L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
PRÉSENTATION :
L’usage contemporain du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. D’un côté, on le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède désormais d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, voire réactionnaire, en opposant à sa verticalité de couronnement d’une œuvre l’horizontalité de pratiques moins hiérarchisées, démocratiques et ouvertes à tous ; dévoyé, enfin, par un marché de l’art qui n’y recourt plus que pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher. De l’autre, il subsiste pourtant à l’état de repère, de nec plus ultra, sous la forme d’un désir ou d’une nostalgie de l’expérience esthétique suprême, et jamais les visiteurs de musées n’ont été plus nombreux à se presser devant les toiles de maîtres.
Partant de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un bref essai, sous un titre unique qui se veut moins provocant que problématique. Chez l’un comme chez l’autre, il s’agit d’interroger les circonstances, les raisons et l’opportunité de ce qu’on pourrait nommer un déclin de la notion de chef-d’œuvre, mais que les auteurs, de façon plus neutre, préféreraient sans doute appeler son détrônement. Ici, en effet – et ils y insistent –, nulle déploration de principe : l’objectif n’est pas de céder à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais, au contraire, de contribuer à forger les critères qui permettront de mieux les comprendre, et même d’en apprécier les chances. À cet égard, le chef-d’œuvre est presque moins le cœur du questionnement qu’un point d’entrée possible dans la réflexion.
Si ces deux textes ont été rédigés séparément, ils entrent en résonnance par la vertu d’une complémentarité située au fondement de la collaboration des deux auteurs (qui co-dirigent de longue date la collection « Beautés”, dorénavant hébergée par L’Atelier contemporain). À Éric Suchère l’œil du critique, lui qui élargit la perspective jusqu’à l’analyse politique et morale, lisant ici encore les manifestations actuelles de l’art comme les « symptômes » de phénomènes de plus grande ampleur, et s’appuyant par exemple sur les recherches développées par Harmut Rosa dans Aliénation et accélération. À Camille Saint-Jacques le regard du peintre, qui lui permet de positionner dans une même perspective l’analyse théorique et les questions de la pratique. Cette répartition non exclusive des rôles donne lieu, d’écho en écho, à une réflexion très avancée et véritablement progressiste sur le concept central de chef-d’œuvre.
Ouvrage coédité avec le FRAC Auvergne.
Les auteurs
Né en 1956, Camille Saint-Jacques est peintre, enseignant, écrivain et critique d’art.
« Depuis sa première exposition à la fin des années 1980, Camille Saint-Jacques a utilisé toutes les techniques et, l’on pourrait dire, tous les styles. Des peintures sur toile du début, aux tableaux de perle ou à ceux de bois en bas-relief en passant par la sérigraphie ou des pièces sonores, la pratique de cet artiste est heureusement polymorphe, invoquant généreusement des artistes du passé comme Katsushika Hokusai, Grant Wood, William Hogarth ou José Guadalupe Posada avec un refus de l’expressionnisme et de ses contentements égotiques au profit de l’utilisation de thèmes pensés comme universalistes où le langage est souvent au centre et la narration souvent présente par l’intermédiaire de personnages fictionnels emblématiques et symboliques (Mister Nobody, Moonboy, l’Imagicien…). » (Éric Suchère)
Depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, les moyens plastiques se sont réduits et l’artiste a fini par se concentrer sur le dessin et la peinture sur papier dans une volonté de réduction liée à une économie de la pratique.
Camille Saint-Jacques est l’auteur d’une série d’essais (Retrouvez le plaisir de créer, l’art vous appartient !, Paris, Ateliers Henry Dougier, 2016 ; Le mouvement ouvrier. Une histoire des gestes créateurs des travailleurs, 2008 ; Une brève histoire de l’Art contemporain, 2007…) et de plusieurs journaux de création.
Après le Journal des Expositions (1992-2000) et Post (2000-2001), il dirige aujourd’hui, aux côtés d’Éric Suchère, la collection Beautés, consacrée à l’art contemporain.
Ses peintures sont présentées par la galerie Bernard Jordan.
Le site internet de l’artiste.
Né en 1967, Éric Suchère est critique d’art, commissaire d’expositions, écrivain et traducteur (de poésie et de textes critiques). Il codirige la collection « Beautés » avec Camille Saint-Jacques, est le directeur artistique de « L’art dans les chapelles » et enseigne l’histoire et la théorie des arts ainsi que l’écriture à l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne.
Presse
Articles de Étienne Dumont (Bilan.ch) ; Jean-Paul Gavard-Perret (Le littéraire.com ; De l’art helvétique contemporain) ; Cécile Marie-Castanet (Critique d’art - cf. PDF) ; Patrick Scemama (La République de l’art).