Précédés de Le palimpseste et le commencement par Jérôme Thélot
Rassemblés pour la première fois, les Dits et entretiens de Bram van Velde (1895-1981) donnent à lire l’ensemble des propos tenus à des amis, des critiques, ou toute personne qui a pu s’entretenir avec lui et noter un fragment de sa conversation, tels qu’on peut les retrouver imprimés dans des journaux, des comptes rendus d’exposition, des articles, des études, ou enregistrés dans des films. L’ensemble réalise le vœu jadis formulé par Rainer Michael Mason : « Il serait incontestablement utile de collationner et de publier un jour l’intégralité des assertions de l’artiste. »
On sait que c’est sur le fond de son inaptitude au discours et de sa pudeur intransigeante que de Bram van Velde a prononcé des phrases étonnantes, parmi les plus inspirées qui aient jamais été dites sur la peinture. Voici encore le témoignage de Mason : « Parce qu’elles ne sont pas préméditées, ses paroles constituent dans l’urgence simple, presque naïve, d’une sincérité totale les plus justes considérations sur le travail du peintre. »
Cet ensemble de propos de Bram van Velde est précédé d’un essai de Jérôme Thélot qui ne vise pas à résoudre une énigme, mais à la poser. Il ne s’agit pas d’apprivoiser Bram van Velde ni de rendre usuelle et maniable sa figure d’étranger radical – au contraire il s’agit de restituer son irréductibilité, son impossibilité presque, d’une autre essence que nos domesticités. Les analyses de cet essai, toutes étayées sur les rares propos du peintre, élucident les conditions et les motifs ayant déterminé l’œuvre énigmatique de Bram van Velde – pour autant que ce mot d’« œuvre » lui convient –, les raisons qui en justifient l’aventure, et la pensé sensible qui s’y convie.
Les auteurs
Jérôme Thélot, ancien élève d’Yves Bonnefoy au Collège de France, disciple aussi de René Girard et de Michel Henry, est essayiste et traducteur, et professeur de littérature française à l’Université de Lyon. Ses écrits portent sur la poésie romantique et moderne, sur la philosophie de l’affectivité, et sur les conditions de l’image. Il développe auprès des auteurs qu’il interroge, en particulier Baudelaire, Rousseau, Dostoïevski, Sophocle, une poétique générale qui remonte à la fondation de la parole et de la représentation dans la violence originelle. Ses travaux sur la photographie ont d’abord décrit les conséquences de l’invention de celle-ci sur la littérature (Les inventions littéraires de la photographie, PUF, 2003), puis les caractères propres de sa phénoménologie (Critique de la raison photographique, Les Belles Lettres / Encre marine, 2009). Ses « Notes sur le poétique » (Un caillou dans un creux, Manucius, 2016) explicitent les attendus de sa recherche.
Il a publié à nos éditions Géricault ; La peinture et le cri ; Le travail photographique de Jean-Jacques Gonzales ; L’époque de la peinture.
Né en 1895 à Zoeterwoude, Bram van Velde est un peintre et lithographe néerlandais. Débutant comme apprenti dans un atelier de décoration intérieure à La Haye, il est encouragé dans son travail artistique par la famille Kramers, collectionneurs et amateurs qui reconnaissent son aptitude. Après un voyage à Munich où il découvre la peinture expressionniste, Bram van Velde s’installe à Worpswede, auprès d’autres artistes. Il quitte rapidement Worpswede pour s’installer à Paris en 1924. En février 1927 il se rend à Brême pour y exposer ses œuvres, puis à la Jury-Freie Kunstschau de Berlin, avec une reconnaissance qui lui vaudra d’être admis au Salon des Indépendants de Paris avec son frère Geer, où il exposera à plusieurs reprises.
Bram Van Velde vit à Majorque de 1932 à 1936 puis revient en France alors qu’éclate la guerre civile espagnole. En 1939, en pleine Seconde Guerre mondiale, il cesse de peindre pendant 4 années, dans une grande misère. Durant cette période, il rencontre Samuel Beckett qui sera l’un des fervents défenseurs de son art. Tourmenté par l’impossibilité de peindre, il créé après la guerre un nouveau langage pictural où les figures disparaissent de ses toiles, laissant place à des couleurs saturées et des formes cernées, en marge de tous les mouvements artistiques de son époque. En 1958, Franz Meyer organise la première exposition de musée à la Kunsthalle de Berne. Indifférent à la réception de son œuvre, qui connaîtra une reconnaissance tardive, il travaille pendant plus de trente ans entre Paris et Genève, où il s’installe finalement en 1967. Bram Van Velde meurt le 28 décembre 1981 à Grimaud, à l’âge de 86 ans.