Personne n’est à l’intérieur de rien

Édition de la correspondance complète entre les deux artistes, largement inédite, augmentée d’un long entretien que VN avait réalisé avec JD pour la revue Flash Art, des préfaces écrites par celui-ci pour Le Drame de la vie, d’un texte de VN en écho aux personnages de JD, et de très nombreux documents inédits : dessins, lettres, manuscrits… Préface de Pierre Vilar.

Date de publication : 3 mars 2014
Format : 16 x 20 cm
Poids : 370 gr.
Nombre de pages : 152
ISBN : 979-1-092444-09-4
Prix : 20 €

Des lettres échangées entre 1978 et 1985 par Jean Dubuffet et Valère Novarina, rien ne devrait nous permettre de dire qu’elles sont de l’ordre de l’amitié,
de la déférence, ou de l’admiration. Bien plus, on ne saurait à les lire tenir pour assuré, quoi qu’en disent les biographes, que l’un est un des peintres majeurs de son temps, arrivé au grand âge, et l’autre un écrivain au tout début de sa reconnaissance, peintre au vif et dramaturge. Pour un peu c’est l’inverse qui pourrait être vrai, tant ce qui paraît compter n’est pas de cet ordre-là. Pas de croustillant dans l’entretien d’un vieil homme avec un plus jeune sur l’art et la langue, mais un vivant essor, réciproquement salué.
(Pierre Vilar)

De Jean Dubuffet, nous avons aussi publié sa correspondance avec Marcel Moreau.

Feuilleter… Personne n’est à l’intérieur de rien

Ouvrage publié avec le concours de la Fondation La Poste, de la Fondation Jan Michalski et du CNL.

Les auteurs

Inscrit dans la modernité, Jean Dubuffet (1901-1985) explore l’humain à l’encontre des mouvements, des acquis de l’œuvre, des principes qui régissent le monde de l’art. Esprit subversif, réputé iconoclaste, tout à la fois peintre et sculpteur, dessinateur et lithographe, écrivain, architecte, homme de théâtre et musicien, Dubuffet apparaît comme un féroce adversaire de la prétention culturelle et un fervent partisan d’une expression originale et extraculturelle. Inventeur de l’Art Brut, ses écrits sont très nombreux, mais aussi ses correspondances.

Le site de la Fondation Dubuffet.

[Marc Trivier, Jean Dubuffet, 1983.]

Valère Novarina est né à Genève en 1947. Il écrit, peint et dessine : le geste est au centre de sa création, de sa réflexion et de ses recherches, parce que selon lui L’Organe du langage, c’est la main. Valère Novarina travaille l’espace, les couleurs et les mots comme de la matière. Son théâtre cherche à rendre la parole saisissable et visible par son déploiement dans l’espace. Suivant trois axes enchevêtrés, son œuvre interroge le langage, ses origines, ses formes et « les mille façons qu’a l’homme de faire l’homme ». Variant entre théâtre (L’Atelier volant, Vous qui habitez le temps, L’Opérette imaginaire, L’Acte inconnu, L’Animal du temps), textes inclassables, monologues à plusieurs voix, poésies en actes (Le Babil des classes dangereuses, Le Drame de la vie, Le Discours aux animaux, La Chair de l’homme, Le Vrai Sang) et œuvres théoriques inspirées par la scène et les acteurs (Pendant la matière, Devant la parole, L’Envers de l’esprit, La Quatrième Personne du singulier), les livres de Valère Novarina sont publiés, pour la plupart, par les éditions P.O.L.

Le site de Valère Novarina.

[Photographie de Julien Pauthe]

Presse

Dossier dans « Florilettres », établi par Nathalie Jungerman : entretien avec Valère Novarina, entretien avec Pierre Vilar, portrait de V. Novarina par Corinne Amar, extraits.

Philippe Chauché (« La cause littéraire »).
Jean-Paul Gavard-Perret (« Sitaudis »).
Mathieu Lindon (« Libération »).
Véronique Poirson (« Les huit plumes »).
Pierre Poligone (« Zone critique »).
Jean-Pierre Thibaudat (« Théâtre et balagan »).
Florence Trocmé (« Poezibao »).

À écouter : podcast de la rencontre entre Valère Novarina et Pierre Vilar, pour une présentation du livre à la Maison des écrivains.

