Entrer sans effraction dans la vérité de leur monde. Prendre langue avec. À la lettre sans heurt. S’ouvrir au registre des lieux dans le foyer des couleurs la géométrie du trait l’élan des volumes le geste d’espace. Pénétrer l’écran des neiges celles de l’œil tenu dans son blanc. Incapable de se grandir avant que de se regarder par le dedans. Une attente en allée vers leur monde depuis là.
Poèmes et essais à propos des œuvres de Charles Belle, Véronique Dietrich, Jean-Louis Elzéard, Ann Loubert…
Jacques Moulin est un poète de la vue et du son. Il écrit pour donner au chant du monde une langue, une métrique et un rythme. Il en tisse avec les mots sa tessiture, tresse les liens entre la flore, la faune et notre humanité. Son écriture ourle une attention à mettre en langue les microcosmes de notre monde et de sa nature. Elle en écrit les lumières et les ombres, les bruits et les sons, les formes et les vies, jusqu’à l’écho de ses déchirures.
C’est naturellement qu’il a posé son regard sur des œuvres d’artistes. Comme on pose un regard sur un paysage, comme on tend son oreille au chant d’une mésange, il les accueille dans ses pages en tenant la distance qui les font entrer dans son texte ; sans les y emprisonner mais en s’en nourrissant. C’est ce double mouvement d’attention et de saisie qui porte les textes qu’ont suscité les œuvres qu’il a rencontrées.
Ce sont ces cheminements de l’œuvre au texte et de l’image à l’écrit que ce livre décline. Non pas commenter mais répondre comme à une invitation ou à une question. Non préempter mais butiner quelques tons, quelques couleurs et lumières, et donner à ces œuvres, le temps d’une lecture, une voix. Nous sommes heureux d’avoir contribué par nos rencontres et nos invitations à enrichir les incursions de Jacques Moulin dans l’atelier contemporain. Parce qu’il fait partie de ces écrivains qui lui donnent du corps et de l’esprit.
(Philippe Cyroulnik)
Ouvrage publié en coédition avec Le 19, Crac Montbéliard, avec le concours de la Région Franche-Comté.
Les auteurs
Jacques Moulin, né en Haute-Normandie en 1949, vit à Besançon. Enseignant il a fondé et co-anime les "Jeudis de poésie". Il a publié plusieurs livres de poèmes, notamment : Valleuse (Cadex, 1999), La mer est en nuit blanche (Empreintes, 2001), Escorter la mer (Empreintes, 2005), Archives d’îles (L’Arbre à paroles, 2010), Entre les arbres (Empreintes, 2012), Comme un bruit de jardin (Tarabuste, 2014), À la fenêtre du transsibérien (L’Atelier du grand tétras).
Une bibliographie de J.M.
[Ann Loubert, Portrait de Jacques Moulin, aquarelle et crayon sur papier, 2014, 80 x 60 cm.]
Presse
Entretien avec David Collin (émission « Entre les lignes », Radio suisse romande).
Articles de Marie-José Desvignes (« Recours au poème »), Angèle Paoli (« Terre de femmes »), Jean-Paul Gavard-Perret (« lelittéraire.com »), [Lucien Wasselin] (« Recours au poème »).
