À ton tour

Cela part d’une enveloppe qui pèse plus que de coutume. C’est le père, écrivain, qui envoie à son fils peintre quelques reproductions de tableaux, assorties de lignes elliptiques : un clin d’œil, un salut, une pensée aimante. Et le fils répond. Par une image, lui aussi, puis une question, une intuition. Le dialogue s’engage. Les lettres se font plus longues et réflexives, plus intimes. Au fil de l’exposé des émotions individuelles et des souvenirs communs, père et fils, d’égal à égal, questionnent une expérience partagée : la peinture, celle que l’on regarde et celle que l’on fait.
À ton tour recueille la correspondance échangée en 2015 et 2016 par John Berger, qui n’était pas moins peintre et critique d’art qu’écrivain, et son fils Yves Berger, lui-même artiste, au sujet de la peinture.

Date de publication : 8 février 2019
Format : 16 x 20 cm
Poids : 240 gr.
Nombre de pages : 104
ISBN : 979-10-92444-73-5
Prix : 20 €

Quelle espèce d’être au monde le geste du peintre inaugure-t-il ? Qu’est-ce au juste que la peinture, comme regard, s’efforce de capter ? Saisit-elle l’éternel ou le fugace ? Autant de questions que poursuit cette correspondance, humblement, sans jamais leur chercher de réponse définitive.
Les lettres s’allongent, s’entremêlent, s’interceptent. Père et fils, sans forcément se répondre point par point, cherchent à se faire écho ; chacun explore son expérience intime pour la mettre en commun et l’enrichir à celle de l’autre. Parfois l’image n’est plus une œuvre de musée, mais un dessin de John ou d’Yves, ou une photographie de leur quotidien respectif (le père vit en banlieue parisienne, le fils demeure à Quincy, en Haute-Savoie) qui soudain entre en résonance avec la discussion. Sont aussi évoqués les grands peintres que John Berger a fréquentés (Oskar Kokoschka, William Coldstream…), des connaissances communes, des souvenirs partagés.
Ce dialogue privé, de par la qualité de sa langue, doit être considéré comme l’un des ultimes écrits du regretté John Berger, disparu en 2017. C’est tout son intérêt de nous faire accéder à la pensée d’un grand écrivain par le biais d’une intimité qui n’exclue pas la profondeur. Les lettres portent en chacune de leurs phrases la trace de la passion qu’il vouait à la peinture en tant que connaisseur, critique et praticien – passion communicative, et qui le liait à son fils Yves, dont la pratique de peintre illumine également la discussion. Car cette correspondance illustre aussi un modèle de relation père-fils, un dialogue d’égal à égal.
Le livre est illustré d’œuvres célèbres évoquées par John et Yves, ainsi que de dessins privés échangés au fil du temps.

À ton tour a été traduit en turc, en coréen et en espagnol.

Les auteurs

« Dans la littérature contemporaine anglaise, John Berger est sans égal. Aucun écrivain depuis Lawrence n’a été aussi attentif au monde des sens tout en répondant aux impératifs de la conscience » : c’est en ces termes que Susan Sontag a décrit John Berger (1926-2017), écrivain engagé, traducteur, critique d’art, peintre et scénariste. « Marxiste souriant », il aura entre autres décrit le quotidien d’un médecin de campagne (Un métier idéal, 1967) et de la paysannerie savoyarde (La Cocadrille, 1981 ; Joue-moi quelque chose, 1990), la tragédie du sida (Qui va là ?, 1996), l’errance des SDF (King, 1999) et le quotidien des prisonniers politiques en Amérique latine et dans les territoires occupés par Israël (De A à X, 2009). Il a reçu le Booker Prize pour son roman G. en 1972. Il a traduit les poèmes de Mahmoud Darwich et co-signé plusieurs films avec Alain Tanner (La Salamandre, 1971 ; Le Milieu du monde, 1974 ; Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000, 1976).

