Dans Le Bestiaire de Marcel Broodthaers, figure majeure de l’art post-duchampien dont on célébrera le centenaire en 2024, un réseau secret de correspondances relie les animaux réels ou imaginaires qu’on croise au fil des pages : l’abîme, l’agneau, l’aigle, l’alcoolique, le banquier, le bœuf, l’huile et le vinaigre, la mer, le rhinocéros… Leur seule énumération communique déjà une joie venue de l’enfance, joie de semer le désordre dans les catégories ordinaires.
Présentations par Jean Daive et Maria Gilissen-Broodthaers
Le travail de Jean-Louis Bentajou - sa pensée en peinture - est une traversée de « l’Insaisissable » dont le foyer vivant est la couleur. Conscient de ce qui se perd dans le passage vers l’image lorsque la peinture privilégie le modèle et s’y enferme, Jean-Louis Bentajou oppose résolument un acte libéré de tout asservissement au motif pour rejoindre « le présent qui vient et se retire ». La main de l’artiste déjoue ainsi le piège de l’œil pour recréer, entre ses touches, l’événement primordial où vibre la couleur, réinstaurant un rapport sensible au monde au-delà de toute forme arrêtée. S’ouvre alors un espace profond où le dedans du corps rejoint l’extériorité : un « intérieur-toujours-plus-loin », un « horizon-comme-soi-même ».
Les dessins d’enfant permettent-ils de retracer les fondements d’une œuvre à venir ? Peut-on les considérer comme l’enfance de l’art ? Rien n’est moins certain, tant les choix individuels et les partis pris d’un artiste ne se dégagent que lentement des archétypes propres aux dessins d’enfant. Philippe Comar n’est guère porté à leur attribuer plus d’attention qu’ils n’en méritent, mais il tente de saisir ce qui, dans ses premières expériences graphiques, a nourri sa pratique actuelle de dessinateur. À travers ses souvenirs, qui pour certains remontent au plaisir d’apprendre à tracer des lettres sur un cahier d’écolier, il montre comment le dessin s’est imposé à lui comme un moyen de connaître le monde, d’y adhérer, de le vivre plus poétiquement.
(Préface de Stéphane Guégan)
Portrait en fragments invite à une nouvelle exploration de l’univers foisonnant de l’artiste monténégrin Dado (1933–2010), découvert par Daniel Cordier et Jean Dubuffet peu après son arrivée en France en 1956. Organisé autour de thématiques essentielles pour appréhender l’une des figures les plus singulières de l’art de la seconde moitié du XXe siècle, l’ouvrage a été conçu et annoté par sa fille, Amarante Szidon, à partir d’enregistrements, pour la plupart inédits, réalisés en 1981 et 1988 par Christian Derouet.
« Je n’ai pas de théorie sur l’art. Quand j’écris sur un artiste, j’essaie de dire ce que j’ai vu, entendu et pensé dans l’atelier, devant les œuvres. » Fidèle à cette approche, Jean Frémon nous livre un témoignage précieux de ses rencontres avec les artistes et leur travail. Sa longue carrière de galeriste associée à son activité d’écrivain a permis à ce compagnonnage d’irriguer des écrits où se manifeste librement la fascination de l’auteur pour les peintres et sculpteurs qu’il fréquente, et d’exercer un regard vivant sur la création contemporaine.
Figures disparates , vol.1
En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation de la figure humaine ? Dans quelle mesure cette rupture s’est-elle logée dans la modernité au point d’y passer en partie inaperçue ? L’art contemporain est-il simplement un art après Auschwitz ou bien, de manière plus complexe, un art d’après l’événement ? Telles sont quelques-unes des questions qui donnent leur orientation à cette Histoire de l’art d’après Auschwitz. Ce premier volume sera suivi par deux autres : Figures disparues et Configurations. À bien des égards, cette vaste étude se veut aussi une contre-histoire de l’art, une relecture critique des fondements de la modernité artistique et une généalogie de l’art contemporain.
Écrits sur l’art, 1964-2006
« Il se peut que les images participent d’une respiration plus vaste, qu’elles soient, en vérité, par-delà toutes nos raisons, comme le travail incessant du visible. » « Cette vocation aventureuse des images », Claude Esteban n’a cessé de la questionner dans ses écrits sur l’art qui sont pour la première fois rassemblés en un volume complet. Nombreuses sont les œuvres dans lesquelles il a perçu la manifestation d’un accord retrouvé entre le monde sensible et nous, notamment celles de Morandi, Ubac, Szenes, Chillida, Fernández, Palazuelo, mais aussi Velázquez, le Lorrain, Goya ou Caravage. En elles, il a reconnu, « par-delà les figures », ce « geste inaugural qui fait de cette image la première, celle qui nous accueille au monde, celle, peut-être, qui nous réconcilie ».
