Nicolas Poussin, pour rappeler que son métier n’était pas d’écrire mais de peindre, se désignait ainsi : « moi qui fais profession de choses muettes ». Prolongeant l’esprit de cette formule énigmatique et fascinante, Conversations avec les choses muettes entend mettre en oeuvre et interroger la façon dont la parole écrite peut tenter d’entrer, malgré tout, en dialogue avec les œuvres d’art. Car si elles ne répondent pas lorsqu’on s’adresse à elles, elles ne condamnent peut-être pas pour autant à un silence sans issue.
Les objets inertes qui nous entourent sont silencieux. Être muet, c’est autre chose. Pour cela il faut normalement être doté, peu ou prou, de la faculté de la parole et s’en trouver privé par accident ou s’en abstenir momentanément. La peinture, comme la sculpture, le dessin, la photographie, devrait être dite silencieuse. Mais Poussin, le peintre, dit qu’il fait profession de choses muettes. On peut se demander pourquoi il entend, si l’on peut dire, dans la peinture, du mutisme plutôt que du silence.
Les œuvres visuelles se taisent parce que, peut-être, ce qu’elles pourraient avoir à dire, elles préfèrent le garder secret, ou le dévoiler à mots couverts.
Ce livre entreprend une brève (mais scrupuleuse) exploration, sans doute plus aléatoire et aventureuse que méthodique, des différents motifs pour lesquels les œuvres d’art, d’époques et de provenances diverses, appellent aujourd’hui – ou non – un minimum de commentaire.
Que gagne-t-on à connaître la date d’une œuvre, son époque ? Et le nom de l’auteur, sa place convenue dans l’histoire de l’art ? Et le titre de l’œuvre ? Donné par qui ? Faut-il chercher à savoir l’intention qu’avait l’artiste ? Quels sont les droits de l’interprétation (en art) ? Existe-t-il des œuvres qui ne requièrent aucune information préalable à leur compréhension, à leur appréciation ? – Toutes questions indiquant assez qu’on voudrait se placer ici du côté des esprits intelligemment ingénus.
Les auteurs
Jean Galard est ancien élève de l’ENS Saint-Cloud, agrégé de philosophie. Avant d’être directeur du service culturel du musée du Louvre de 1987 à 2002 – expérience dont l’enseignement même est à l’origine de ce livre –, Jean Galard fut professeur d’esthétique au département de philosophie de l’Université de São Paulo, attaché culturel d’ambassades et directeur de centres culturels français à Casablanca, Niamey, Istanbul, Mexico, Amsterdam.
Il a publié : La Beauté du geste (Les Impressions nouvelles, 1986), La Beauté à outrance (Actes Sud, 2004), La Joconde est dans l’escalier (Les Impressions nouvelles, 2020) ; à propos du musée du Louvre : Visiteurs du Louvre, un florilège (RMN, 1993), Les Mots du Louvre (Paris Musées & Actes Sud, 2003), Promenades au Louvre, en compagnie d’écrivains, d’artistes et de critiques d’art (Bouquins, 2010), Le Louvre des écrivains (Citadelles et Mazenod, 2015).
Il a participé aux ouvrages : Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? (Gallimard, Art et artistes, 2000), Ruptures. De la discontinuité dans la vie artistique (ENSBA, 2002), L’œuvre d’art totale (Gallimard, Art et artistes, 2003).
Presse
Entretien de Jean Galard avec Yves Tenret, Radio Aligre
Thierry de Fages, Le Blog de Phaco
Suzanne Ferrières-Pestureau, Wukali
Paule Martigny, Blog des arts
Didier Pinaud, Les Lettres françaises
Ivanne Rialland, La cause littéraire
Christian Rosset, Diacritik
Yves Tenret, Bon pour la tête
Extraits
Retenons (...) de Paul Valéry ce qu’il écrivait au tout début de son texte Autour de Corot, en 1932 : « On doit toujours s’excuser de parler peinture. » C’était pour ajouter aussitôt : « Mais il y a de grandes raisons de ne pas s’en taire. » Avant que Degas n’assène son argument en quelque sorte professionnel ou corporatif, Corot avait déjà professé, comme le dit Valéry, « je ne sais quelle horreur sacrée à l’égard de notre espèce, pour autant qu’elle se mêlait de son métier. » – Pourquoi alors ne pas se taire ? – Parce que « tous les arts vivent de paroles : toute œuvre exige qu’on lui réponde. »
Tel était aussi l’avis de Lucien de Samosate, rhéteur, satiriste, originaire du royaume hellénistique de Commagène, qui écrivait en grec, au IIe siècle de notre ère : « L’homme instruit qui considère les belles choses ne se contente pas de la jouissance des yeux ; il ne reste pas spec- tateur muet de ces beautés ; il essaie de son mieux de s’en pénétrer et de les exprimer par une parole reconnaissante. »