Recueil des écrits de l’artiste, sur des grands maîtres de l’histoire de l’art avec lesquels il est en « conversation », qu’il questionne depuis sa pratique de peintre, et d’autres textes sur la matérialité de l’œuvre, le travail de la couleur.
Patrice Giorda n’est pas un historien de l’art, ni un critique, ni un touriste égaré dans une exposition, c’est un peintre qui parle d’égal à égal avec ceux dont il approche les œuvres : Piero della Francesca, Courbet, Picasso, Gauguin, Hopper, le Caravage, Léonard de Vinci, Goya, Velasquez…
Conversation sacrée offre à voir la peinture par les yeux d’un artiste qui fait siennes toutes les œuvres de ceux qui l’ont précédé ; qui les fait nôtres. Patrice Giorda nous fait entrer dans l’atelier d’un peintre, pas dans un musée. Ceux qu’il convoque ne sont ni des spectres ni des fantômes mais des collègues, des amis, des frères avec qui on peut parler métier.
Dans Conversation sacrée un peintre dialogue avec d’autres peintres et nous invite à partager leurs réflexions ; un peintre qui, justement, nous apprend à voir.
(Gérard Mordillat)
Ouvrage publié avec le concours du CNL.
Les auteurs
Patrice Giorda, né à Lyon en 1952, n’a cessé d’affirmer sa singularité de peintre au sens classique. Sa figuration demeure néanmoins absolument contemporaine. Dans sa peinture, la représentation symbolique de la nature ou de l’homme dépasse les simples paysages, scènes, portraits ou natures mortes : la réalité est enrichie par la mémoire et la permanence d’une quête que Giorda qualifie de « creusement de l’être ». Avec une grande exigence formelle, spirituelle et poétique, Patrice Giorda mêle réel et imaginaire, universel et singulier. Il accorde l’inaccordable : les beautés éclatantes de la lumière et des couleurs, et la profondeur des ombres de la solitude.
Le site de Patrice Giorda.
[Patrice Giorda, Autoportrait.]
Patrice Giorda a participé au n°2 de la revue « L’Atelier contemporain ».
Presse
Camille Bondon (« Critique d’ »art) ; Jérémy Liron (« Les Pas perdus »).
Olivier Céna (« Télérama » n° 3413, juin 2015) :
Conversation sacrée est un livre magnifique. Une suite de petits textes le compose. La plupart se rapportent à un peintre classique ou moderne, de Simone Martini, Giotto et Piero della Francesca jusqu’à Braque, Picasso et Hopper. Ils parlent de peinture (et non sur la peinture), puisque l’auteur, Patrice Giorda, est peintre. Parler de peinture, c’est oublier un instant le sujet du tableau et la biographie de l’artiste pour analyser les coloris, les compositions, les lumières, les plans, les espaces, et comprendre comment tout cela s’organise sur une toile. Parce qu’il ne suffit pas de regarder, il faut voir.
Voir était le verbe préféré de l’historien d’art Daniel Arasse qui, alors qu’il dirigeait l’Institut français à Florence, confia en 1984 un atelier à Giorda. De Daniel Arasse, Giorda dit qu’il était un être habité par le mystère de la peinture et qu’il regardait avant de penser. Dans un autre chapitre, répondant au philosophe Michel Onfray dont la totale incompréhension de l’art classique l’afflige, Giorda affirme que la beauté, c’est la visibilité du sens, l’incarnation du sens, et que sens et beauté ne font qu’un. Un instant le peintre se fait professeur, corrige la vedette médiatique, lui rappelle qu’il ne faut pas confondre le sens et ce qui va être la base de l’art actuel : le discours. Onfray pense avant de regarder. Il ne voit pas.
Mais Giorda, excellent écrivain, est avant tout peintre. Et peindre, c’est créer sur le tableau un espace qui va bouleverser l’espace auquel j’appartiens, écrit-il. Le pari consiste donc à ce que cet espace que l’artiste porte en lui bouleverse l’espace du spectateur. (…)
Camille Bondon (« Critique d’art ») :
Voir avec. Voir de la peinture avec un peintre. Os dans les os. Puisque le regard n’est pas qu’une affaire d’œil. Car c’est tout le corps qui résonne, s’émeut et s’arrête face à des toiles, comme aspiré en leur sein. Cet état de fascination, le peintre Patrice Giorda le partage avec nous à travers une série de notes, telle la visite d’un musée éclaté aux quatre coins de l’Europe.