Édition établie par Xavier Bruel et Paul-Henri Giraud ; préface de Pierre Vilar.
Le dernier mur est la retranscription et le remontage de plusieurs entretiens que mena Jean Daive, notamment dans le cadre de l’émission radiophonique « Peinture fraîche » qu’il anima sur les ondes de France Culture de 1997 à 2009. En longeant ce « dernier mur », on ne cesse de se perdre dans les ruelles de la parole, de faire des rencontres lumineuses, celles d’artistes, de théoriciens et d’écrivains qui se racontent et déploient leurs univers, comme Georges Didi-Huberman, Joseph Kosuth, Nicole Loraux, Zoran Music, Aurélie Nemours ou Kiki Smith.
Le dialogue entre Olivier Cena, journaliste, et Gérard Traquandi, peintre, s’ouvre à Venise, au cœur des merveilles de l’architecture italienne et à quelques pas du fourmillement de la Biennale d’art contemporain. Un semblable contexte, riche en significations esthétiques, sociales et politiques, est le point de départ d’une discussion libre qui aborde tour à tour les questions de la mondialisation et de la démocratisation de l’art contemporain, aussi bien que celle, déterminé par la problématique écologique, du rapport de la peinture à la nature, aux êtres et aux choses qui peuplent la terre.
« Il n’y a pas de commencement. Ce que l’on nomme l’œuvre n’a ni commencement ni fin, voilà ce que dit d’abord le peintre. » Ainsi commence sans commencer le dialogue en spirales entre l’écrivain Marc Le Bot et le peintre Leonardo Cremonini, Les parenthèses du regard que les deux auteurs avaient dédié à Gaëtan Picon. Repris en fac-similé, il est accompagné d’autres essais par lesquels Marc Le Bot tente d’approcher « l’irréductible énigme » de la peinture figurative et métaphysique de Leonardo Cremonini.
Dans la monographie qu’il a consacrée en 2016 à Frédéric Benrath, Pierre Wat notait très justement que la peinture est vécue chez ce dernier « comme un art épistolaire et amical ». Mais ce caractère « adressé » de l’aventure picturale de Benrath fut également prolongé – ou redoublé – par l’intense correspondance écrite dont il ne cessa de l’accompagner tout au long de sa vie. « Cette correspondance qui s’établit entre nous, écrit Benrath le 20 juillet 1975, ces lettres établissent vraiment une “correspondance” entre nos pensées affectives et nos idées sur les choses et les gens, sur l’art et la littérature. Cela est très important, tu le sais puisque tu réponds si bien ». Mais, comme le dira Michèle (ou Alice) dans une lettre du 29 décembre 1980, à un moment où elle prend un peu plus d’indépendance, « T’écrire, c’est aussi écrire » : le destinataire tend à disparaître et à être absorbé dans l’acte d’écriture auquel il a pourtant servi de point de départ.
Cet ouvrage réunit la correspondance du marchand d’art Pierre Matisse et du peintre Joan Miró, entre 1933 et 1983. Reflets d’une relation aussi bien professionnelle qu’amicale entre les deux hommes, les lettres échangées donnent une vision particulière du monde de l’art. Les déclarations d’amitié y côtoient les tensions entre marchands, les réflexions de l’artiste se mêlent aux évocations plus intimes. De la description des œuvres réalisées par Miró, jusqu’à la mise en place des expositions, les échanges retracent les différentes étapes d’une production artistique foisonnante qu’il faut défendre au mieux. Car pour permettre à Miró d’émerger aux États-Unis, Pierre Matisse le dit bien, il faut « ouvrir le feu ».
« Je recopie les notes que j’ai prises dans l’atelier du peintre, au fil de ma discussion avec Jean-Pierre Schneider. Je laisse çà et là émerger de nouvelles phrases qui s’invitent sur mes feuilles. Mes phrases sont le liant acrylique d’une peinture. Je décide de faire le portrait de Jean-Pierre Schneider. Je tente de peindre un livre en étalant la matière de ses mots. Je m’éloigne parfois ou bien je modifie l’angle de ma présence face à eux. J’apporte du silence. Souvent, ils n’ont pas besoin de plus. Ce n’est pas tant que Jean-Pierre parle bien de la peinture. Je crois qu’il parle bien de la vie. Et il se trouve que sa vie, c’est la peinture. » Christophe Fourvel
Morgane Salmon exprime son univers foisonnant à travers des céramiques colorées et exubérantes où les motifs naturels, ressaisis par l’imagination, se développent, s’organisent et saturent librement l’espace sculpté. Dans un mouvement de profusion organique qui dépasse la fonction utilitaire de l’objet, la frontière entre art et artisanat est brouillée : un élan jubilatoire donne vie à l’œuvre, accueillie et accompagnée avec simplicité par cette artiste inclassable qui en respecte la croissance sans la contraindre par la raison. « C’est comme ça » !
