Symptômes

À travers quelques thèmes comme la politique, l’idiotie, le mauvais goût, le geste artistique, la légèreté, le rien, le pas grand-chose, l’expérience de l’œuvre, la littéralité… en passant par quelques grandes figures comme Guy Debord, Philip Guston, Cy Twombly, Vaslav Nijinsky, Robert Filliou, Niele Toroni, Richard Tuttle, Tony Smith ou Michel Parmentier, Éric Suchère tente de saisir quels sont les symptômes de notre contemporanéité – quitte à se plonger le plus lointainement dans l’art du passé – et de nommer, à l’aide de ces symptômes, ce syndrome que l’on appelle l’art contemporain afin d’en faire la critique pour aider à mieux définir sa diversité et sa complexité.

Date de publication : 19 septembre 2018
Format : 16 x 20 cm
Poids : 420 gr.
Nombre de pages : 168
ISBN : 979-10-92444-68-1
Prix : 20 €

Les auteurs

Né en 1967, Éric Suchère est critique d’art, commissaire d’expositions, écrivain et traducteur (de poésie et de textes critiques). Il codirige la collection « Beautés » avec Camille Saint-Jacques, est le directeur artistique de « L’art dans les chapelles » et enseigne l’histoire et la théorie des arts ainsi que l’écriture à l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne.

Presse

Articles de :
Jean-Paul Gavard-Perret (« lelittéraire.com » ; « Le salon littéraire »)
Yasmina Mahdi (« La cause littéraire »)
Christian Rosset (« Diacritick »)

