — voilà qui pourrait être un des enjeux de cette collection.

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