Extraits
Il peint Je regarde Ça bruit J’écoute
Silence L’énergie circule Il peint J’écris
Il parle – peu – j’entends Nos corps penchent
Une feuille tombe Reflux sous l’écorce On se sépare
Il peint toujours J’écris de plus loin je tends l’oreille
Un dépôt d’arbre
Une médiation secrète une communion
On se retrouve
On s’essaie à la forêt – un arbre puis un autre. Le livre se compose
Peintures Poèmes
On entre en écho
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le terrain va en penchant et je dévale jusqu’à toi je te retrouve en l’atelier longtemps j’ai habité des collines calcaires aux couches inclinées un abaissement progressif jusqu’au niveau des mers jusqu’aux allures de jardins bas soumis à l’herbe jardins des contrebas terrasses courtes et nettes une architecture du dépouillement robe de bure et cordelette à la taille je te retrouve en l’atelier tel qu’en la halle à prêcher des cordeliers d’hier ton atelier a taille de nef une passerelle nous hisse un peu comme on se parle par-dessus le grillage ou quelque haie vive sans que les grandes parcelles de lin bleu qui battent outre clôture ne fassent trame entre la toile et la dépose d’un trait à même le sol on se penche vers le jour que tu suspends à grands gestes un moment d’espace tu as la manière simple et drue de celui qui l’habite humblement du retrait peu d’intrusion tu tiens la toile à cru sous le pied et comme un chant du souffle dans la gorge un jardin contigu un fil conducteur l’horizon du jardin dans le paysage d’atelier la visite des champs dans l’évidence accrue par la lumière l’énergie de vivre dépense d’amour et danse devant le pré
c’est le geste qui t’incline tu te penches sur la plante dans le mouvement du trait le rituel de la dépose un jaillissement dans la tension d’exister tu suis ton chemin de toile comme un grand promenoir tu peins à la pioche à la bêche à la hache ou au pinceau sur le drap blanc entre potager et verger tu tiens le sceptre végétal d’une main l’objet sacré toujours agrandi le geste ample de l’autre le geste comme outil conduisant l’outil l’énergie voyage de la sève au sang l’expression fuse entre flux et bonde tu es vivant geyser sur le gisant du drap un ciel à terre tu ne joues ni la rose ni le chou tu saisis leur élan d’être là en jouir dans la gravité du silence le respect des matières l’écho des rythmes et la lumière s’y met à l’automne montent les crécelles mais est-ce l’automne et pourquoi cette impression de crécelle quand ça frotte ainsi sur la toile c’est ton souffle qui fait crisser ton geste ta voix râpe la lande l’atelier est un désert ouvert à l’infini des landes à peupler l’échelle est haute après ta chute tu as rampé doucement un geste de neige pour déchirer l’image échapper à la sidération crever la peau des choses se rapprocher de l’horizon des herbes tu as rampé doucement juste un chuintement de manches sur le sol c’est cela que tu cherches à livrer dans la couleur du geste le bruit ténu de la vie tenue dans la chute même
des outils pour les peindre mais plus encore ce corps qui penche jusqu’au passage des formes elles offrent leurs formes par l’élan de la main la main touche la fleur qui touche la forme des formes passent et tu restes au pourtour comme devant quelques tourbières intouchables à peine un effleurement comme on rajuste un cheveu tu crois en la tourbe des fonds d’où sourdent les formes un velouté de peau qui nous saisit vivant elles ont des airs penchés le versement d’inclination une propension à l’attrait pas de forçage mais une joie déboutonnée jusqu’à l’exposition du jouir quelques laves incandescentes et autres briques d’ardeur baignent alentour surgie de la nuit blanche la rivière est profonde qui prend couleur de sangs agités un brassage de saignées une énergie de forge par grand vent de terre une manière d’entrer en herbe folle de saisir la fleur la fleur éprise et toujours ce halètement sur le silence des toiles cette courbure du dos ton dos de glaneur qui tient au champ dans l’appui de ses fleurs tout se délie s’évase se recompose tu avances avec les fleurs sur la toile la toile les accueille comme une offrande un souffle déposé tu vas à pied à même le lin ton corps colle pieds mains et genou tu te frottes au passage de gestes amples on entend le bruit des peaux et des pinceaux comme un bruissement du voir un grand geste d’encensoir un lancer de caméra pour ramasser l’image de glane en semaison tu asperges quelque pollen venu de tes abeilles de l’énergie qu’elles t’insufflent l’atelier est réalité de ruche tout est clos et bouillonne au-dedans chaque couleur attend son heure pour se porter vers l’autre dans la montée du trait les fleurs elles attendent ta génuflexion une manière de danse sacrée devant le temple