Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
Un simple coup d’œil dans l’histoire de la culture semble suffire pour constater que son évolution découle d’échanges continus entre ce qu’on appelle le « majeur » et le « mineur », le « haut » et le « bas », l’« élevé » et le « vil », le « noble » et l’« ignoble ». Ces catégories – par conséquent poreuses – et les clivages – fluctuants – qu’elles entretiennent seraient donc, sinon superflus, du moins en partie étrangers aux phénomènes culturels ; ils témoigneraient de l’insertion de ces derniers dans des logiques qu’on préfèrerait imaginer sans rapport avec eux, et en particulier dans des logiques de profit marchand et de distinction sociale.
C’est le mérite de cette nouvelle livraison de la collection Beautés, dirigée par l’écrivain Éric Suchère et le peintre Camille Saint-Jacques, que d’élargir ainsi le champ pour rappeler que la valeur prêtée aux œuvres de la culture a souvent peu à voir avec de purs critères esthétiques. En ce sens, son titre, Majeur/mineur. Vers une déhiérarchisation de la culture, ne doit pas tant être compris comme un appel que comme le diagnostic d’une tendance dont il importe d’éclairer les ressorts, ne serait-ce que pour ne pas perpétuer les discours, au fond hypocrites, sur une prétendue lutte culturelle entre grandeur et décadence.
De quelle façon le dessin de presse et la photographie se sont-ils substitués aux arts dits majeurs pour donner une mémoire à la Commune de Paris ? Par quel revirement des graffeurs pratiquant autrefois dans des friches inaccessibles se voient-ils conviés à investir les sous-sols du Palais de Tokyo ? En quoi un certain « esprit rock » a-t-il ensemencé le cinéma et les arts plastiques ? Comment la pornographie s’est-elle érigée en objet culturel majeur ? La distinction entre musiques savantes et musiques populaires a-t-elle encore un sens ? Par approches croisées, les contributeurs analysent des phénomènes qui, aujourd’hui ou dans un passé récent, illustrent les enjeux et les opportunités d’une rupture des hiérarchies.
Avec des contributions de : Guillaume Kosmicki ; Arnaud Labelle-Rojoux ; Jack Lang ; Fabrice Lauterjung ; Camille Saint-Jacques ; Éric Suchère ; Bertrand Tillier ; Jean-Charles Vergne ; Hugo Vitrani.
Ouvrage publié avec le concours du Centre national du livre.
Presse
Étienne Dumont : Bilan.ch
Jean-Marc Huitorel : Critique d’art
Christian Rosset : Diacritik
Christian Ruby : nonfiction.fr
Patrick Scémama : La République de l’art
Extraits
SOMMAIRE
ÉRIC SUCHÈRE, VERROTERIES INTELLECTUELLES
La bande dessinée, la pop music (les musiques populaires), le cinéma de genre, le polar ou la science-fiction… tous ces domaines, longtemps pensés comme l’opposé du grand art, sont aujourd’hui considérés comme des formes artistiques à part entière à égalité avec les arts dits majeurs. Reste à essayer de comprendre quelles sont les raisons de cette déhiérarchisation et ce qu’elle révèle de nos sociétés actuelles.
JACK LANG, LA CULTURE EST UN TOUT
Actuellement Président de l’Institut du Monde Arabe à Paris, Jack Lang conjugue depuis ses début le militantisme culturel et socialiste. Plusieurs fois ministre de la Culture et de l’Éducation nationale dans des gouvernements de gauche, il prend en charge la politique culturelle durant les deux mandats de François Mitterrand, développe de nombreuses institutions culturelles, dont les Fonds Régionaux d’Art Contemporain, et se fait connaître dans le monde entier en prenant l’initiative de la Fête de la Musique. Il évoque ici l’ensemble de son action et explique comment pratiques populaires et recherches plus élitistes peuvent s’articuler.
BERTRAND TILLIER, MAJEUR-MINEUR
Dans son livre : La Commune de Paris, révolution sans images ? Bertrand Tillier présente la Commune de Paris comme le premier événement capital de l’Histoire de France à ne pas avoir suscité d’œuvres majeures dans le domaine des arts plastiques. Il étudie comment, le dessin de presse et la photographie, considérés comme jusqu’ici des arts mineurs, s’imposent pour nourrir notre regard sur l’Histoire.
HUGO VITRANI, LE GRAFFITI AUJOURD’HUI : DE LA PÉRIPHÉRIE VERS LE CENTRE
En une quarantaine d’années la pratique du graffiti s’est répandue dans les villes du monde entier. Longtemps négligée par les institutions et le marché, cette forme d’art plonge ses racines dans l’art pariétal de la préhistoire. Hugo Vitrani, mène depuis plusieurs années au Palais de Tokyo, Lasco Project qui regroupe des artistes opérant habituellement dans l’espace urbain, de manière visible ou résolument inaccessible au public non initié. Entre la rue et l’institution, la gratuité et le marché, l’éphémère et le « dur désir de durer », c’est l’articulation entre majeur et mineur qui se pose.
ARNAUD LABELLE-ROJOUX, ROCK SPIRIT
Y-a-t-il un esprit rock qui, dès ses origines, implique un rapport à la culture différente, une contestation des valeurs établies, un esprit qui allait ensemencer aussi bien le cinéma que les arts plastiques ? Arnaud Labelle-Rojoux, artiste, revient sur cette histoire et sur quelques figures (de Ray Johnson à Mike Kelley, d’Elvis Presley à Sonic Youth) qui ont amené, permis ou pensé ces passages.
JEAN-CHARLES VERGNE, HUNTING HIGH AND LOW
Et si la relation entre le majeur et le mineur n’était pas de l’ordre de l’opposition ou de l’ignorance, mais, plutôt, de l’ordre du ruissellement. Les pratiques majeures influençant les pratiques mineures et leur permettant une plus grande diffusion et les pratiques mineures revivifiant des pratiques majeures, leur fournissant un renouvellement salutaire. Jean-Charles Vergne, directeur du FRAC Auvergne, revient sur ces passages, ces transmissions de haut en bas et de bas en haut.
GUILLAUME KOSMICKI, LA VOIE DE LA TRANSVERSALITÉ DANS LA MUSIQUE CONTEMPORAINE
Comment penser les échanges entre musiques savantes et musiques populaires ? Les mouvements de va-et-vient entre les unes et les autres ? Comment même penser cette séparation ? Et si, simplement, elle n’avait plus de sens. Guillaume Kosmicki revient sur les contextes esthétiques et sociologiques d’une probable disparition de ces frontières.
FABRICE LAUTERJUNG, PORNACADÉMIE
Le cinéma pornographique longtemps simplement réservé aux satisfactions pulsionnelles a fini par être un élément important de la culture contemporaine. Fabrice Lauterjung, cinéaste, évoque l’histoire de ce genre, mais, également, ses rapports avec la culture, la politique, l’économie et ses conséquences sur notre époque.
CAMILLE SAINT-JACQUES, LA RÉVOLUTION PERMANENTE
La Révolution permanente rassemble trois textes écrits successivement à propos la confrontation des pratiques majeures et mineures. Chacun développe une thématique particulière : la relation au marché ; la dimension éthique de la pratique artistique et enfin, l’enjeu social de cette confrontation.