Transplanté du foie d’un autre, il s’agit ici de rendre compte du chemin, long de plusieurs années, qui in fine a permis que je sois sauvé, faisant de moi un être partiellement double, et hautement redevable. Avec comme acmé la nuit où eut lieu la greffe, suivie, dans l’étroitesse d’un lit d’hôpital, d’un séjour de trois semaines au sein d’un service de haute expertise, propice à un exercice d’humilité, de grâce, d’humour aussi.
« On se trouve donc dans cette situation d’espérer (au sens d’attendre) la mort d’un être humain pour soi-même continuer à vivre. On regarde son prochain dans la rue, dans l’autobus ou au restaurant comme un possible donneur, mais pour cela il faudrait qu’il se décide à mourir, si possible, proprement – et on s’insurge de le voir, cet insensé, commander une seconde bière. »
Les auteurs
Vincent Wackenheim est né en 1959 à Strasbourg, ce qui ne serait rien s’il n’était ensuite devenu libraire à Paris (mais d’occasion), au terme de quelques études de lettres, d’histoire et de droit, pour finir éditeur (en charge jusqu’à peu de la respectable Documentation française) – profession qui, pour être exercée avec un minimum de sérieux, demande d’avoir soi-même écrit une paire de livres, qu’on classera, faute de mieux, pour certains d’entre eux, dans la catégorie burlesque, pour peu qu’elle existe.
Il a publié Le Voyage en Allemagne (Deyrolle éditeur, 1996), La perte d’une chance (le temps qu’il fait, 2003), Coucou (Le Dilettante, 2005), La revanche des otaries (le Dilettante, 2009), La gueule de l’emploi (le Dilettante, 2011), Petit éloge de la première fois (Gallimard, folio 2€, 2011), Les décorés – en collaboration avec Christophe Mory (Art et Comédie, 2011), L’ordre des choses (Editions Léo Scheer, 2012), Chaos (Galaade, 2014) ; à nos éditions : Joseph Kaspar Sattler ou La Tentation de l’os (2016) et Bestioles (2020).
Extraits
« Désormais nu, et lisse et propre, c’est couché sur un confortable brancard à roulettes que je rejoignis le premier étage, celui du bloc opératoire, constatant, mais un peu tard, que ce même mot est en usage et à l’hôpital, et en milieu carcéral, comprenne qui pourra. »
« Le ventre marqué d’une impressionnante zébrure à même de m’attirer dans le futur le respect des autres pirates, il n’est plus question de se considérer comme un être de désir, le sexe racorni, rabougri, le dos douloureux, le corps amaigri, incapable du moindre mouvement, avec cette impression d’être une manière de petit Job (péché d’orgueil n°3), couché sur son tas de fumier. »
« On s’arrêtera un instant sur cet simple et trivial constat, qu’une greffe de foie consiste à prélever sur un cadavre un organe sain (on dit un greffon) pour le rebrancher sur un autre être humain, après avoir extrait l’organe déficient. »