Ce nouveau livre d’Olivier Domerg s’origine dans la vision et les sensations éprouvées lors d’une première traversée du Cantal, fin mars 2014, alors qu’il se rendait au Centre international d’art et de paysage de l’Île de Vassivière, sur le plateau de Millevaches. Il avait, pour y aller, délibérément choisi de « passer » par Le Cantal, qu’il désirait découvrir au printemps. Cette traversée s’effectua donc, une première fois, de Saint-Flour à Riom-ès-Montagnes, en passant par Murat. Il refit exactement le même trajet, le 7 mai 2014. Et, de même, quatre ans plus tard, le 31 mai 2018, pour se rendre, de nouveau, à Vassivière.
Écrivant sur le paysage, Olivier Domerg invite le lecteur, à une découverte des monts du Cantal qui redeviennent, au printemps, ce « jardin d’altitude », qu’exhaussent et, à la fois, adoucissent, le retour et le foisonnement du vert (herbage et feuillaison). C’est, d’abord, comme cela, qu’il faut entendre le titre du livre, cette « Verte traVersée » : littéralement, la traversée d’un département dédié en majeure partie à l’élevage, et, donc, essentiellement constitué de prairies, de pacages et de forêts, au moment où celui-ci est « le plus vert » ; où s’affirme sa plus grande « viridité », comme disait Rimbaud. Cette traversée se voudra, dès lors, un hommage à la couleur du règne Végétal (herbe, plantes et arbres) et, d’une certaine façon, un hymne au paysage et à tout ce qui le compose.
Il s’agit, par conséquent, de dire la nature, le visage et la dimension d’un département (Le Cantal) à l’acmé d’une saison (mai) en 455 dizains, regroupés en dix-neuf chapitres, eux-mêmes correspondants à différents segments de la route des monts du Cantal parcourue. Ou, pour le dire autrement, de donner à voir, entendre et sentir, l’espace d’un livre, comment la poésie, dans son déploiement, sa justesse et sa précision, et en recourant à ses seules potentialités, peut rendre compte de la pluralité des paysages traversés, du « sentiment géographique » comme du « renouveau du vert » qui s’en dégagent.
Au vu de la forme empruntée ou choisie – le dizain (blocs composés de dix vers de dix syllabes chacun) – cette « traversée du vert » se double d’une « traversée du vers », puisque ces dizains ont été écrits à partir des notes prises in situ, au cours des divers trajets susmentionnés. L’ambition du livre étant, dès lors, de réactiver, joyeusement, une forme et une prosodie traditionnelle (le dizain), constamment mise à mal par « le surgissement du réel et l’effort pour l’exprimer ». Et, sans arrêt gauchie par l’irruption du vert dans le vers ; et par la nécessité d’être, à la fois, extrêmement fidèle (dans la restitution des sensations) et extrêmement inventif (dans la langue poétique qui s’en saisit).
Ainsi, ce livre sur les paysages des monts du Cantal et sur leur reverdissement se complète, dans le même temps, d’un travail poétique sur le vers. La perspective, toute personnelle, de l’auteur, est de réinvestir celui-ci à la faveur de ce vert profus, inspirant et printanier, visant, à travers cette homophonie, le sens et l’ambivalence même de toute écriture poétique : la sensibilité au monde se doublant d’une sensibilité à la langue. Et, la tentative de saisie de ces monts et de ce qui les caractérise (leur reverdissement manifeste) se redoublant d’une ressaisie de sa langue et par la langue (sa « vervev » et sa « verdeur »). Le vert renouveau (de la saison), dont il est question, s’accompagnant itou du renouveau d’une forme poétique. Car, tout nouveau livre sur le paysage est aussi, pour lui, quelle que soit la forme qu’il prend, un livre de poésie, ainsi qu’un livre sur la poésie.
Ouvrage publié avec le concours du Centre national du livre.
