Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Il n’empêche, la mémoire du passé nous hante, elle s’immisce de nos esprits de mille manières au hasard des découvertes et s’impose en provoquant des confrontations anarchiques avec le présent. Bien au-delà de l’ordonnance didactique des salles des musées, l’art d’autrefois, avec ses fantômes innombrables, nous poursuit au point que nous aspirons aussi à un oubli salutaire. Pour exister face au poids de l’histoire, l’art doit aussi « du passé faire table rase » et s’en remettre au « présentisme » contemporain au point de s’en tenir parfois à des formes conceptuelles ne laissant d’autres traces que le document ou le certificat. Ainsi vivons-nous dans une « tradition du nouveau » qui embrasse à la fois le culte d’hier et un besoin d’amnésie.
Beautés aborde le dilemme de notre relation à la mémoire et à l’oubli en tentant d’en souligner la complexité, les multiples facettes, et quelques-unes des contradictions les plus fécondes.
Avec des contributions de Jean-Christophe Bailly ; Marie-Laure Bernadac ; Giovanni Careri ; François Hartog ; Karim Ghaddab ; Fabrice Lauterjung ; Roland Recht ; François Raison ; Christian Rosset ; Camille Saint-Jacques ; Éric Suchère
Presse
François Gilbert : Critique d’art
Gérard-Georges Lemaire : Verso-Hebdo
Claire Margat, Artpress
Christian Ruby : nonfiction.fr
Yves Tenret : Bon pour la tête
Extraits
SOMMAIRE
Éric Suchère, Avec le temps
Il semble que le dialogue entre art contemporain et art ancien soit totalement rompu. On peut le déplorer ou ignorer cette rupture, mais il importe d’essayer de voir à la fois ce que cette coupure signifie et, plus encore, de comprendre les nouvelles modalités qu’ont les créateurs de jouer avec la mémoire de leur art, avec l’histoire de l’art, comment ils jouent avec ces images.
Jean-Christophe Bailly, L’Atelier infini
En 2007, Jean-Christophe Bailly publiait L’Atelier infini, 30 000 ans de peinture. Outre un panorama de la création picturale de la grotte de Chauvet à nos jours, cet ouvrage contenait un essai sur la peinture à partir de thèmes comme le regard, la surface, la mimesis, l’image, les signes, le dessin, la couleur… Nous avons détaché quelques feuillets parmi ceux-ci, feuillets qui concernent le musée, l’atelier, la signification et la circulation des images.
Marie-Laure Bernadac, L’Art contemporain au musée du Louvre
Entre 2003 et 2013, Marie-Laure Bernadac a été chargée de l’art contemporain au musée du Louvre. Elle revient, dans ce texte, sur le contexte de cette relation entre art ancien et contemporain ainsi que sur les modalités de dialogue qu’elle a mise en place.
Karim Ghaddab, Le paradigme du document ou l’histoire par effraction
La prégnance remarquable des procédures liées à l’archive et au document dans les pratiques comme dans les analyses critiques et les dispositifs curatoriaux est l’un des marqueurs de l’activité artistique du XXIe siècle. Entre amnésie, fantasme, stratégie et fiction, le phénomène témoigne d’une mutation du regard porté sur l’histoire.
François Hartog, Chronos
Le présent nous obsède. Depuis une cinquantaine d’années, il ronge notre rapport à l’histoire, au passé, mais aussi à un futur marqué par l’anthropocène qui s’annonce plus sombre que jamais. François Hartog qualifie de « présentisme » ce régime d’historicité et interroge la place de l’oubli, l’ébranlement du futur ainsi que la place de l’histoire dans le monde contemporain.
Giovanni Carreri, La torpeur des ancêtres
Considérant la chapelle Sixtine comme une « machine à fabriquer de l’histoire » Giovanni Carreri analyse le montage que Michel-Ange réalise et le rôle d’articulation que jouent, entre le plafond et les fresques murales, les représentations des Ancêtres du Christ. Pourquoi ces figures de l’Ancien Testament semblent frappées de torpeur, en quoi leur mélancolie introduit-elle la composition du Jugement dernier ?
Roland Recht, L’Image migrante
Roland Recht revient sur le projet de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg, sur sa relation à l’image, à la reproduction ainsi qu’à ce que l’on a appelé la psychologie de l’art.
Fabrice Lauterjung, (Est-ce) du cinéma ? L’histoire selon Godard
Pendant dix années, Jean-Luc Godard va réaliser son corpus majeur Histoire(s) du cinéma, film de plus de 4 heures, film sur l’histoire du cinéma au sens propre, dans sa relation à l’histoire du XXe siècle, film d’histoire de l’art autant que musée imaginaire, remontant et démontant par la voix les images du passé.
Camille Saint-Jacques, Spiral Jetty High Street
Spiral Jetty de Robert Smithson est œuvre emblématique du land art. Paradoxalement, c’est aussi l’une des plus documentée dans les ouvrages sur l’art de la seconde moitié du XXe alors que c’est aussi la moins visible. À la différence des œuvres plus muséales qui s’achètent et se vendent sur le marché, le land art pose de manière singulière les questions du temps, de la mémoire, de l’oubli et de l’effacement.
François Raison, Le Panthéon sous la pluie
En 1952 Vittorio De Sica réalise Umberto D, l’histoire d’un homme sans histoire broyé par l’histoire de l’après-guerre en Italie. Le père de De Sica s’appelait aussi Umberto, et à travers ce personnage joué par un comédien non professionnel, dont ce sera le seul rôle au cinéma, le cinéaste construit une tragédie à l’ombre des dieux du Panthéon de Rome. Récit d’un temps où le roman social, le mythe et l’histoire contemporaine forment un jeu de miroirs contre l’oubli.
Christian Rosset, Histoire(s) d’H – une remémoration
Littérature, musique, peinture… la fin des années 1970 a été une période d’effervescence artistique où s’est établi un rapport spécifique au passé, à l’histoire et aux formes anciennes. Christian Rosset, musicien et connaisseur de la littérature et des arts plastiques revient sur cette relation.
Camille Saint-Jacques, La Véritable Histoire de la peinture
Comment sortir d’une histoire de l’art faite sur mesure pour un Occident dominant, l’institution muséale et le marché ? En se fondant sur une expérience du temps propre à la pratique artistique, faite d’intuitions, d’oublis et de désordre. En remettant en cause la notion d’œuvre comme finalité de la création.