Pierre entourée de chutes — Écrits et entretiens sur la peinture, la politique et le théâtre, 1953-1998

Peintre des zoos, membre de la Figuration narrative, meurtrier symbolique de Marcel Duchamp, président du Salon de la Jeune Peinture de 1965 à 1969, décorateur pour le théâtre, philosophe, poète, dramaturge : les catégories qui décrivent le travail de Gilles Aillaud sont aussi ce qui empêche d’y accéder. S’en affranchir suppose moins un effort qu’un suspens devant son œuvre. Ses tableaux, mais aussi ses écrits, sur l’opposition entre libéralisme et socialisme, sur le théâtre et sa visée émancipatrice, sur la peinture et son intention de renouer un rapport vivant aux choses, produisent eux-mêmes cet arrêt.

Édition établie et présentée par Clément Layet.

Date de publication : 4 novembre 2022
Format : 16 x 20 cm
Poids : 1050 gr.
Nombre de pages : 672
ISBN : 978-2-85035-090-0
Prix : 30 €

Tandis que ses articles politiques des années soixante s’engagent dans la lutte des classes, les essais critiques et les poèmes qu’il publie après le reflux idéologique des années soixante-dix établissent une relation directe avec les choses. Alors que les premiers cherchent à opposer d’autres notions à celles de la culture bourgeoise, les seconds délaissent les concepts organisateurs. Cette évolution n’est pas un abandon du projet socialiste, mais un élargissement de sa portée, un approfondissement de ses conditions. Ouvrir les yeux, réfléchir au sens que prend l’histoire, se focaliser sur le soubassement relationnel qui préexiste au lien social, est à la fois ce qui anime Gilles Aillaud avant Mai 68 et ce sur quoi il se concentre particulièrement dans la suite de son œuvre. Et c’est aujourd’hui, où les activités dominantes emportent tout dans le chaos, notre propre urgence.
Sont réunis dans la première partie de cet ouvrage tous les articles politiques de Gilles Aillaud, ses essais philosophiques, ses écrits de catalogue, un choix de poèmes et de proses poétiques concernant l’art, ainsi que la transcription de trois manuscrits inédits et deux essais traduits pour la première fois en français.
La seconde partie réunit d’abord les entretiens les plus importants dans lesquels Gilles Aillaud aborde son travail de peintre et de décorateur de théâtre.

Cet ouvrage est coédité avec la galerie Loevenbruck, avec le soutien du Centre national du livre.

Les auteurs

Né à Paris en 1928, Gilles Aillaud commence à dessiner des animaux dès l’enfance. Ses études philosophiques et littéraires le forment à l’écriture. Il devient peintre après un séjour à Rome à la fin des années 1940. Membre du salon de la Jeune Peinture dans les années 1960, il contribue à l’essor d’une figuration consciente de la réalité politique. En tant que président du salon entre 1965 et 1969, il dirige la publication du Bulletin de la Jeune Peinture qui s’attaque à l’idéologie libérale, soutient les combattants du Vietnam, s’engage auprès des travailleurs en grève et des étudiants qui bloquent l’École des beaux-arts en Mai 1968. À partir des années 1970, il devient scénographe pour les metteurs en scène Jean Jourdheuil, Jean-Pierre Vincent, Klaus Michael Grüber, Jean-François Peyret, Bernard Sobel, Bérangère Bonvoisin, Luc Bondy. Tout en continuant à peindre et à dessiner, il pratique aussi dans les années 1980 et 1990 la lithographie, la poésie et l’écriture dramatique.

Presse

Jean-Paul Gavard-Perret, Le salon littéraire
Gérard-Georges Lemaire, Visuelimage
Laurent Perez, Artpress
Didier Pinaud, Les Lettres françaises
Fabien Ribery, L’Intervalle
Christian Rosset, Diacritik
Patrick Scemama, La République de l’art
Fabien Simode, L’Œil
Up magazine

