Jeune mariée enceinte de son premier enfant, Sylvie accouche d’un garçon qui meurt dans les premiers instants de sa vie. Dix-huit mois plus tard, le 10 juin 1819, Gustave Courbet vient au monde. Cinq sœurs arrivent après lui. Il est le second, seul garçon survivant d’une fratrie endeuillée à l’origine par la mort à la naissance du frère aîné. En quête de son identité, il bataille alors contre ce spectre dans les yeux de sa mère. Le fait de savoir qu’il est celui qui vient au monde après ce drame change-t-il quelque chose dans notre rencontre avec l’œuvre de Courbet ?
Préface d’Yves Ravey
Selon la nosographie admise Gustave est un enfant de remplacement. Il est en lutte intérieurement avec son fantôme. Un bégaiement dans l’enfance, une scolarité ratée (sauf en dessin et peinture), une indépendance proclamée avec force, un narcissisme exacerbé, sont les avatars de ce combat, qui est celui d’un homme pourtant « enchaîné » à sa préhistoire. Tant dans sa vie que dans son œuvre, « émeutier dans l’art », il n’a de cesse de chercher à surprendre et à déranger l’ordre établi dans le but de s’assurer une place indiscutable. D’un tableau à l’autre, on le regarde alors livrer bataille avec le Désespéré qui est en lui, bientôt fortifié par la seule commande publique du Saint Nicolas ressuscitant les petits enfants – toile peu commentée mais emblématique de cette recherche, dans laquelle il se représente avec son frère : l’un des enfants, bien fait, tendant les bras vers la vie et tournant le dos à l’autre, celui-ci disharmonieux, qui n’est pas dans le bain du saloir et ne bénéficie pas du miracle. Les tableaux du Maître d’Ornans sont regardés comme on écoute les récits de rêves : fragment par fragment sont ainsi observées les nombreuses versions du processus de symbolisation de l’artiste.
Au petit séminaire d’Ornans avec Claude-Antoine Beau, au Collège royal et à l’Académie de Besançon avec Charles-Antoine Flajoulot, dans les ateliers parisiens de Charles de Steuben et de Nicolas-Auguste Hesse et surtout au Musée du Louvre, pour ne pas être la pâle copie de l’original, hors de la langue maternelle, Gustave Courbet se cherche en peinture à la conquête de sa singularité. Tenter d’apercevoir, à travers son œuvre, les combats de sa vie intérieure, est l’approche fructueuse que mène Christian Jouvenot dans son ouvrage.
Les auteurs
Né en 1945, Christian Jouvenot est psychanalyste et psychiatre. Il est l’auteur de Freud : un cas d’identification à l’agresseur aux Presses Universitaires de France (2003) et de plusieurs ouvrages aux éditions L’Harmattan, dont La Folie de Marguerite, Marguerite Duras et sa mère (2008), Aimer Duras, Marguerite aux semelles d’eau et de vent (2013), Claude Simon, l’identification au père inconnu (2015).