Né en 1976 en Haute-Savoie, Yves Berger vit et travaille à Quincy, dans le hameau où il a grandi. Diplômé de l’école des Beaux-Arts de Genève, il a reçu le prix Stravinsky de la peinture en 2001. Il a exposé au CRDP Nord Pas-de-Calais de Douchy-les-Mines, à la Maison Folie de Wazemmes à Lille et dans plusieurs galeries en Suisse, en Allemagne ou en Irlande. Certains de ses dessins et textes sont parus en revue. Il a également publié deux recueils de poèmes, Destinez-moi la Palestine (2008) et Mes deux béquilles (2009) et codirigé avec John Berger l’édition du livre collectif Le blaireau et le roi (2010). En 2017, il a fait paraître Une saison dehors, où il décrit ses activités parallèles de peintre et de travailleur de la terre.
[Image : Portrait d’Yves Berger par John Berger]

Presse

Articles :

Didier Ayres (« La Cause littéraire »)
Jeanne Bacharach (« En attendant Nadeau »)
André Clavel (« Le Temps » > voir fichier PDF ci-après)
Jean-Paul Gavard-Perret (« lelittéraire.com »)
Jérémy Liron (blog « Les pas perdus »)
Giovanni Lista (« Ligeia » > voir fichier PDF ci-après)
Guy M. (« Les Cahiers du bruit »)
Sophie Mokhtari (« Critique d’art » > voir fichier PDF ci-après)
Florence Noiville (« Le Monde » > voir fichier PDF ci-après)
Gaëlle Obiégly (« Florilettres »)
Fabien Ribery (blog « L’Intervalle »)
Vincent Wackenheim (« Europe » > voir fichier PDF ci-après)

Prese papier Berger

Extraits

Dans le Rogier Van Der Weyden, Marie est en train de lire son avenir dans la Bible.
Van Gogh, lui, représente la Bible comme une nature morte.
Goya peint son modèle en train de poser – habillée, pour l’instant.
Les deux derniers sont une invitation.
Livre et femme s’étalent pareillement sur leur draperie.
Et comme elles se ressemblent, dans leur manière d’occuper le tableau, ces invitations ouvertes !

Love, John

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Il existe cette expression française : « Je lis en elle/lui comme dans un livre ouvert ». N’est-ce pas là une belle façon d’exprimer le désir que nous éprouvons d’accéder à ce qui se trouve à l’intérieur ? A l’intérieur des apparences et de leur mystère. Comme nous en rêvons, de pénétrer le monde qui nous entoure – pas pour en prendre le contrôle, mais pour sentir plus intensément que nous en faisons partie. Pour surmonter l’isolement que nous ressentons dans notre chair. Terrible frontière du corps. Pense à l’obsession de Chaïm Soutine à lire le dedans ! Le Bœuf écorché s’offre lui aussi comme un livre ouvert...

Love, Yves

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« Surmonter l’isolement que nous ressentons dans notre chair. La terrible frontière du corps... » Sans que je m’y attende, tes paroles et la reproduction de Soutine m’ont fait penser à Watteau, à ses joueurs et ses clowns. Tous les déguisements, toutes les fanfreluches visant à cacher la terrible frontière. Je cherchais Gilles l’Arlequin, et je suis tombé sur la Marmotte. Une de nos marmottes des Alpes, dressée sur ses pattes arrières pour voir au loin dans la neige, soudain changée en joujou sorti d’une boîte afin d’amuser les citadins. Puis j’ai trouvé Gilles, avec l’âne tout en bas à ses pieds. (L’âne et la marmotte auraient beaucoup à nous raconter, non ?) Sous son costume, le corps de Gilles ne connaît pas de frontière, parce que l’infinité des jeux a dissout ses contours en une sorte de ciel. Son corps se transforme en nuage. Il est peint comme un paysage.

Love, John

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L’une des premières peintures de maîtres à captiver mon imagination fut le Et in Arcadia Ego de Poussin. Trois bergers découvrent une tombe, et réalisent ainsi que même dans l’insouciante et sublime Arcadie, la mort rôde.

Poussin était obsédé par la question de ce qui est éternel et ce qui ne l’est pas. Regardons ce Paysage avec Saint Jean à Patmos. Jean est en train d’écrire sa vision de Dieu et de la Création au milieu d’un paysage qui englobe l’intégralité du Temps. Je voudrais le comparer avec le paysage de Zhu Da.

Chez Poussin, les arbres, les rochers, la montagne au loin sont peints de manière à souligner leur densité, leur solidité, leur permanence. Chez Zhu Da, par contre, les arbres et les rochers sont des gestes et des coups de pinceau. Sa vision est calligraphique.