Contributions de Nadine Lehni et Daniel Payot. Entretiens de l’artiste avec Jean Jérôme.
Deux femmes raconte l’histoire d’une image qui, affleurant à la mémoire de l’artiste, ne cesse en même temps de se diffracter. Le livre de Farhad Ostovani donne à contempler une série réalisée à partir d’une intrigante photographie de sa mère et de sa grand-mère, photographie datant de son enfance iranienne. Retravaillant avec ses outils de peintre un certain nombre de photocopies de cet instantané sans prétention artistique, il en propose des « variations », quasiment musicales, qui approfondissent le mystère de ces deux présences, et de cet instant suspendu, qui semble s’être détaché du cours du temps.
Dans Guillaume Pujolle – La peinture, un lieu d’être, Blandine Ponet part sur les traces de Guillaume Pujolle (1893-1971) qui fut menuisier, douanier, mais aussi peintre. Il fut interné une grande partie de sa vie à l’asile de Braqueville, devenu l’hôpital Gérard Marchant, à Toulouse ; c’est de ce lieu qu’est partie Blandine Ponet, où elle-même a travaillé comme infirmière en psychiatrie. De là, elle tire les fils de la complexe destinée de l’artiste, ce qui l’entraîne aussi à se pencher sur l’histoire de la psychiatrie, du surréalisme, de l’art brut ou de la dévastatrice première guerre mondiale. Telle est sa manière de lutter contre « l’oubli, l’immobilisme, l’absence d’histoire, l’ordre et la routine ».
Suivre du regard la lumière déclinante d’un jour d’hiver, prêter attention aux infimes miroitements des couleurs dans l’étendue blanche, trouver les mots pour dire cette « intuition d’un éternel présent toujours en suspens », telle est la méthode rêveuse suivie par Gérard Titus-Carmel, pour préciser son émotion devant La Pie de Claude Monet.
L’art fut une source inépuisable de réflexion et d’écriture pour Bernard Noël, dont le travail sur le regard est essentiel. L’œuvre d’André Masson a constitué un vivier particulièrement fécond puisqu’il lui a consacré une monographie, un récit-monologue à partir des autoportraits ainsi que de nombreux autres écrits. Ce volume rassemble ses douze textes critiques sur Masson, parus entre 1985 et 2010. L’Atelier contemporain réalise là un projet d’édition que l’auteur avait lui-même en tête dès 1995 et qui n’avait pu voir le jour.
Préface de Michel Surya ; édition établie par Nicole Martellotto.
Brancusi avait ce don d’exprimer en quelques phrases succinctes ses pensées sur l’art, sur la création et sur la vie. Il usait, pour ce faire, d’une langue personnelle, un franco-roumain approximatif dépourvu de normes grammaticales. Cette singularité ajoutée à son aura, celle d’un artiste à l’air de penseur oriental, contribuait à lui forger une image mystérieuse. Ses dires, souvent des aphorismes, ont été si repris, transformés, publiés dans nombre d’ouvrages, en français, en anglais et en roumain, que leur sens en a été déformé.
Ce volume réunit pour la première fois les notes d’ateliers – pensées, aphorismes et divers textes littéraires – telles qu’elles apparaissent dans ses archives conservées dans le Fonds Brancusi de la Bibliothèque Kandinsky, au Centre Pompidou.
Édition établie et présentée par Doina Lemny.
Ces écrits sur « les arts modestes », théorisés par Hervé di Rosa, cherchent à réveiller dans les choses les plus triviales « leur propension à nous faire rêver ». Autrement dit, à réveiller la dimen- sion auratique de toutes les « œuvres » modestes sur lesquelles on peut tomber en déambulant au hasard « des marchés aux puces, des vide- greniers, des boutiques de souvenirs d’aéroport, des fêtes populaires et religieuses, des parcs d’attractions, du Mercado de Sonora à Mexico »...
