« Il suffit de s’abaisser, attendre et s’étonner. Viennent alors les grandes élévations. » C’est ainsi qu’on peut décrire, avec l’écrivain et botaniste Gilles Clément, la démarche photographique de Stéphane Spach, attentive aux immobilités souveraines qui trament la vie végétale des jardins, des bords de chemin, des prairies. Les Oubliées est une plongée en noir et blanc dans cette immensité insoupçonnée.
Les oubliées, « chaque fois renaissantes », ce sont les herbes, les herbes sauvages des prairies comme les mauvaises herbes des terrains vagues. D’un côté, l’écrivain Gilles Clément cherche à décentrer le regard, à le faire descendre des « hautes cimes » pour le porter vers les herbes emmêlées, pour qu’« un autre monde vienne à nous ». D’un autre côté, le photographe Stéphane Spach, héritier d’une tradition d’herborisation et de collecte de curiosités initiée notamment par J. W. Goethe, propose des vues troublantes de ces herbes qu’il recueille, brouillant leur échelle et nos repères ordinaires. Tous deux ensemble renversent l’opposition entre l’infime et l’infini, pour nous laisser pressentir la forêt en dormance sous nos pas, sans cesse menacée, sans cesse renaissante.
Les auteurs
Gilles Clément, né en 1943 à Argenton- sur-Creuse est un paysagiste, botaniste, entomologiste, biologiste et écrivain français. Il a obtenu le Grand Prix du paysage en 1998. Parmi ses principales réalisations : le Parc André-Citroën (Paris), le Jardin du Musée du quai Branly (Paris), le Jardin du château de Blois et le Jardin expérimental de La Vallée. Il a publié plus d’une cinquantaine d’ouvrages, dont, récemment, Les Imprévisibles (L’Une et l’Autre), L’Alternative ambiante (Sens & Tonka, 2014), Abécédaire (Sens & Tonka, 2015), Notre-Dame-des-Plantes (Bayard, 2021).
L’univers de Stéphane Spach, emprunt de mélancolie, le conduit à photographier la nature. Tant avec des paysages, apparemment pauvres, qu’avec des vanités réalisées en atelier, il crée des ambiances théâtrales où la lumière, comme une obsession, constitue le matériau principal. Ses images, narratives, nous immergent dans un univers qui nous interroge sur le familier et l’étrange. Il a souvent recours à la série pour réaliser un travail parfois proche de la photographie documentaire, lui permettant ainsi d’interroger le monde.
Il a publié Terres fertiles avec Gilles Clément (Les éditions de l’Imprimeur, 1999), 12 Couteaux avec Philippe Fusaro (La Fosse aux Ours, 2001), ainsi que quatre ouvrages aux éditions L’Atelier contemporain : Stéphane Spach, photographe (2022), Parcelle 475/593 (2023), Les Oubliées avec Gilles Clément (2024) et Le vent du boulet avec Anne Vigneux et Michel Bernard.
Son site internet : https://spach-fine-art.com/
Presse
André Hirt, Opus 132
Extraits
« Il suffit de s’abaisser, attendre et s’étonner. Viennent alors les grandes élévations. La samare emportée par le vent, la chute ascensionnelle d’une araignée suspendue à un fil (son véhicule, sa voile) le pollen, les akènes disposés en nuages. Toutes sortes de chose alors tombent vers le haut comme si la rupture des échelles, l’accès au minuscule et au léger bouleversaient les lois de la gravité. L’univers brusquement se révèle impondérable et compliqué, traversé de mouvements incessants. Si chaque parcours laissait sur le fond du ciel une trace, on verrait, comme pour les avions de l’inaccessible troposphère, un écheveau de fils emmêlés dont aucun ne donnerait la bonne direction car toutes sont possibles.
Les herbes nous emportent dans la confusion. Elles exigent de nous un effort d’innocence. Nous devons accepter l’enchevêtrement sans idée préconçue sur la justesse des formes et des imbrications, la souplesse des structures, la variété des articulations. »