Les auteurs
Il écrit depuis plus de vingt-sept ans sur le paysage ou dans le paysage, et souvent également, devant lui ou au-devant de lui. Une vingtaine d’ouvrages ont paru, abordant aussi bien des espaces urbains (Treize jours à New York, voyage compris), des lieux multiples ou isolés (Le ciel, seul ; Restanques ; Une Campagne), ou encore, des espaces naturels ou des entités géographiques – océan, montagne, fleuve ou département (L’articulation du visible ; Fragments d’un mont-monde ; Rhônéo-Rodéo ; Le chant du hors champ, etc.). Chaque nouveau livre est l’occasion d’une nouvelle saisie ou appropriation ; un pas en avant dans une tentative ouverte, constamment re-questionnée ; et, par conséquent, réactivée ; avec, pour chaque paysage, une volonté de trouver son écriture et sa forme.
Brigitte Palaggi pratique la photographie depuis 1973 et a réalisé de très nombreuses expositions personnelles et collectives. Une monographie (Parmi d’autres possibles) portant sur son travail et couvrant trente ans de photographie noir et blanc a paru aux éditions Le Bleu du ciel. Elle s’attache, généralement, à des séries thématiques pouvant s’étaler sur plusieurs années. Indépendamment de cela, elle a longtemps travaillé sur différents paysages, en France et à l’étranger. Et, notamment, sur ceux de l’Italie, des Ardennes, du Finistère, du Limousin, du Calvados ou du Cantal ; et, très longuement, sur ceux du bassin de l’étang de Berre, des Bouches-du-Rhône et des Hautes-Alpes : travaux qui ont donné lieu à plusieurs expositions (dont Le chant du hors champ ; La Sainte-Victoire de loin en proche ; La Montagne des marseillais ; Le Puy-de-Manse ; Fragments d’un mont-monde ou Poétique
du territoire) et plusieurs livres.
Presse
Christian Désagulier, Poezibao
Jean-Pascal Dubost, Poezibao
Jean-Paul Gavard-Perret, Le littéraire.com
François Huglo, Sitaudis
Jacques Josse, remue.net
Isabelle Lévesque, Quinzaines
Jean-Marc Pontier, Poezibao
Julien Ségura, Médiathèque du Bassin d’Aurillac
Christophe Stolowicki, Sitaudis
Article dans La Montagne
Article dans La Dépêche
Entretien, Radio G, émission « Entre les pages » [à partir de 25’40]
Sur le site du CIPM, présentation de l’exposition « La somme des deux” (Olivier Domerg & Brigitte Palaggi), 14 septembre-22 décembre 2023. Avec un texte de Marielle Macé : « voir, vert, vers ».
Extraits
Enregistrements de lectures du livre par Olivier Domerg & Brigitte Palaggi, au CIPM :
« La Verte traVersée » (Chapitre 1 / en entier)
« Ralenti de l’action » (Chapitre 5 / extrait)
« Monter vers le puy » (Chapitre 14 / extrait)
« Mary a tout pris » (Chapitre 15 / extrait 1)
« Mary a tout pris » (Chapitre 15 / extrait 2)
Voici, donc, la traversée seconde,
Quatre-vingt kilomètres environ
Sur les contreforts cantalous des Monts,
À l’heure, plus tardive, du fait de
La température et de l’altitude,
Du bourgeonnement diffus des feuillus
(Frênes, chênes et hêtres entrevus) ;
Et de la coloration des pâtures,
Colonisées par les fleurs des champs ;
Pissenlits, au premier rang desquelles,
Si « on ne croit », bien sûr, « que ce qu’on voit » :
Le JAUNE immensément envahissant !
Ou bien, si l’on ne voit que ce qui croît ;
Élisant ce ton, ce ton qui détonne :
JAUNE invasif, hissant son monochrome,
Rajeu- ou rajau-nissant les Vallées
Et Versants débonnaires et replets
De ces Monts, devenus, à leur insu,
« Monts d’or » – de la couleur des boutons – OR
Ce jaune est aussi celui des genêts,
Quand bien même, beaucoup plus littéraire
– Car, toute fleur, par ce jaune, renaît
Telle la prairie, son embellie,
Qui, tous deux, vous surprenait de plus belle ! –
Vous regardiez briller dans ces pacages,
Çà et là, de parure en parages, ces
Millions de microscopiques foyers
Qui rejaillissaient de ce VERT herbeux
(Comme la verve jaillit du verbeux) ;
Émerger, d’un seul coup, à la surface,
Pour changer, si brièvement soit-il,
Du vif flamboiement de leurs capitules,
Des vaux, des monts et du monde, la face,
S’y projetant, tels, par mille et par cents,
Pour émailler leur vêture herbeuse,
Pour la subvertir ou tout recouvrir ;
Le printemps n’avait qu’à bien se tenir,
Les pissenlits en étaient l’épicentre !
