« Avec l’avènement en 1933-1934 du fascisme en Allemagne, cessation de tout travail utilitaire. Début de la construction de la poupée. » C’est ainsi que Hans Bellmer décrit sa volonté d’œuvrer à une destitution des autorités paternelles et politiques : autrement dit à un démontage et à un remontage des corps, pour tendre vers ces choses qu’il dit souhaiter le plus – « celles qu’on ignore ».
Édition établie et présentée par Stéphane Massonet ; avec un essai de Bernard Noël.
Porté par un violent désir révolutionnaire, qu’il cultiva au sein de la nébuleuse surréaliste, aux côtés d’André Breton, René Magritte, Gisèle Prassinos, Unica Zürn ou Georges Bataille, ses dessins, comme ses écrits proposés dans cette édition inédite, ont tenté d’ouvrir de telles voies vers l’inconnu du corps et du langage.
Pour cela, Hans Bellmer use des possibilités de décomposition de la réalité consensuelle offertes par l’expérimentation anatomique ou par l’élaboration d’anagrammes. Il procède par étranges déplacements d’organes, comme dans ses Lettres d’amour : « Pas plus petites qu’un grand œil, tes oreilles sont les mains de l’enfant qui occupe ta tête, bercée de tes mains dont l’enfant n’est pas plus grand que toi qui m’aimes... » Les oreilles de la femme aimée font ressurgir le fantôme d’un enfant perdu, selon une technique de déplacement, de détournement, et finalement de « délivrance », comme dit Bernard Noël. Hans Bellmer insiste là-dessus : « L’objet identique à lui-même reste sans réalité. » Sa quête graphique et littéraire vise la désarticulation et la délivrance des corps.
Mais ce n’est pas seulement un Hans Bellmer théoricien ou poète surréaliste que l’on découvre au fil de ces pages. Dans ses lettres, on approche également un personnage touchant, oscillant entre tourments historiques, angoisses matérielles, et joies discrètes. Ainsi trouve-t-on trace de son intranquillité politique dans une lettre à René Magritte de novembre 1946 : « La défaillance en Europe de la race humaine que nous avons entendu appeler “la guerre” etc. – et les répercussions de cela en ma vie intime m’ont enlevé tout goût de dessiner ou d’écrire sur du papier dentelé. » Ce qui n’empêche pas des évocations d’une persévérance sereine, comme dans une lettre à Joë Bousquet de janvier 1948 : « Grâce à Monestier, j’ai un petit coin tranquille où je peux travailler en paix, sans avoir froid. – Et je suis content d’être encore dans le Midi et près de mes amis. » C’est donc un Hans Bellmer aux multiples visages que donnent à lire ses écrits ici rassemblés, incarnant l’idée que les êtres doivent être diffractés pour être vivants.
Les auteurs
Hans Bellmer est un artiste allemand né à Kattowitz en 1902 et mort à Paris en 1975. Fuyant le régime nazi, qui rangea son œuvre empreinte d’un érotisme sombre au rang de « l’art dégénéré », il fréquenta à Paris les surréalistes. Il fut le compagnon de la peintre et poétesse Unica Zürn. Il illustra notamment Histoire de l’œil de Georges Bataille ou Histoire d’O de Pauline Réage.
Presse
Richard Blin, Le Matricule des anges
Jérôme Duwa, Critique d’art
Jean-Paul Gavard-Perret, Le salon littéraire
Jacques Henric, Artpress
Jean-Claude Leroy, Poesibao
Christian Noorbergen, Artension
Didier Pinaud, Les Lettres françaises
Fabien Ribery, L’Alamblog
Christian Rosset, Diacritik
Entretien de Stéphane Massonet avec Yves Tenret, Radio Aligre
Extraits
Il s’agit ici d’une unité toute nouvelle de la forme, du sens et du climat émotionnel des images verbales, qui ne peuvent pas être inventées ou laborieusement échafaudées. Elles entrent dans leurs correspondances sans avertissement et, chargées d’une réalité particulière, elles rayonnent vers de nombreuses interprétations, entrelacent des nœuds avec des significations et avec des échos avoisinants, facétieuses comme un polyèdre miroitant, comme un objet nouveau. Beil (hache) devient Lieb (amour) et Leib (corps), quand la diligente main de pierre glisse par-dessus ; le prodige nous saisit et nous emporte en chevauchant le balai. Le processus demeure énigmatique. Proférant des oracles, spectacles parfois tintamarrants, un lutin zélé et caché derrière le moi, y ajoute beaucoup du sien pour qu’ainsi imagination et condensation soient. Un génie sans doute agréablement irrespectueux, qui ne chante de tout cœur que la gloire de l’improbable, de l’erreur et du hasard. Tout comme si l’illogisme était un réconfort, comme si le rire était permis à la pensée, comme si l’erreur était une route et le hasard une preuve d’éternité.