Extraits

Il existe un terme flou pour parler des pratiques plastiques d’aujourd’hui. Ce terme, qui est « art contemporain », est devenu une catégorie en soi, à tel point qu’on l’emploie en lui accolant un article défini : « L’art contemporain », ce qui signifierait qu’il est une chose et une seule, aussi définie que son article et que ses contours sont clairs et nets. Pourtant, lorsque l’on demande à quelqu’un de définir ce terme, la définition n’arrive pas, ne vient pas, le malaise s’installe, la chose fuit et, finalement, ces vocables pris ensemble finissent par ne plus avoir de contour, ce qui est tout de même étrange pour une notion si communément employée et que chacun semble reconnaître dans les lieux qui lui sont dédiés.
Essayons, tout de même, de nous livrer à cet exercice. On peut convenir assez aisément que pour être contemporain, il faut déjà être de son temps, être au présent. A priori, cela semble aller de soi. Pourtant, on se heurte vite à une limite. Un peintre de marines vendant ses toiles sur le port de Saint-Tropez ne peut tout à fait appartenir à ce que l’on appelle « l’art contemporain », pas au même titre, en tout cas, que Jeff Koons pour citer l’un des plus célèbres artistes occidentaux. On pourrait se réfugier derrière les médiums utilisés et supposer que la contemporanéité est une affaire technologique et que l’on aurait plus de chance de faire de l’art contemporain en employant la vidéo qu’en faisant de la peinture sur toile, mais l’on conviendra tout de même que, de Luc Tuymans à Gerhard Richter, il existe des artistes dit contemporains qui pratiquent la peinture sur toile montée sur châssis. Si ce n’est pas par le médium, cela peut être dû à un type de formes. Il y aurait des propositions formelles – c’est-à-dire que l’on reconnaitrait d’emblée sans avoir poussé plus loin l’analyse – qui sembleraient plus contemporaines que d’autres, plus propres à appartenir à notre temps, à être actuelles, que d’autres. Bruce Nauman semble être plus contemporain qu’un peintre de la place du Tertre. On le sait et cela se voit. Il y aurait, donc, une contemporanéité des formes, mais comment et à partir de quoi se définirait-elle ? Qu’est-ce qui fait que tel peintre semblera réactionnaire, attardé, ringard et que tel performer semblera actuel ? La réponse se trouve dans mon Petit Robert. L’un des synonymes pour contemporain est « moderne ». L’art contemporain c’est ce qui est moderne Il me faudrait alors définir la modernité, et je serai autant en peine comme la modernité n’est pas un concept plus précis, est surtout un ensemble de traits parfois contradictoires. Mon Petit Robert, toujours, me dit que c’est ce qui correspond au goût et à la sensibilité actuels ou qui est ce qui est caractéristique de l’époque. Cela semble plus clair et l’on peut comprendre intuitivement le rapport qui existe entre modernité et mode – que l’on trouvait déjà explicité chez Baudelaire. De la même manière qu’une coupe de vêtement ou de cheveux, les objets peuvent sembler définir une époque, peuvent sembler la caractériser. Ainsi, le col pelle à tarte et le pantalon « patte d’eph’ » évoquent autant les années 1970, qu’une performance de Chris Burden. Alors, on y est, l’art contemporain serait ce qui serait le plus à la mode – à la pointe tout de même –, ce qui définirait la mode.
En même temps, on le sait, la mode est cyclique et une chose à la mode est condamné à être passée de mode et ce qui est passé de mode peut revenir soit sous une forme « vintage » – à la fois datée et contemporaine –, soit en étant réactualisé, repensé, dénaturé au point que l’origine peut en devenir méconnaissable. On pourrait, alors, tenter une hypothèse. L’art contemporain serait ce qui remettrait à la mode ce qui aurait été moderne – ce qui aurait été à la mode – et l’art contemporain se définirait, ainsi, par un recyclage permanent de la modernité. Un artiste comme Abraham Poincheval peut réactualiser en le débarrassant de la couleur du temps, les performances de Chris Burden. L’un se met en haut d’un mat pendant une durée définie comme l’autre s’enfermait dans un casier d’une consigne automatique pendant cinq jours. La nature profonde – l’esprit – ne change pas, uniquement la forme, qui est comme un vêtement retaillé pour correspondre à l’esprit du temps. L’art contemporain serait, comme la mode, entre l’imitation et l’invention.
En s’appuyant sur un texte de Georg Simmel (« La mode », 1895), on peut tirer de cela plusieurs éléments : la mode est toujours une affaire de classe. Elle est signe d’appartenance au cercle de ses pairs et distinction face à l’autre. La mode est irrationnelle et n’est dictée par aucune utilité, voire par aucun critère esthétique. La mode conforme nos usages, modèle notre attitude. En cela, elle uniformise ceux qui la suivent jusque dans le plus singulier. Au départ, portée par une fraction, elle doit, pour réussir, s’étendre et, ainsi, perdre une partie de sa qualité, s’user dans sa diffusion, devenir obsolète. La mode est l’expression d’un vide, celui laissé par un passé qui n’a plus de durée, laissant la place au fugitif. En cela, elle est l’expression d’une crise de sens dans l’accentuation du présent par le changement. À travers ces principes, on peut comprendre que celui qui l’admet « devance les autres mais dans la voie même qu’ils suivent » sans que s’exprime aucune nécessité interne – le seul moyen pour avoir le sentiment d’individuation serait, alors, d’être non-moderne, mais être non-moderne reviendrait également à se plier à la mode même dans sa contradiction et par sa contradiction –, la mode, alors, est décharge de son goût – en tant que principe uniformisateur que l’on suit – au profit d’un goût général – signifiant en même temps que l’on a du goût. Elle est, donc, effacement de l’individu au profit d’un goût commun, donc étymologiquement médiocre. Mais le plus important est que la nécessité du changement permanent implique que la mode s’épargne en réactualisant sans cesse ce qui est déjà passé de mode – et, en cela, la mode perd son rapport de pertinence avec le présent, avec le temps.
Il ne reste donc plus qu’une suite de marchandises s’efforçant d’être pertinentes – malgré la vanité annoncée de cette entreprise –, en étant dans leur temps tout en étant soumises à une obsolescence programmée, obsolescence d’autant plus forte que le capitalisme ultime s’efforce d’user et de proposer à une vitesse de plus en plus grande de nouvelles marchandises.
Dans un autre texte, « Le concept et la tragédie de la culture » (1911), Georg Simmel repense cette question par rapport à la culture, en supposant, déjà, qu’outre qu’il nous est impossible de tout absorber, nous ne pouvons le faire avec la même intensité. Il ne reste plus que « ce sentiment d’être entouré d’une multitude d’événements culturels qui, sans être dépourvus de significations pour lui, ne sont pas non plus, au fond, signifiants ; éléments qui, en masse, ont quelque chose d’accablant, car il ne peut pas les assimiler intérieurement tous en particulier, ni non plus les refuser purement et simplement, parce qu’ils entrent potentiellement dans la sphère de son évolution culturelle ». Il ne reste qu’un état de surexcitation permanente, une rhapsodie de sensations mais sans profondeur et sans permanence s’occupant d’objets qualitativement et quantitativement inadéquats. Il ne resterait plus qu’une errance sans but dans un monde où toute marchandise peut se substituer à une autre sans laisser plus de traces dans la mémoire.
Alors que faire ? Comment penser autrement l’art ? Comment définir notre temps autrement que par une accumulation de marchandises s’insérant dans un cycle comme le « ça va, ça vient » des Inrockuptibles ou l’on trouve successivement comme catégories « fashion » : « Pré-buzz », « Buzz », « Hype », « Retour de bâton », « Retour de hype » ! Comment penser justement la contemporanéité et non la suivre ? Peut-être – déjà – en regardant au-delà, en essayant de penser l’art contemporain à partir non seulement de l’art moderne, mais, également de l’art ancien afin d’essayer de voir ce qui le travaille, lui donne ses formes, le nourrit. Enfin, en réintroduisant de la lenteur dans la lecture des œuvres, en permettant un regard prolongé, en décélérant. Il y a peut-être, là, un moyen pour échapper à la rhapsodie de sensations et de refonder du sens entre ce que nous voyons et ce que nous sommes, bref de faire autre chose que d’accepter ce qui va de soi parce que c’est de « l’art contemporain ».

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Essais sur l’art

L’essai est une forme qui se détermine à chacun de ses usages, une forme différant sans cesse d’elle-même, autrement dit une forme ouverte. Ne jamais quitter le terrain de l’expérimentation pour celui de la certitude, c’est ce que voudraient permettre ces « essais sur l’art », qui dans leur pluralité ont en commun de chercher moins à dire une vérité figée sur les œuvres qu’à remettre en jeu et en mouvement leur secret.
« Un discours sur l’œuvre de peinture qui ne serait autre que le discours de l’œuvre de peinture est-il possible ? » (Louis Marin) — voilà qui pourrait être un des enjeux de cette collection.

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