Extraits

V.N. : Savez-vous peindre ?
J.D. : Dans le langage courant savoir peindre signifie le faire en conformité des conventions usuelles. J’y suis inapte. Ni bien doué ni bien exercé. Observez qu’on appelle doués ceux qui sont mieux que d’autres portés à adhérer et à imiter, ce qui ne va guère dans le sens de la création. On appelle bien peindre le faire en fonction des critères reçus. Dans mon optique cela s’inverse. Je vise à des ouvrages qui renouvellent la pensée, qui la transportent sur des terrains neufs et qui par conséquent récusent les notions coutumières sur lesquelles se fonde le bien peindre. Tout ce qui est susceptible de relever du bien peindre est dans mon regard à révoquer. Qui cherche des positions neuves doit s’embarquer sans bagage. J’ai observé que la moindre attache qu’on a conservée avec les territoires dont on veut s’éloigner, le moindre lien qu’on a oublié de couper, fait obstacle au déplacement. Tout se tient et tant qu’il reste une seule balise en place on n’est pas quitte du balisage. Il faut perdre pied complètement. Observez qu’il y a une façon de bien peindre, tandis que de mal peindre il y en a mille. Ce sont celles-ci dont je suis curieux, dont j’attends du neuf, des révélations. Toutes les façons de mal peindre m’intéressent, m’apparaissent génératrices de positions de pensées nouvelles.
(…)
V.N. : Aimez-vous les parenthèses ?
J.D. : Je ne suis pas sûr de les aimer (tous les gens se trompent sur ce qu’ils croient aimer ou ne pas aimer). Mais j’y ai recours abondamment quand j’essaie de m’exprimer parce que tout tient à tout comme une gomme et rien ne peut être énoncé que par rapport à un point (point de vue) qu’il faut définir. Cela implique tant de parenthèses, et de parenthèses aux parenthèses, qu’on est porté à renoncer, à ne plus rien expliciter. Le développement de mes travaux s’est aussi toujours fait dans la forme d’une imbrication de parenthèses, chaque cycle de recherches se voyant interrompu au profit d’une incidence occasionnelle qui me conduit à ouvrir – temporairement dans mon intention – une nouvelle entreprise. Laquelle me retient plus longtemps que je n’avais pensé puis produit à son tour un rameau parasite que je suis pressé d’exploiter m’éloignant par là de plus en plus du projet d’origine. De temps en temps j’éprouve une alarme de me voir ainsi égaré, je me retourne en arrière pour reprendre le fil au point où il a dévié. J’ai toujours l’impression que ces cycles successifs on toujours été trop tôt interrompus sans qu’aucun n’ai été bien mené à son vrai terme.
(…)
V.N. : Avons-nous figure humaine ?
J.D. : Nous n’avons pas de figure du tout. La figure que nous nous donnons résulte seulement du conditionnement culturel. Nous ne voyons rien, ce que nous croyons voir est projeté par nous-mêmes, pure fabrication de notre esprit et donc du conditionnement qui le commande. Qui veut se libérer de ce conditionnement – il est impensable d’y parvenir complètement mais on peut le faire au moins un peu, on peut y tendre – se fera de notre effigie une image tout à fait différente de celle qui nous est habituellement imposée. Que pouvons-nous savoir de ce qui est humain ? Nous sommes dedans ; il faudrait, pour voir, n’être pas humain. Mais voir n’a pas de sens, c’est une notion-leurre puisque nous sommes seuls créateurs de ce que nous croyons voir. Champ libre dès lors à la figure humaine comme à toute figure qui soit, elle sera ce que nous aurons délibéré de la faire au caprice du moment. Elle cessera alors d’être vraisemblable au regard de notre conditionnement mais rejeté celui-ci il nous appartient – et c’est toute l’affaire du peintre – d’aligner sur elle notre pensée jusqu’à ce que celle-ci se mette en position que l’image proposée y devient non seulement vraisemblable mais nécessaire, convaincante.

