Camille Saint-Jacques introduit ses notes réflexives de la même façon qu’il signe – ou ne signe pas – ses tableaux : inscrivant son âge en chiffres romains et, en chiffres arabes, le numéro correspondant au jour de l’année. C’est dire que sa peinture et son écriture se veulent journalières, qu’elles prennent place tout ensemble dans le temps du quotidien, dans la durée d’une vie d’homme et dans un horizon qui les dépasse l’un et l’autre. Malgré ce choix du jour le jour, qu’on ne redoute pas ici de devoir prêter l’oreille au clapotis d’une chronique routinière. Car ce choix relève d’une aspiration éthique et esthétique nettement exprimée et même revendiquée ; et quoique la voix et la vie de l’auteur transparaissent à chaque page, quoique le ton reste toujours celui d’une quête personnelle, le sujet de ces notes très élaborées est bel et bien, non seulement ma, mais la peinture. L’émotion primordiale, le tâtonnement aveugle, le lâcher-prise recherchés dans l’acte de peindre sont ainsi ressaisis dans des analyses d’une grande limpidité.
Les témoignages des proches de Käthe Kollwitz font tous état de son laconisme. Ses œuvres, au contraire, parlent à voix haute, elles sont criantes ; elles revendiquent, dénoncent et déplorent. Du fait de cet écart entre le silence de la personne privée et la force expressive de son art, écart qui relève moins d’un état de fait que d’une méconnaissance critique, Kollwitz s’est parfois vu réduite à son image d’« artiste engagée » – femme, de surcroît, et Allemande, et figurative –, avec les conséquences que l’on peut vérifier pour la réception de son travail. C’est en vue de combler ce déficit que L’Atelier contemporain propose le texte intégral de son journal, à côté d’autres documents autobiographiques et de ses articles. Mise en perspective dans la préface de Marie Gispert, augmentée d’un vaste cahier iconographique retraçant l’évolution du travail de Kollwitz, ainsi que d’une centaine de documents photographiques totalement inédits en France, cette édition est appelée à constituer l’ouvrage de référence pour tous ceux qui souhaitent approcher l’œuvre de cette grande figure artistique.
Francis Bacon intrigue. Il est le peintre de la violence, de la dislocation et du cri, qu’il déploie dans de grands triptyques. Ses œuvres choquent souvent, mais toujours fascinent. Au cours d’entretiens menés entre 1964 et 1992, l’artiste se prête au jeu des questions réponses et se dévoile peu à peu. Bacon parle de sa peinture, de son admiration pour les œuvres de Picasso et de Vélasquez, de Buñuel et d’Eisenstein. Il exprime son opinion sur l’art contemporain, qu’il n’aime pas, et sur l’art abstrait, qu’il déteste. Il défend passionnément ce qu’il aime, n’hésite pas à corriger ses interlocuteurs, se lançant parfois dans une joute verbale pour affirmer son point de vue d’artiste.
Et puis il y a l’homme, cet homme vieillissant à l’intrigante allure de jeune homme, avec son passé irlandais et son expérience de la guerre, sa vision de la vie et de la mort. Un homme qui a aussi ses faiblesses. Bacon fait part de ses doutes : il pense ne pas savoir dessiner, ne pas plaire au public. Il ne veut plus revoir ses tableaux. Autant de confessions qui tracent les contours d’un être atypique, dont l’œuvre n’en finit pas de captiver.
Le présent volume rassemble les écrits de différentes natures que Farhad Ostovani a rédigés depuis une vingtaine d’années. Les uns, qu’on lira dans les deux premières parties, sont des souvenirs, des évocations de l’enfance et de l’adolescence, mais aussi de moments décisifs dans la vie de l’adulte qui les rapporte à son existence actuelle parce qu’il n’en a jamais fini avec les obligations que sa fidélité lui impose. Les autres, occupant les deux dernières parties, sont, d’abord, des récits de la rencontre de l’auteur avec Yves Bonnefoy et du travail qu’ils ont accompli à quatre mains pour leurs ouvrages cosignés, puis, terminant l’ensemble, trois relations du rapport du peintre à d’autres œuvres de musique et de sculpture dans lesquelles il a puisé une part importante de son inspiration d’artiste.