Tel un feu de paille très endurant,
Ils flambaient, plein champ, et dans tous les sens ;
Étalant, sur le tapis VERT, leur jeu :
Faramineuse flambée du jaune
(Aux fortes capacités rémanentes),
Et, pour sûr, cela durerait le temps
Que dure la floraison lumineuse,
Le temps d’une saison réduite au feu
De la fleur — celle qui vient, en son temps,
Annoncer, de la couleur, le retour ;
Et redéfinir, ainsi, le pays,
Vingt jours seulement après leur repousse !
De plain pied, on entrait dans le ‘motif ’
Dès après Saint-Flour, cueillis à (feu) vif
Par le VERT pays, d’herbe entièrement
Moulé, galbé, et de frais recouvert !
« Zones » dédiées aux « pâturages »
Et « prairies d’altitude », et façonnées
Par l’homme, les bêtes et l’élevage —
Chacun des lieux en portait témoignage :
La peau des monts marouflée de prairies,
De sentes et sentiers, parcs clôturés,
De bocages morcelant les versants
De haies ou de murets surmontés d’arbres ;
Entés sur cette généalogie
De ru, de rivières et de ruisseaux,
De bosquets, de forêts et de points d’eau ;
Et maillée de chemins et de routes,
De corps de ferme et aussi de burons
(Où le fromage était coulé en rond
Et stocké, là-haut, le temps de l’estive) :
Constructions en pierre, aux lauzes rétives.
Parties prenantes d’un paysage
Dont l’argument tient essentiellement
Aux rudesses et mollesses des monts ;
À ce mélange et à ce qui le rompt,
Roches en saillie, ruptures de front !
Ces masses musculeuses au pelage
Dru et doux, à l’image des bovins
Qui y paissent, au moins, six mois de rang ;
Troupeaux épars, parfois avoisinants,
Au gré d’un hasard, d’un plan rapproché.
De toute espèce, si l’on s’en tient à
La variété des robes et des races
(Quand prédomine, pourtant, la ‘Salers’ !)
Convoquées, en quelques kilomètres,
Comme pour une Foire ou une Expo-
Sition in situ, en pleine nature !
– « Foireux bestiaux ! », n’écrivait pas Flaubert,
Qui, flattant des Beaux, vidés de leur lait,
Récusait ces beaufes idées (le bo-
Varisme absent du monde paysan) !
Passé Roffiac, vous rouliez à travers
Un plateau un brin ondulant et vert,
Tramé de bocages et de prairies,
Dont certaines, complètement fleuries !
Plateau ponctué aussi de hameaux
Agricoles et fermes isolées,
Souvent flanquées de dépendances
Conséquentes (étables et granges).
Plateau montant à son extrémité
Que bardaient divers cordons forestiers
(« L’eau sombre des sapinières dressées »),
Avec, dépassant, à l’arrière-plan,
La chaîne des Monts tavelés de neige :
Formes grises et blanches ramassées
Sous un ciel sombre et des nuages bas,
Posés sur elles, ou raclant leur tête !
Verts et jaunes se renforçaient, en fonçant,
Devant ce déficit criant de lu-
Mière ; et, dégringolant des montagnes
Derrière, la fraîcheur vous tombait dessus.
On dépassa Ussel puis La Chapelle,
Coulissant vers des coins plus lumineux :
Le paysage s’ouvrait à mesure !
D’anciens murets séparaient les parcelles.
Pour toute frontière, de petits murs,
Des rideaux d’arbres ou le barbelé
Tendu des clôtures : Pointillés de pieux
Entourant les prés, le devenir dru
Des pelouses herbeuses, constellées
De fleurs des champs, blanches ou jaunes crus.