L’un et l’autre des paysages contiennent un sens de l’espace, de la distance, de la proximité et de la durée. Tous deux questionnent la notion d’éternité. Mais la Création revêt dans chacun une signification radicalement différente. Pour Zhu Da, Dieu a écrit le monde, et lui le transcrit ; pour Poussin, Dieu a façonné le monde, et lui le mesure.

Pour Zhu Da, il n’y a pas d’horizon, seulement des pages et des espaces entre les mots qui symbolisent la sagesse.
Pour Poussin, il s’agit de remplir un vide cosmique de prières et d’anges.

Dans leurs travaux tardifs, Giacometti deviendra une sorte de calligraphe au sein de la tradition européenne. Et Helene Schjerfbeck une incantatrice.

Love, John

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Shitao a vécu à la même époque que Zhu Da.
Dans ses célèbres Propos sur la peinture, on lit : « Si loin que vous alliez, si haut que vous montiez, il vous faut commencer par un simple pas ». Et aussi : « La peinture exprime la grande règle des métamorphoses du monde, la beauté essentielle des monts et des fleuves dans leur forme et leur élan. » Shitao estimait que la création entière pouvait être représentée, être contenue dans ce qu’il appelait « l’Unique Trait de Pinceau ». Comme si toute chose, y compris l’art, y compris lui-même, s’écrivait éternellement.

Historiquement plus proches de nous, d’autres artistes ont entrepris d’écrire le monde. Aux Etats-Unis, on pense à De Kooning, et plus encore à Cy Twombly (note que la reproduction que je t’envoie s’intitule Arcadia...). Plus proche encore de l’esprit de Zhu Da ou Shitao, Joan Mitchell, car elle montre comme eux son amour et son attirance pour la Nature.

Nicolas Poussin m’a toujours laissé indifférent. Seulement maintenant, je me sens capable d’approcher son œuvre et de reconnaître son don (ce qui nous pousse, à un moment donné, mais pas avant, à reconnaître une œuvre reste mystérieux et fascinant, non ? ). De nombreux artistes que j’admire se réfèrent à Poussin et à sa manière de « mesurer » le monde en fonction de sa position dans le temps.

Mesurer : l’obsession de nombreux peintres. Parmi eux, Leonardo Da Vinci est probablement le plus emblématique. Ses études et croquis, où dessin et écrit se soutiennent dans l’effort d’approcher au plus près les « choses telles qu’elles sont ». Une encyclopédie entière de mensurations – d’animaux, de plantes, de corps humains, de visages, de nuages, de machines, de bâtiments...

Beaucoup moins connu, l’artiste britannique William Coldstream était lui aussi obsédé par les mensurations. Patrick George dit de lui : « Même dans sa vie de tous les jours, il passait son temps à estimer l’âge des gens, le diamètre du tunnel de métro, la distance entre les lampadaires ou le poids des bébés ». On remarque cette fascination au fait qu’il ne cessait de retravailler ses peintures. Et ce qui, à mes yeux, rend son Nu assis plus émouvant que les études de Leonardo, c’est que les proportions les plus précises n’empêchent en rien que s’y exprime le doute permanent quant à ce qu’il voit et sa façon de le peindre. Les dimensions semblent ici circonscrire une somme infinie de doutes, rassemblés dans l’unité d’une image.

Sur les pas de Coldstream, Euan Uglow s’est construit un atelier modulable en fonction de chacun de ses tableaux, lui permettant d’estimer avec précision chacun des paramètres, dont la lumière. De la sorte, il arrivait à trouver la bonne distance entre le monde devant lui et ses sentiments intérieurs. Lui aussi appelait Poussin à l’aide...

Love, Yves

Feuilleter… À ton tour

Esperluette

Compagnonnage, dialogue, influence réciproque, affinité ou sympathie : il n’est pas rare qu’un écrivain et un artiste empruntent des voies convergentes, qui s’interceptent pour mieux se poursuivre. En rapprochant deux œuvres et deux individus au travers d’entretiens, d’essais ou de correspondances, chaque titre de la collection « & » révèle les liens féconds qui attachent des modes d’expression artistique tantôt parents et tantôt dissemblables.

Mentoring, dialogue, reciprocal influence, affinity or sympathy : it is not unusual for a writer and an artist to follow convergent paths, crossing each other to better go on. By bringing together two works and two people through interviews, essays or correspondences, each title of the collection “&” reveals fertile links that bound together modes of artistic expression, sometimes related, sometimes dissimilar.