Trois peintres de la Figure est le deuxième volume de la suite Proximité du tableau, initiée en 2021 par le philosophe Paul Audi, dont l’œuvre est en grande partie consacrée à mieux cerner les questions éthiques complexes qui hantent les arts en régime de modernité. Je ne vois que ce que je regarde, le premier volume paru chez Galilée, cherchait à décrire « le miraculeux de la présence » qui peut naître de la rencontre entre un regard et un tableau. Dans ce deuxième volume, ce miraculeux a pour nom « Figure ». La Figure est ce qui émerge quand a lieu une rencontre avec un tableau, cette « entité imaginale qui me regarde ». Pour comprendre les conditions de cette fragile émergence, Paul Audi prête ici une attention passionnée aux œuvres de trois peintres contemporains : Eugène Leroy, Paul Rebeyrolle et Ronan Barrot.
Figures disparues , vol.2
En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation de la figure humaine héritées de la Renaissance ? Dans quelle mesure cette rupture s’est-elle logée dans le discours moderniste au point, désormais, d’y passer en partie inaperçue ? L’art contemporain est-il un art qui se situe simplement après Auschwitz ou bien est-il, de manière plus complexe, un art d’après l’événement ?
Telles sont quelques-unes des questions qui donnent a cette Histoire de l’art d’après Auschwitz ses principales orientations. À bien des égards, en proposant une relecture critique des fondements de la modernité artistique et une généalogie de l’art contemporain, cette vaste étude se veut donc aussi une contre-histoire de l’art.
« L’anonymat est un combat » disait Jean Clay. Une discrétion revendiquée plane sur l’existence et sur l’œuvre de celui qui a fondé les prestigieuses éditions Macula en 1980. Atopiques rassemble ses écrits sur l’art les plus importants, parus notamment dans les revues Robho et Macula qu’il a fondées avec une passion érudite, au fil des années 1960 à 1980. Des contributions des historiens de l’art Yve-Alain Bois et Thierry Davila en éclairent la portée théorique et historique.
« Je n’ai pas de théorie sur l’art. Quand j’écris sur un artiste, j’essaie de dire ce que j’ai vu, entendu et pensé dans l’atelier, devant les œuvres. » Fidèle à cette approche, Jean Frémon nous livre un témoignage précieux de ses rencontres avec les artistes et leur travail. Sa longue carrière de galeriste associée à son activité d’écrivain a permis à ce compagnonnage d’irriguer des écrits où se manifeste librement la fascination de l’auteur pour les peintres et sculpteurs qu’il fréquente, et d’exercer un regard vivant sur la création contemporaine.
Publication d’une soixantaine de lettres échangées entre 1969 et 1984, suivies d’un essai inédit de l’écrivain belge. Cet ouvrage nous donne à découvrir la naissance d’une véritable amitié entre les deux hommes d’une génération de différence, dont la correspondance se fait l’écho. Au fil des lettres, transparaissent le respect sincère, l’admiration réciproque, une amitié qui confine parfois à l’amour fraternel, tant à travers le contenu des échanges que dans la forme de leur adresse. Ce livre nous plonge dans l’univers des deux artistes, leurs échanges épistolaires évoquant leurs œuvres respectives, leur processus de création comme leurs influences.
Édition de la correspondance complète entre les deux artistes, largement inédite, augmentée d’un long entretien que VN avait réalisé avec JD pour la revue Flash Art, des préfaces écrites par celui-ci pour Le Drame de la vie, d’un texte de VN en écho aux personnages de JD, et de très nombreux documents inédits : dessins, lettres, manuscrits… Préface de Pierre Vilar.
Cheminant vers ce qu’il aime appeler la « vérité de poésie », Yves Bonnefoy a toujours apprécié le voisinage des peintres et de la peinture, proximité à travers laquelle on devine la résonance intime, ardente et pourtant mystérieuse, qu’il pressent en cet art.
Parmi ces compagnons de travail et de pensée, Gérard Titus-Carmel tient une place singulière. Cet artiste, lui-même poète, sait en effet les difficultés qu’un texte souvent oppose à se laisser illustrer, regimbant aux « illustrations mercenaires » qui le figent ou le défigurent. Voici donc près de dix ans que se tresse ce dialogue entre ces deux belles et voisines solitudes qui, d’une rive l’autre, semblent se héler. Ce dialogue est scandé par des œuvres majeures qui lui ont donné ses accents et ses formes.
Ces œuvres révèlent une amitié vraie et, sans doute à la source de cette connivence, les contours d’une intuition partagée.
