« Je recopie les notes que j’ai prises dans l’atelier du peintre, au fil de ma discussion avec Jean-Pierre Schneider. Je laisse çà et là émerger de nouvelles phrases qui s’invitent sur mes feuilles. Mes phrases sont le liant acrylique d’une peinture. Je décide de faire le portrait de Jean-Pierre Schneider. Je tente de peindre un livre en étalant la matière de ses mots. Je m’éloigne parfois ou bien je modifie l’angle de ma présence face à eux. J’apporte du silence. Souvent, ils n’ont pas besoin de plus. Ce n’est pas tant que Jean-Pierre parle bien de la peinture. Je crois qu’il parle bien de la vie. Et il se trouve que sa vie, c’est la peinture. » Christophe Fourvel
C’est sous la forme d’un tableau en train de se faire que Christophe Fourvel nous mène près de Jean-Pierre Schneider, au contact de son œuvre qu’il laisse librement habiter par les mots. Plus exactement, c’est une série de tableaux qui, nourris des visites d’atelier, des rencontres et des conversations avec le peintre, répondent par l’acte d’écrire à celui de son « modèle », déposant librement souvenirs et pensées, se laissant guider parmi les sollicitations, les associations poétiques et les réflexions devant la toile. Au geste de peindre s’accorde le geste d’écrire comme pour approcher, par ses propres moyens, la profondeur du travail de Jean-Pierre Schneider, et tracer la voie qui mène au vif de la peinture. Ce sont ainsi neuf « suites » qui multiplient les angles de notre regard, comme lorsque l’on se déplace autour d’un tableau pour mieux le méditer, en éprouver la polysémie et l’infini - c’est-à-dire sa vérité : « […] je réalise plusieurs suites de tableaux. Le motif est Jean-Pierre Schneider. Son monde, son regard, ses traits, ses couleurs, sa peinture. Sa verticalité devant ses toiles. »
Les auteurs
Christophe Fourvel est né en 1965, il vit non loin de Besançon. Animateur d’ateliers d’écriture, il est l’auteur de nombreux livres pour adulte et pour enfant, de textes pour la scène, de chroniques dans la presse.
Il a publié aux éditions La Fosse aux ours : 31, c’est peu (Stig Dagerman 1923-1954) (2023), Le mal que l’on se fait (2014), Bushi no nasake (2011), Des hommes (2002), Dumky (2000), Derniers paysages avant traversée (1999) ; aux éditions La Dragonne : Montevideo, Henri Calet et moi (2006), Anything for John (2005), Journal de la première année (2001) ; au Chemin de fer : La dernière fois où j’ai vu un corps (2011) ; chez Médiapop : On dira qu’on a gagné (2021), Ce sont des bateaux que l’on regarde partir (2020), Ode au corps tant de fois caressé (2019), Chroniques des années d’amour et d’imposture (2019).
Présentation de C.F. sur le site de la Maison des écrivains, et sur le site du Centre régional du livre de Franche-Comté.
Presse
Faire la moitié du chemin avec. Ma rencontre avec le peintre Jean-Pierre Schneider, émission de Christophe Fourvel, diffusée par France Culture.
Pierre Laurent, L’Est républicain
Extraits
Le non finito, 1
Si l’homme craint tant la mort, c’est à cause d’énigmes qu’il n’a pas encore résolues, suggèrent souvent les textes qui hantent l’Humanité depuis la nuit des temps. Leurs résolutions seraient un accès plus serein à l’au-delà. Une des énigmes est sans doute celle du dépouillement : voir la chaise, la barque, le corps exister avec seulement quelques traits et sentir, au plus profond de soi, que la singularité d’une chaise, d’une barque ou d’un corps n’est qu’une illusion dont il faut une vie entière pour se défaire. Jean-Pierre Schneider a résolu certaines de ces énigmes. Cela ne fait aucun doute. Ses tableaux le disent. Et s’ils ne le crient pas, c’est parce que l’homme peint à voix basse.
La vie du peintre, 1
Je peins ici la vie du peintre Jean-Pierre Schneider. Je cherche « le fragment qui dit le tout » ; l’équivalent d’un bras qui nage, du haut d’un corps qui tourne le dos. Ce sera dans une ombre portée qui céderait un mince voile de foncé à des lueurs délicates. Un noir qui serait une couleur et quelques traits arrachés à une épaisseur ocre (Jean-Pierre affectionne cette couleur, celle-là même qui fut sans doute le premier pigment de l’histoire des hommes). Cette vie du peintre sera comme le corps lumineux des astres qu’assombrit « la lune belle ». Une pudeur mais qui n’évite rien. Une main qui peint une jarre debout ou couchée.