Quelle est cette émotion esthétique particulière qu’engendre l’œuvre de Bernard Réquichot ? Pour en creuser toutes les dimensions, cet ouvrage analyse les dessins, les peintures, les collages et les reliquaires autant que les écrits laissés par l’artiste.
Publié en co-édition avec la galerie Alain Margaron
Roland Barthes l’avait noté : « Réquichot conçut son œuvre, son travail comme une expérience, un risque (“Il faut peindre, non pas pour faire une œuvre, mais pour voir jusqu’où une œuvre peut aller”). » On doit donc le suivre à la trace dans toutes ses expérimentations, à commencer justement par celles sur les traces graphiques ou sur ces machines à capture temporelle que sont les reliquaires.
Ce qui apparaît alors est un artiste qui pense avec ses mains, dont les spirales faustiennes sont des « émotions expérimentales » comme il le disait. Un artiste ni figuratif ni abstrait, dont les œuvres, où les lignes inattendues ne cessent de vibrer, activent chez celui ou celle qui regarde des reconnaissances de formes végétales ou animales : des présences chargées de mystère.
Il réouvre ainsi, dans l’espace de la pensée, les vertus anciennes de l’analogie que la philosophie moderne a répudiées. En faisant de ses tableaux des « écritures », peut-être illisibles, il révèle combien l’écrit ne tient pas seulement aux signes qu’il distribue, mais aussi à l’échelle des pages, au support du papier, aux rythmes des graphismes, aux modulations des lignes, bref à des ambiances du sens, dont une phrase agrammaticale indique l’énigmatique puissance : « je ne sais pas c’qui m’quoi ».
Éric Méchoulan nous convie à revivre un « bouleversement esthétique » produit par sa rencontre avec l’œuvre inclassable de Bernard Réquichot à la fin de l’adolescence. De cette émotion, il s’agissait de trouver le moyen de parler, et d’élucider ce qui relève d’un registre hautement expérimental. C’est cette traversée sensible de l’œuvre, prise dans l’étonnement et le questionnement, que mène avec acuité l’essai du présent volume.
Les auteurs
Éric Méchoulan a enseigné à l’Université de Montréal et au Collège international de philosophie. Il a créé la revue Intermédialités et co-fondé le Centre de recherches intermédiales sur les lettres, les arts et les techniques. Ses recherches portent sur l’histoire et la philosophie des transmissions. Ses ouvrages récents : Lire avec soin. Amitié, justice et médias, ENS Éditions, 2017 et Mères de lecture. Histoire d’un récit hassidique, Nota Bene, 2023.
Extraits
« Dans la galerie des Ponchettes, derrière le marché aux fleurs dans la vieille ville de Nice, face à la Méditerranée où je promenais mes dix-huit ans, j’ai rencontré en 1977 les œuvres de Bernard Réquichot. Moi qui ne connaissais guère de la peinture que les siècles anciens, mettons de Giotto à Guardi, j’ai été immédiatement saisi par ce que je découvrais : dans une petite galerie de peinture, loin des splendeurs des Uffizi et des trésors de la Ca’d’Oro, on pouvait aussi faire des choses comme ça ? Je ne me disais même pas « des œuvres d’art comme cela », mais bien des choses. Les bouleversements esthétiques sont rares dans une existence humaine : ils ne dépendent pas seulement de la qualité des œuvres (il y en a tant de merveilleuses et d’étonnantes), mais aussi de la connivence qu’on ressent soudain avec celui ou celle qui a fait ça, et même de la tranquillité exaspérante d’une fin d’après-midi de juin au moment de partir pour les vacances d’été. Il reste à savoir comment en parler. Cela m’a pris du temps. »