Tableaux de couples nus s’ébattant dans des cieux pastel. Sculptures copulatoires de corps en suspension dans l’air. Reliquaires présentant des figures d’anges sexués, armés de fusils mitrailleurs. Là-dessus, des vaisseliers, des autels domestiques, des oratoires… Visiter le « garde-meuble » de Jean Claus, c’est, d’évidence, s’aventurer dans l’inclassable. Car cet art, qui assume avec malice l’inactualité de ses sujets, puisés dans un répertoire qui serait celui des Métamorphoses, de la grande peinture des XVIe et XVIIe siècles et du premier romantisme, est en même temps on ne peut plus contemporain dans le choix de son principal matériau, la pâte polyester, et affirme de la sorte un sens du décalage tourné contre l’époque aussi bien que contre lui-même. Et de fait, face aux « amphigouris », écritures indéchiffrables reportées sur le socle des statues, face aux titres abracadabrantesques des tableaux, face, surtout, à l’ironique légèreté de cette œuvre, c’est au tour du spectateur d’en perdre son latin.
En 2008 le peintre Farhad Ostovani découvre une sculpture de Bacchus dans un jardin à Nervi — bien que fort endommagée, c’est un émerveillement pour l’artiste qui réalisera une suite de plus de 40 œuvres : des portraits de ce jeune homme peints et dessinés sur une base photographique.
Cet ouvrage réunit l’ensemble des œuvres réalisées, ainsi que, en sus d’un texte de l’artiste contant son rapport à ce Bacchus, deux essais d’Alain Lévêque et Madeleine-Perdrillat.
Datés des années 1927 à 1946, les vingt agendas de Pierre Bonnard qui nous sont parvenus couvrent presque, au jour le jour, les vingt dernières années de sa vie. Ils offrent donc un éclairage jusqu’à présent inédit sur la recherche quotidienne d’un peintre en sa dernière maturité. En regard du relevé bref et assidu du temps qu’il fait, de la qualité de la lumière et des lieux visités, Bonnard, inlassablement, dessine au crayon de papier ce qu’il voit, silhouettes, visages, gestes, objets, paysages. Autant d’esquisses qui préfigurent les motifs et la composition de certaines grandes peintures.
Le dessin c’est la sensation. La couleur c’est le raisonnement. Si cette observation de l’artiste nous renseigne sur une méthode qui s’alimente aussi bien aux visions les plus soudaines qu’au lent travail de l’atelier, le présent livre constitue bien une révélation.
Recueil complet des essais du poète Yves Bonnefoy sur le peintre Alexandre Hollan : 30 ans de réflexions.
« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »
C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.
Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».
« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».
Les « photographes bruts », selon Michel Thévoz, ont pour particularité de rater leurs clichés chacun à sa manière – et c’est un ratage réussi, qui met en évidence le fonctionnement de ce formatage culturel de nos images et, consécutivement, de notre perception.
Un sentiment qui tient le mur donne l’impression de se trouver derrière l’épaule de Pierre Bonnard, à lire ce qu’il notait et griffonnait quotidiennement dans ses carnets. Ce volume rassemble des propos extraits de ses pages d’agendas couvertes de dessins, de remarques sur le temps qu’il fait, de brèves notations sur son art, mais aussi ses textes sur la peinture et sur Maurice Denis ou Auguste Renoir, ainsi que ses entretiens. Sa parole visait la fulgurance, comme son regard visait à retrouver la « vision brute », la « vision animale ». (Préface d’Alain Lévêque)
« Nous aurons à nous arrêter souvent devant l’inconnu » : c’est par ces mots que Rainer Maria Rilke résume son rapport aux œuvres de celles et ceux dont il se sentit proche : Auguste Rodin et Paul Cézanne qu’il découvrit à Paris, mais aussi Heinrich Vogeler ou Paula Modersohn-Becker, qu’il fréquenta au sein de la communauté de Worpswede. Ce volume, avec sept textes inédits en français, rassemble pour la première fois ses écrits complets sur l’art et sur la « vie nouvelle » qu’il annonce. (Préface de Henri-Alexis Baatsch, traductions de Bernard Lortholary et Maurice Betz)
Malgré l’absence de vestiges, les plus anciens tatouages conservés de corps momifiés datant de 3000 ans avant J.-C., plusieurs indices semblent accréditer l’idée que l’homme a pris son propre corps pour premier support de la peinture. De cette pratique originelle, on peut, observer des résurgences jusque dans les mouvements contemporains du Body Art et du Transvestisme.
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
Jean-Jacques Gonzales se déclare photographe à la manière des Primitifs pour qui le recueil et la conservation d’une image du monde constituaient la merveille. Son projet est de retrouver cette émotion originaire en contrecarrant l’effacement progressif des traces du médium dans son « perfectionnement » sans fin et de sa solidarité ontologique avec le monde abolie aujourd’hui par l’instantané numérique. S’impose alors une tâche pour la photo-graphie : celle d’être une « graphie » au sens non pas d’une écriture déployée par un « vouloir-dire » de l’artiste ou par l’affirmation des puissances de la technique, mais en son sens premier de recueil d’une griffure, d’une trace, d’une marque, d’une impression sensible reçue du motif, pour libérer les puissances qui s’y réservent.