Perez Aillaud Artpress
Pinaud Aillaud Lettres françaises
Simode Aillaud L’Œil

Extraits

"« Tu ne connaîtras que ce qu’il fut comme animal – ses goûts, son talent, sa figure, sa vitesse, ses penchants, son odeur – mais comme homme, rien. » La « mise au point » de Gilles Aillaud qui commence par ces mots prévient contre une erreur de focalisation. Prendre connaissance de « ce qu’il fut », en tant que peintre ou en tant qu’écrivain, exige de le regarder « comme animal ». Cette condition n’est ni une métaphore ni une hyperbole. Elle suppose d’abandonner toute idée préconçue de l’animal à la lumière de laquelle il s’agirait de comprendre quel homme fut Gilles
Aillaud. L’animal a une « odeur », des « penchants », mais aussi du « talent », une « figure ». L’humain n’est pas l’animal ayant dominé sa propre animalité. C’est l’animal capable de mettre en œuvre son talent spécifique :
L’activité intellectuelle pourrait être l’animalité. L’activité intellectuelle serait l’animalité de l’homme. Plus que son corps, ce serait sa capacité de penser qui le rendrait animal.
Gilles Aillaud inverse l’accentuation traditionnelle. « L’activité intellectuelle » n’est pas ce qui rend les humains supérieurs aux autres animaux, mais ce qui leur permettrait, pour peu qu’ils s’y adonnent, d’accomplir leur animalité, c’est-à-dire de déployer les qualités propres à leur espèce d’une façon aussi souveraine qu’un ours peut tuer, ou une hirondelle voler. Cela supposerait que l’esprit non seulement s’appuie sur la perception sensorielle, mais qu’il descende aussi dans les contradictions entre l’apparence et l’inapparent, jusqu’à la conscience d’une impossibilité de comprendre où tout désir de domination finirait par sembler vain. Cependant le moyen pour passer du conditionnel à l’indicatif n’est pas donné. Il suppose d’envisager, après l’abandon de la toute-puissance humaine, la réappropriation de nos capacités. En tant qu’instruments d’optique, les écrits de Gilles Aillaud visent à faire le point à cet endroit précis."
(Clément Layet)

*

"Tu ne connaîtras que ce qu’il fut comme animal – ses goûts, son talent, sa figure, sa vitesse, ses penchants, son odeur – mais comme homme, rien. Car rien ne le contraignit jamais à l’être, ni à le respecter, l’homme. Son constant souci fut de ne pouvoir, en aucune circonstance, se targuer d’avoir « fait ce qu’aucune bête jamais n’aurait été capable de faire ». Tout son héroïsme y passa.
Cendre incolore des mots, qu’est-ce que cette prose sans figure ? Et pourtant elle n’échappe pas à la forme. Seulement elle coince et exagère sa moralité coincée. Mais chacun lasse à sa manière. L’immensité des vides qui séparent les mots est incommensurable avec les changements de couleurs et les espaces du blanc qui accueillent leurs glissades.
Pentes innombrables de l’univers, à caresser au fil du sens, sans imbécile à sauver.
La fidélité, qui ravage sans discrimination, fut son arme unique et juste. Mais elle peut réserver des surprises. Des fois elle se retourne pour mordre.
Sans relâche et sans lassitude, elle revient autour du même lieu – un trou ? un crime ? un départ ? –, agitée, impuissante, la fidélité toujours jeune et neuve, la fidélité qui souffre le plus. Elle tourne autour de la vie, peine impossible à calmer, comme autour d’une source qui giclerait d’une artère, blessure irrémédiable, glou-glou vivace et fertile.
N’est-ce pas seulement le temps avec son « jamais plus » ? Le « jamais plus » et la chair amoureuse ne font qu’un, comme l’instant d’avant. Périssable chair, toujours elle n’est déjà plus, malgré l’immortalité du moment. Et longtemps, comme parmi des tombes, clabaude le hurlement, mi-gémissement, mi-sifflement, de cette louve dévorante et nécrophile, la fidélité concupiscente.
Tous les poètes sont des animaux. Prendre résolument, sans raison, une partie pour le tout et ne pas en démordre, c’est ainsi qu’ils vivent, poétiquement, parfois comme sur un fil invisible, au ras des pâquerettes, sans lire les journaux mais flairant toujours les mêmes urines signifiantes, la vue d’ailleurs généralement basse.
Puissance et finesse du groin que seule assiste l’oreille, sorte d’oryctérope, ou nocturne oiseau, peu volatile, muet comme une contraction et à fiente blanche.
L’os, avec le poète, son point faible, c’est l’instrument, la langue, comme on dit. Contrairement à ce que tout le monde croit et même proclame à tue-tête, le poète déteste le langage et particulièrement sa langue natale, celle dans laquelle il opère. D’où peut bien venir à son sujet un tel préjugé ? De lui-même. Flagornerie et désinvolture avec les mots ; habileté à se glisser dans leurs fentes afin de faire entendre malgré tout quelque chose, d’arriver à susurrer ne serait-ce qu’un cri infime, son frêle bruit."





Écrits d’artistes

Passé le moment des avant-gardes, la discussion sur l’art est abandonnée aux professionnels du discours, et l’on oublierait presque que les artistes sont les premiers à penser leur pratique, que la peinture et la sculpture pensent. Réflexions, propos, notes, journaux, correspondances ou entretiens : la collection « Écrits d’artistes » entend actualiser ce fonds d’une grande richesse, bien souvent ignoré, pour donner à entendre la voix des praticiens de l’art.

Once the moment of the avant-garde is gone, discussions on art are left to the speech professionals. Then, one could nearly forget that artists are the first to consider their practice, that painting and sculpture think. Reflections, remarks, notes, diaries, correspondences or interviews : the collection “Writings by artists” aims to update this considerable fund, frequently ignored, to give a voice to the practitioners of art.

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