Pour la première fois sont réunis l’ensemble des écrits de Jean Dubuffet sur l’Art Brut : ses écrits théoriques, notamment autour de la naissance de la Compagnie de l’Art Brut en 1948, ses écrits sur les créateurs d’Art Brut, comme Aloïse Corbaz, Heinrich Anton Müller ou Laure Pigeon, mais aussi de nombreuses lettres, dont plusieurs inédites, à André Breton, Jean Paulhan ou encore Jacqueline Porret-Forel. Quoiqu’il a multiplié les réflexions sur l’Art Brut, il a tenu à échapper à tout principe explicatif et démonstratif. Pour lui, cet art resta toujours « farouche et furtif comme une biche ». (Édition établie, annotée et préfacée par Lucienne Peiry)
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
En mettant en scène de petits soldats de plomb affublés d’éléments issus du monde vivant – végétal comme animal - le photographe Stéphane Spach et la plasticienne Anne Vigneux poursuivent à première vue un pur mouvement ludique d’associations, constituant un bataillon jubilatoire où l’absurde sert une poésie douce et nostalgique.
Mais de ce geste qui a trait à l’enfance se dessine peu à peu une autre forme de lecture, plus grave, qui émerge d’une prise de conscience par les deux artistes des résonances attachées à la guerre, à ses traumatismes, aux séquelles dont les soldats du conflit de 1914-1918 ont été les victimes.
Préface de Michel Bernard
« Durant les mois de septembre et octobre 2023, j’ai arpenté la dernière demeure de Pierre de Ronsard, le Prieuré Saint-Cosme, à La Riche, près de Tours. De qui, ou de quoi, suis-je le lecteur quand je lis Ronsard, s’est inévitablement doublé d’une autre interrogation : que puis-je photographier de ce site et de la mémoire du poète en vue d’une exposition pour les 500 ans de sa naissance ? Une évidence m’est apparue : répondre par différentes matières photographiques aux présences multiples d’un lieu où ruines et bâtiments, dont une arche superbe, se marient à un parc et des jardins. »
"Voici un lieu où tout était vivant, jusqu’au désastre et à la mort même. Malgré un dénuement extrême, il semblait enchanteur. Il enchanta en effet ceux qui le vécurent, un couple d’artistes minutieux et visionnaire, Dado et Hessie, leurs enfants, leurs amis, la volaille, les chats et tous ces animaux que l’on dit sauvages autour de l’étang. Par le regard du fils, nous voici au cœur vécu d’une œuvre intime, bouleversante et belle, juste et inquiétante." (Germain Viatte) Dado, le temps d’Hérouval suit les traces de l’artiste dans sa vie quotidienne, retiré dans un hameau de l’Oise.
Parcelle 475/593 saisit le sentiment de fascination qu’on peut éprouver dans les lieux que nous habitons autant qu’ils nous habitent, lorsqu’on est soudain illuminé par la persistance de leur étrangeté fondamentale. Le livre porte le nom d’une parcelle, d’un jardin que le photographe Stéphane Spach explore depuis l’enfance, traquant l’inconnu des lumières changeantes et des existences non-humaines. Un texte de Jérôme Thélôt – Orphée photographe – accompagne les photographies.
Bitumeux palimpseste, oriflamme de prière hissé dans les ténèbres, « Hollandais volant » manœuvré par allègres morts-vivants, Styx sème doute crucial. Vous n’êtes de nulle part, et vous n’irez nulle part (puisque vous irez partout). Le narrateur c’est vous, et vous n’êtes par conséquent plus rien, car hic et nunc dépossédé de tout. Ulysse, vous croyez séduire les sirènes, quand délurées succubes elles vous entraînent au fond des abysses. Orphée, Persée ou Jonas, vous imaginez défier Hadès, Minotaure ou Kraken, quand leur cancer vous gangrène moelle et cervelle – tandis qu’une spectrale, obsédante parentèle ressuscite et vous harcèle sans relâche. Ultime voyage ? Même pas. Juste éternel mal de mer à naviguer de Pétaouchnok à perpète (explorer villes, plages et bouts du monde quand vos défunts employeurs s’obstinent à vous renvoyer au diable vauvert, cornaquer ingérables, libidineux ados). Un cathartique humour noir structure cette Odyssée chamanique et burlesque, ponctuée de tsunamis et autres cataclysmes prophétiques. Langage paradoxal, son régime du double sens et de la double peine ricoche entre deux rives, jongle entre deux états (le réel et le surréel, le souvenir et sa transfiguration) dont il floute les contours ad libitum. Fantasmagoriques trompe-l’œil, mais stratégiquement enrochés (Gogol, Kafka, Buster Keaton), propulsent cette amoureuse, aventureuse version d’un mythe archaïque.