Lutter contre le premier rendu de la prise de vue, le déporter hors de son évidence native par le travail patient de l’atelier, le dé-faire, le désécrire selon les termes de Jérôme Thélot dans l’essai qui ouvre cette monographie, est le travail auquel s’astreint Jean-Jacques Gonzales : « C’est un travail du négatif qui vient à perturber, à désécrire les constructions optiques de l’appareil pour ouvrir l’image finale à la réalité du motif et à sa présence même. » Il s’ensuit dans cette œuvre une poésie de la présence, dans laquelle toute réalité profonde s’offre et se dérobe à la fois, proche et lointaine, évidente et retirée, et qui ne peut être ralliée qu’au prix d’un effort radical contre toute rhétorique de l’image.
Premier ouvrage consacré à l’œuvre photographique de Nathalie Savey, qui reproduit ses principales séries accompagnées de poèmes et proses de Philippe Jaccottet qui accompagnent et éclairent son travail. Trois études inédites par Héloïse Conésa, Michel Collot, Yves Millet.
Marelle est un recueil de poèmes cliniques. Psychologue clinicienne et psychanalyste, Julia Peker exerce dans un Centre Médico-Psychologique où elle reçoit enfants et adolescents. Chacun des poèmes de ce recueil reprend une consultation menée avec un enfant. Il ne s’agit pas de restituer un tableau clinique, mais de rendre hommage à la singularité de chaque rencontre. Dans sa lecture de Marelle, le poète Jean-Louis Giovannoni remarque que l’écriture de Julia Peker « travaille directement avec les parts invisibles de notre psychisme, non seulement celles qui nous fondent, mais aussi celles avec lesquelles nous envisageons le monde et notre rapport aux autres ». Marelle est un livre de poésie qui nous rappelle « qu’il faut d’abord réparer ce qui est blessé en profondeur ; bricoler s’il le faut du provisoire, bouger même si c’est de peu, et surtout tenir dans le temps… pour que le chant puisse un jour reprendre ».
Préface de Jean-Louis Giovannoni
Dessins d’Ena Lindenbaur
Nous qui nous apparaissons trace une voie dans l’inconnu, dans la nuit des sombres temps. Pour affronter cette nuit, Gérard Haller invoque la compagnie des poètes qui lui sont chers, comme Nelly Sachs et Paul Celan, dont une formule aussi obscure que limpide est placée en exergue : « vers nous et devant nous et vers nous ». C’est ce battement qui scande Nous qui nous apparaissons, comme il scande tout cheminement dans l’inconnu.
Écrire, photographier : deux façons de se tenir au bord du monde.
C’est ce bord, immémorial et intime, que le photographe Alain Willaume arpente, dont il relève obstinément les traces et fait retentir l’écho. Et c’est là que l’accompagne, par moments, depuis plus de trente ans le poète Gérard Haller.
Face’s End est né de cette compagnie à éclipses, éphémère et fidèle.
Livre à deux cette fois – deux écoutes, deux regards. Mais, d’un phrasé sur image à l’autre, un seul et même poème. Un film au ralenti. Le temps devant chaque image de la laisser entrer en résonance et s’ouvrir, se diffracter, nous exposer ainsi à la nuit du monde qui nous précède comme à l’inouïe aurore qu’elle appelle.
C’est un livre dont il est plus facile et plus tentant de dire ce qu’il n’est pas que ce qu’il est : d’abord parce qu’il est singulier, étrange et peut-être unique en son genre ; ensuite pour éviter à son lecteur d’être déçu pour de mauvaises raisons. Loin de lui tout « projet », tout « message », toute arrière-pensée. Il est tout entier à ce qu’il raconte, n’a pas le temps et l’espace de nous adresser des clins d’œil, et pour cause : ce qu’il relate est la vie même, dans ce qu’elle a de beau, d’embêtant et de déchirant. C’est un roman qui n’a pas d’autre beauté que de conter un destin qui nous touche ; mais cette beauté-là, il l’a toute. On ne peut mieux plaider en sa faveur qu’en demandant de lui faire confiance. Il le mérite, et on ne le regrettera pas.
« Que lisez-vous ? »
Alexandre Hollan
Jérémy Liron
Clémentine Margheriti
Gérard Titus-Carmel
« Pourquoi écrivez-vous sur l’art ? »
François Dilasser
Alexandre Hollan
Ann Loubert
Monique Tello