On parcourt à ses côtés des signes, des lumières, des gestes, en suivant le cheminement de ses yeux et de sa pensée. Ce par quoi il entre, ce qui le retient, le saisit. Mais aussi –surtout– ce que ça vient faire sonner à l’intérieur. Et la conversation sacrée qui s’entame alors est celle –multiple– de la compréhension de l’état de grâce dans lequel nous place parfois l’art. Cette situation, nous le comprenons à mesure de la visite, est celle de l’histoire de sa vie qui revient en miroir dans celles des peintures qu’il rencontre. Histoires sacrées que racontent les scènes représentées. Histoires rêvées des peintres à l’œuvre, et des espaces de liberté qu’ils ont su insuffler dans leurs commandes pieuses. Celles –enfin– imaginées que l’on se raconte, fragments de vie que l’on s’écrit à travers ce que l’on perçoit. Elles tracent ensemble une histoire de l’art, son histoire de l’art, à travers l’élaboration de sa propre peinture. On s’étonne alors de tant voir dans les vignettes qui accompagnent chacune de ses notes. Puissance du langage qui en nommant fait apparaître.
Ainsi, peintures après peintures contemplées, émergent les objets qui sont au cœur de sa pratique. Peinture des autres, qui devient sienne, c’est une méthode de travail qui se livre par fragments dans la deuxième partie du livre. Usage des noirs comme espace de retenue et d’ouverture. Architecture d’espaces. Domptage des couleurs par l’éclat des pigments. Ce second temps est aussi à lire sans rien connaître de lui, en tant que pensées sur des objets de la peinture, suite de détails quant à la couleur.
Extraits
« La Conversation sacrée » de Piero della Francesca
C’est un superbe trompe-l’œil qui fait venir en avant et dans la lumière, ce qui est situé en arrrière et dans l’ombre. L’œuf et le haut de la coquille sont ainsi propulsés au premier plan, à l’aplomb de Marie, alors qu’ils sont situés au fond de la chapelle, loin derrière elle. Cette indétermination spatiale de l’œuf, tantôt en avant et creusant l’espace quand on regarde le haut du tableau, tantôt retrouvant sa place réelle quand on regarde le groupe des personnages, est sans aucun doute chez ce maître de la perspective, l’élément clef du tableau.
On entre dans le tableau par l’œuf. Puis il conduit sur la vierge et l’enfant par un mouvement vertical. L’enfant couché en oblique sur les genoux de sa mère prolonge la diagonale qui passe d’abord par les avant-bras du duc de Montefeltro, puis vient croiser à la perpendiculaire, le bâton de Jean-Baptiste qui nous indique le haut de la coquille semblable à une colombe, tenant en son bec l’œuf au-dessus de Marie.
Il y a ainsi dans le silence de cette architecture en lumière où treize personnages sont abîmés en contemplation intérieure, trois grands gestes à la surface du tableau, comme ceux d’une bénédiction, qui viennent battre la mesure d’une musique que l’on n’entend pas.
D’eux, les personnages, ils ne faut attendre aucune parole. Ils sont clos sur eux-mêmes. Ils mènent cette conversation sacrée qui nous les rend inaccessibles. C’est sur eux que Pierro della Francesca a posé la couleur parce qu’elle est la chair de l’humanité, et ici, la chair de la peinture ; mais bien que traités en volume et éclairés, ils ne semblent pas baignés de la même lumière qui tournoie dans la partie supérieure de l’œuvre. Il y a le bas et le haut, le monde de la couleur et celui de la lumière ; et c’est par ce triple geste d’une verticale et de deux diagonales ascendantes que s’accomplit l’incessant va-et-vient qui va de l’esprit à la chair et de la chair à l’esprit.
La lumière est cachée en eux ; la partie haute nous la révèle. Dans cette architecture de lignes et de grâce, la lumière est partout et le regard s’émerveille et s’attarde ; l’œuf même ne projette aucune ombre, comme s’il était source de lumière plus qu’objet éclairé. Puis une fois émerveillé par la lumière pure de ces cimes l’oiseau fond sur la vierge, et pour un instant contemplant les énergies de couleurs qui les façonnent et la beauté de leurs visages, il s’élève à nouveau dans les blancheurs du marbre. Il a traversé la chair, s’est remplit de son sang et de ses songes, il remonte sur les cimes.
Peut-être faut-il voir dans cette colombe qui suspend l’œuf au-dessus de Marie, la représentation du mystère de l’Incarnation. Tout dans la partie haute n’est que creux et rondeur de ventre, accueil de la parole ; métaphore du ventre virginal de Marie. Il y aurait donc dans la partie haute de l’œuvre bien plus que la lumière que la partie basse nous cache, mais aussi ce que fut Marie au moment même de la conception, au moment de l’Annonciation, bien avant qu’elle ne devienne la mère qui nous est montrée. Méditation sur le temps, cette conversation sacrée que le peintre mène sur les formes, les espaces et la lumière est alors équivalente à celle que le croyant mène sur le mystère chrétien de l’incarnation.