Une femme surgit. Et revient, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, en une suite de dix-sept séquences. 17 secondes, le roman-photo de Marc Blanchet, lie chaque portrait de cette femme à une prose, en une suite numérotée qui interroge le mystère de l’autre autant que l’acte et l’image photographiques. Y a-t-il réellement fiction ? Ne sommes-nous pas plutôt dans un monde d’hypothèses, né de l’envie d’écrire sur l’être aimé, d’en raconter la présence dans le temps — et penser ainsi la photographie à travers une écriture poétique ? 17 secondes se déploie comme un éventail, à même de se refermer pour enclore ses secrets.
Ouvrage coédité avec les éditions Immanences.
Les auteurs
Marc Blanchet, né en 1968, est écrivain et photographe. Il vit actuellement à Tours. Il a publié récemment aux éditions Obsidiane Tristes encore (poésie, 2022) et aux éditions La Lettre volée, Le Pays (poésie, 2021). De 2019 à 2022, les éditions Immanences ont publié de son travail d’écrivain-photographe une suite de « fototext » à tirage limité, Zwischen Berlin. Sa nouvelle exposition 3 + 3 (trois séries + trois publications) est présentée du 12 au 26 mars à la galerie Veyssière (Tours) et du 7 mai au 4 juin 2022 à la galerie Arrêt sur l’image (Bordeaux). Son travail photographique sera également montré au sein des Collections de la BNF en 2023 et 2025.
www.marcblanchet.fr
Presse
Entretien de Marc Blanchet avec Anne Segal, Télérama Web
Jan Baetens, Revue générale
Michael Bishop, Dalhousie French Studies
Jean-Paul Gavard-Perret, Le salon littéraire ; Lelittéraire.com
Christian Gattinoni, lacritique.org
Fabien Ribery, L’Intervalle
Extraits
1
Il ne perçoit pas tout de suite le tremblement de l’image. Il est d’abord attiré par la jeune femme. Toutefois, il constate rapidement que son apparition ne s’inscrit dans aucune netteté. La jeune femme est une lumière qui vibre avec lenteur. Il est heureux de l’avoir croisée dans la ville, sous l’éclairage des réverbères. Il s’est épris de ce tremblement, comme si quelque chose s’émouvait et ne cessait de le faire. Un peu plus tard, il comprend que l’image qui vibre et la femme en elle sont indissociables. Il devine même que la femme, la jeune femme, sera toujours dans cet écartèlement de la lumière, dans ce discernement difficile, l’éviction de toute conscience. L’image s’est faite ; la photographie est là. Il voit bien plus que le corps d’une femme. Il y a sous ses yeux l’entièreté d’un être, dans la rue, tard le soir, avec ce sac qui brille de mille feux, comme s’il s’était échappé d’une légende, comme s’il était devenu le protagoniste d’une histoire qui commence à se prononcer, d’un conte qui reste à lire. Il regarde les contours de l’objet, incessamment lumineux ; un objet ouvragé, tissé de fils d’or, n’en doutons pas. Un objet ourlé de douceur, dans lequel son regard ne peut pénétrer et découvrir un peigne en ivoire, un livre inconnu ou l’identité noir sur blanc de la jeune femme qui lui fait face. L’homme est perdu dans la lueur qu’il a créée. Car c’est lui qui est à l’origine de la saisie, à la source de ce qui maintenant existe à l’écart de ses volontés. La photographie tient dans sa main comme elle se dresse devant lui, pareille à un paysage. Il a beau la regarder, il ne parvient qu’à une contemplation trouble. Elle semble vivre, s’agiter, vibrer en dehors de toute appréhension. C’est comme si l’image ne regardait qu’elle-même.
2
Il recroise la jeune femme peu après. Autour d’elle, l’espace a totalement changé. La lueur dans laquelle elle baignait n’existe plus. C’est une autre seconde, apparue sans rien déployer de la lumière qu’il avait tant aimée. L’objet de son désir s’est-il évanoui ? Il se pose inévitablement la question. Elle est pourtant là, celle qu’il pourrait nommer l’Étrangère – et ne le peut tant cela serait grandiloquent. À nouveau, elle le regarde ; à nouveau, elle semble le regarder. Des reflets épars se mêlent au regard de la femme et contaminent l’image. Ces motifs géométriques, qui la recouvrent et la débordent, n’ont pas le charme d’une vision nocturne. Une étrange symétrie est à l’œuvre ; elle signe la fin d’un trouble et permet le triomphe d’un jeu de lignes droites. Il y a cependant le reflet des arbres, une végétation imprécise qui s’étiole sur les matières plastiques qui le séparent de la jeune femme, de la femme. Il ne peut s’en approcher (il s’est suffisamment approché comme ça). De fines lignes verticales devant elle, plus épaisses en-dessous, dessinent comme un cadre strict, balayé d’empêchement. La femme est là, au milieu d’un obstacle qu’une paire de ciseaux ou une lame bien affûtée pourraient déchirer comme un cri. Son visage a changé. Il semble plus dur, fermé, empreint d’un éloignement qu’elle désire peut-être. Le tremblement n’est plus propre à l’image ; il est passé dans l’homme qui a pris la photographie, qui du moins le prétend. Les choses ont cette capacité à nous abstraire de nous-mêmes, nous faire douter de nos actes. Elles nous font mentir pour la singularité d’une image qui n’est plus que la consternation d’un être, sinon sa terreur. Pour peu que l’homme éloigne de telles craintes, la femme semble délivrée de toute projection, toute représentation. Elle le fascine par sa beauté, plus indicible qu’insaisissable. Il finit par aimer la voir de cette manière, sans son sac doré, ce scintillement d’un soir, au crépuscule. Il l’apprécie ainsi, entrelacée par la végétation, proche d’une imminente disparition. L’obscurité va-t-elle absorber ce visage et ce corps nimbé de vêtements d’un blanc apparemment pur ? La femme va-t-elle être enlacée par ces branches en suspens, enveloppée d’une multiplicité de fleurs ? Un parfum envahit l’espace alors que l’homme continue de regarder l’image.