Exhumant une boîte de photographies datées de son enfance, Gérard Titus-Carmel se retrouve face à celui qu’incontestablement il fut mais qu’il estime avoir sans retour cessé d’être. Comment justifier cette immixtion de l’altérité dans le rapport à soi-même ? Comment accorder la netteté du souvenir, que ces images renforcent, avec la conviction qu’elles sont celles d’un autre ? Par quel procédé rendre compte de cette impression apparemment paradoxale : il a fallu arriver où l’on se tient pour pouvoir se reconnaître là d’où on est parti ; revendiquer ici la « solitude » comme sa condition essentielle pour pouvoir, là-bas, en identifier les ferments ?
La réponse de l’artiste à ce problème tient dans les pages de ce qu’il nomme « rêve autobiographique ». Ni autobiographie, ni mémoires, Ajours se veut une entreprise mémorielle où la vérité serait non celle du souvenir (rétrospectif par définition, donc instable, trompeur, complaisant), mais celle de l’écriture elle-même, dotée d’exigences propres.
Recueillis sur une durée très longue, les instantanés qui composent ce livre restituent à intervalles variables, et sans respect de la chronologie, la vie de famille de l’auteur, de sa compagne Mina et de leurs filles Lamiel et Armance, dans un appartement d’un vieil immeuble parisien quasi abandonné. La venue au monde de l’aînée donne le point de départ, un déménagement forcé amène la fin. Entre ces deux pôles, Xavier Bazot aura eu le temps d’enregistrer les curiosités du devenir de ses filles, d’écorner quelques normes du fonctionnement familial, conjugal, amical et social, et d’épingler les paradoxes et les inconstances de certains « caractères », à commencer par le sien propre.
Pendant presque vingt ans, Karine Miermont a pour voisin de palier un homme connu que, somme toute, elle connaît peu : Denis Roche.
À sa mort, le besoin prend Karine Miermont de reconstituer – de souvenirs en photographies, de bribes de conversations en lectures, de marabout en bout de ficelle – l’image de celui dont la disparition révèle soudain toute l’importance.
C’est donc ici une sorte de « tombeau de Roche » qu’érige avec délicatesse Karine Miermont : hommage qui tient autant du témoignage que de l’essai d’exégèse, reconstitution « de fil en aiguille » d’une personnalité plutôt côtoyée que connue, portrait en mosaïque de celui qui eut lui-même à cœur, dans ses photographies et ses Essais de littérature arrêtée, de fixer les traces de son passage dans le temps.
C’est dans cette distance à son sujet, dans ce mixte de retenue et d’intimité que l’ouvrage acquiert sa dimension propre : celle d’un récit. À travers l’évocation de ses rencontres avec Roche, c’est l’histoire de sa propre accession à l’écriture que retrace l’auteure, aiguillonnée par ce modèle lointain avec lequel ses affinités profondes se révèlent au fil de l’enquête. Et dans ce dialogue rabouté et sans cesse repris avec l’ami et soutien disparu, Karine Miermont donne la pleine mesure d’une figure d’homme et d’artiste.
La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries, aux noms empreints d’une sourde mélancolie, comme ses Tentatives d’épuisement, ses Images inquiètes, ou ses Absences. Les Archives du désastre, qui comptent aujourd’hui près de 400 pièces de modeste format et auxquelles sont consacrées ce volume, sont l’une d’entre elles. Elles recueillent un ensemble de figures spectrales, dessinées à la craie noire, puis voilées d’une couche de peinture vert de Hoocker. Elles sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. Préface de Lionel Bourg ; entretien avec Anne Favier.
Reproduction en fac-similé d’une série de vingt aquarelles — des couchers de soleil — de l’artiste Ann Loubert, accompagnées de deux poèmes de Jacques Moulin.
(Ouvrage au tirage limité, uniquement vendu auprès de nos éditions.)
Au Pont du Diable est le résultat d’un moment de pause. Pause d’un artiste, venu au bord de l’eau aux heures les plus chaudes de la journée, pour voir les gens s’y prélasser. Alexandre Hollan ne reste pourtant pas inactif. Fusain à la main, il réalise des croquis de ces êtres rassemblés là. Un seul trait, modulé en quelques courbes, suggère les corps, les visages, sans fond ni perspective. Les modèles ne posent pas, ils se laissent saisir par l’œil de l’artiste comme ils sont, sans chercher à paraître. Et de la même façon, pas de pose artistique dans les croquis. Il s’agit simplement de saisir la vie telle qu’elle se donne à voir.
Catalogue de l’exposition des œuvres d’Ann Loubert & Clémentine Margheriti à la Halle Saint-Pierre, à Paris, du 14 octobre au 2 novembre 2014.