Mémoires d’un petit biquet

Le critique et historien de l’art David Sylvester (1924-2001) est à la fois très connu et profondément méconnu. Figure centrale de la scène artistique londonienne durant toute la seconde moitié du vingtième siècle, ses écrits forment une somme considérable, et son nom évoque un critique passionné et impitoyable qui a fortement marqué le paysage culturel et artistique de l’Angleterre de l’après-guerre. En revanche, dans notre pays, où il n’a jamais été un personnage médiatique, l’importance et la portée de l’œuvre de Sylvester ne sont que très peu connues en dehors des illustres entretiens menés avec Francis Bacon. Les trois textes autobiographiques qui composent ce volume offrent pour la première fois au lectorat francophone l’occasion d’en apprendre davantage sur la vie et l’œuvre de David Sylvester.

Traduction et présentation d’Olivier Weil

Date de publication : 15 janvier 2025
Format : 11 x 18 cm
Poids : 220 gr.
Nombre de pages : 160
ISBN : 978-2-85035-170-9
Prix : 16 €

Memoirs of a Mug (« Mémoires d’un cornichon ») est probablement la première tentative autobiographique de David Sylvester. Les événements dont il est question se déroulent entre 1953 et 1959, années au cours desquelles il est lié à un groupe d’artistes et d’écrivains gravitant autour de Francis Bacon, qui s’adonnent quasi-quotidiennement à des équipées nocturnes dans les clubs de Soho. Certains d’entre eux, Lucian Freud en particulier mais aussi Bacon, sont à cette époque des passionnés de jeu. Portant sur des années décisives pour Sylvester, cet « autoportrait en joueur » dévoile les prémisses d’une évolution qui aboutira à faire de lui l’une des figures majeures du monde de l’art britannique de la seconde moitié du vingtième siècle.

Curriculum Vitae est le seul des textes à avoir été publié du vivant de Sylvester. Rédigé pour ouvrir un recueil d’articles composé et publié en 1996, il a été conçu comme une introduction d’un catalogue d’exposition, offrant un aperçu « de première main » des principales étapes de sa carrière en tant que critique d’art, auxquelles s’entremêlent des considérations plus subjectives qui apportent un éclairage inédit sur ses goûts et ses centres d’intérêt, dont on comprend qu’ils dépassent largement l’art du XXème siècle.

Enfin, Memoirs of a Pet Lamb (« Mémoires d’un petit biquet ») est le fruit de la reprise par David Sylvester du désir d’écrire le récit de sa vie, en commençant par le début, seulement quelques mois avant sa disparition en 2001. Il en résulte le récit truculent de ses années d’enfance et d’adolescence pendant l’entre-deux guerres, au sein d’une famille juive émigrée de la première génération, établie dans la banlieue de Londres.

S’il ne fait pas de doute que David Sylvester est un écrivain – il était connu pour accorder une importance capitale à la qualité de ses textes –, ses tentatives autobiographiques se sont pour la plupart soldées par des échecs. Il a été tenté par cette entreprise dès les années 1950, âgé de tout juste 30 ans, et s’y est essayé à de multiples reprises, mais malgré sa puissance de travail hors du commun, il n’est jamais vraiment parvenu à écrire le récit de sa vie. Comme il le confesse dans « Curriculum Vitae », l’autobiographie, qu’il considérait probablement comme le domaine littéraire par excellence, « n’était pas son genre ». Cette ambition déçue explique le caractère parcellaire de son œuvre autobiographique qui se résume aux trois textes rassemblés dans cet ouvrage, et c’est précisément parce qu’ils sont les seules traces qui nous sont parvenues de la volonté désespérée de David Sylvester d’écrire sa vie qu’ils constituent des documents exceptionnels.

Les auteurs

Né en 1924, David Bernard Sylvester rédige à partir de 1942 des critiques d’art pour l’hebdomadaire socialiste Tribune, dont George Orwell est le directeur littéraire. Un article sur Henry Moore attire l’attention de l’artiste, qui recrute l’auteur comme assistant à temps partiel. Sylvester organise la première rétrospective de Moore à la Tate Gallery en 1951. Dès les années 1960, il exerce une influence considérable à travers ses conférences et ses expositions, ainsi que par ses critiques, articles et catalogues. Proche de Francis Bacon et d’Alberto Giacometti, il leur consacre plusieurs expositions, monographies et essais de référence. Il élargit son horizon aux artistes non figuratifs, tels que Jackson Pollock ou Willem de Kooning, ainsi qu’au pop art. Il occupa divers postes dans de nombreuses institutions : Arts Council, équipe de production du British Film Institute, conseil d’administration des galeries Tate et Serpentine, direction des acquisitions du Musée national d’art moderne de Paris.

Extraits

« Je ne me souviens plus de l’incident lui-même, je me rappelle seulement la gêne que j’ai ressentie lorsque mes parents, très fiers, me l’ont raconté, quelques années plus tard, alors que je devais avoir neuf ou dix ans. Un jour de courses de bateaux, nous nous étions rendus à une buvette et une dame qui se trouvait là m’a gentiment demandé : "Tu es plutôt Oxford ou Cambridge ?" J’ai répondu : "Je suis juif." »

« Je suis arrivé à l’art par l’art moderne – grâce à une reproduction en noir et blanc de La Danse de Matisse. J’avais dix-sept ans, j’étais fan de musique et je pensais encore que l’art n’était qu’un moyen de raconter une histoire. Le tableau de Matisse m’a fait prendre conscience de la musique des formes – que s’exprimait par le rythme et la tension de la série de courbes reliant les figures disposées en cercle, et par le contrepoint que constituent les contours des jambes martelant le sol. »

« Au tournant des années 1949-50, je me suis aperçu qu’il y avait un peintre figuratif vraiment important en Angleterre. Cela faisait trois ou quatre ans que j’admirais et que j’écrivais sur le travail de Francis Bacon mais il m’avait toujours semblé que ce qu’il faisait était une forme d’expressionnisme. Tout d’un coup, alors que je regardais l’une de ses images récentes représentant une tête ectoplasmique avec une bouche grande ouverte et une oreille qui paraissait attachée au plafond par une cordelette, j’ai réalisé que c’était une peinture et non simplement un cri de douleur. »

Constellations

Une constellation désigne d’abord un groupe d’étoiles voisines, qui reliées entre elles forment une certaine figure. Mais une constellation désigne aussi une forme de socialité particulière, supposant une mise en relation de l’épars.
On trouvera dans la collection Constellations des ouvrages qui retracent l’histoire de personnalités marquantes du champ de l’art, des lieux qu’elles ont fait vivre, des relations qu’elles ont tissées. Autant de témoignages qui manifestent que « l’avec est une détermination fondamentale de l’être » (Jean-Luc Nancy).