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Jean Dubuffet, je t’écris pendant la matière. Dans les cinq cent un psycho-sites, j’ai dénombré 2006 personnages à qui j’ai donné des noms, comme Adam donna des noms à toute la création des animaux défilant devant lui. Voici les noms des cent soixante-six premiers :

Jean Chantant,
Jean Calcique,
Jean Cerveau,
Jean Cadet,
Jean Centurion,
Jean Colin,
Jean Cadavre,
Jean Cyclône,
Jean Colombe,
Jean d’Animal,
Jean d’Autrui,
Jean de la Fin,
Jean Loubet,
Jean de Lébé,
Jean de Lompide,
Jean de Lumière,
Jean Déol,
Jean de Malheur,
Jean Ut,
Jean Longis,
Jean Multipliant,
Jean Simple,
Jean Dernier,
Jean Derchet,
Jean des Chairs,
Jean de Rien,
Jean des Cieux,
Jean des Jambages,
Jean des Esprits,
Jean aux Langues,
Jean des Masques,
Jean Blanc,
Jean des Ludes,
Jean aux Scènes,
Jean de Travers,
Jean de Viande vide,
Jean aux Tables,
Jean Victice,
Jean des Sons,
Jean d’Hécatombe,
(…)

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Les cinq cent un psycho-sites sont une musique sans fin pour nous faire entendre ce que l’espace nous dit. La peinture n’est pas l’expression d’une vue, comme on croit, mais son renversement en série et sa souffrance dans le temps. C’est le sans-fin qui est à peindre perpétuellement. En cinq cent une positions des corps, en cinq cent une propositions de l’espace, en cinq cent une phrases muettes. En cinq cent une postures, cinq cent une stations du corps et cinq cent une chutes de l’esprit. En cinq cent une situations du corps, c’est-à-dire cinq cent un drames de la pensée, la peinture montre ce qui est impossible à voir et qui est le déroulement de notre musique invisible dans l’espace parlé. C’est le débat de notre esprit pendant la matière. Psycho-sites : gisements d’esprit. Creusement du gisement d’esprit. Ils creusent le gisement Esprit. Ils disent que l’espace n’a pas lieu d’être. L’un à la suite de l’autre et tous les cinq cent un à la fois :

1. L’espace est à l’intérieur de quelqu’un.
2. La personne est dans l’espace.
3. L’espace n’est pas à l’intérieur de toi.
4. L’espace n’est pas à l’intérieur de la personne.
5. L’espace n’est hors de rien.
6. Tu es à l’intérieur de la personne.
7. Personne n’est à l’intérieur de rien.
8. Il n’y a plus personne à l’extérieur de l’espace.
9. Tu es à l’intérieur de rien.
10. Il n’y a plus personne à l’intérieur de rien.
11. L’espace n’est à l’intérieur de personne.
12. Personne n’est plus hors de l’espace que l’espace.
13. La personne est à l’intérieur de personne.
14. L’espace est dans quelqu’un.
15. Rien n’est plus hors de l’espace que quelqu’un.
16. L’espace est à l’intérieur de l’espace.
17. La personne est à l’intérieur de l’espace.
18. Personne n’est moins à l’intérieur de l’espace que le rien.
19. Il n’y a personne à l’intérieur de la personne.
20. Rien n’est plus hors de l’espace que toi.
21. Rien n’est à l’intérieur de personne.
22. L’espace est à l’intérieur de la personne.
23. Plus rien n’est à l’intérieur de la personne.
24. Il n’y a personne à l’intérieur de rien.
25. Il n’y a rien à l’intérieur de rien.
26. Rien n’est moins à l’intérieur de l’espace que quelqu’un.
27. La personne n’est pas à l’intérieur de rien.
28. Il y a quelqu’un à l’intérieur de rien.
29. L’espace n’est pas à l’intérieur de rien.
30. Personne n’est à l’intérieur de personne.
(…)

Esperluette

Compagnonnage, dialogue, influence réciproque, affinité ou sympathie : il n’est pas rare qu’un écrivain et un artiste empruntent des voies convergentes, qui s’interceptent pour mieux se poursuivre. En rapprochant deux œuvres et deux individus au travers d’entretiens, d’essais ou de correspondances, chaque titre de la collection « & » révèle les liens féconds qui attachent des modes d’expression artistique tantôt parents et tantôt dissemblables.

Mentoring, dialogue, reciprocal influence, affinity or sympathy : it is not unusual for a writer and an artist to follow convergent paths, crossing each other to better go on. By bringing together two works and two people through interviews, essays or correspondences, each title of the collection “&” reveals fertile links that bound together modes of artistic expression, sometimes related, sometimes dissimilar.