On connaissait Markus Lüpertz comme peintre et comme sculpteur ; on le découvrira ici poète, orateur, essayiste. Aussi ancienne que sa pratique de la peinture, fruit de la même exigence portée avec la même vigueur, son œuvre d’écrivain réclame d’être lue à part – quoique l’écrivain en question s’affirme peintre corps et âme.
Cette apparence de paradoxe, entre autres « affirmations », le lecteur pourra l’approfondir au fil de cette sélection de textes écrits sur près de soixante ans, dans lesquels Lüpertz, en adepte du mystère, s’avance tour à tour sous le masque d’Orphée, du « rejeton de philosophe » et du peintre franc-tireur, faisant valoir avec une constance implacable sa vérité. Comme il le dit lui-même : faites-vous à moi, il n’y a pas d’autre moyen / il n’y pas de remède contre moi / je suis comme la pluie / je fais qu’en vous les fleurs fleurissent / que la terre respire, que le monde en vous vous paraisse supportable.
Préface d’Éric Darragon. Traduction de Régis Quatresous.
Carnets d’atelier 1975-1990 ; Textes 1979-2000 ; Entretiens 1984-2014
Réunissant d’une part carnets, d’autre part textes et entretiens dont l’écriture ou la parution s’échelonnent des années 1970 à aujourd’hui, Le Temps de peindre jette sur l’œuvre de la peintre Monique Frydman un éclairage neuf par son ampleur, sa densité et sa profondeur. C’est en effet le premier mérite de ce volume en deux volets, doublement préfacé et enrichi de cahiers iconographiques importants, que de proposer au lecteur une approche croisée de ce travail dans lequel l’écriture, avant, pendant, après, joue un rôle constitutif, ne serait-ce qu’en permettant à l’artiste de « rationaliser par la parole » ce qui advient dans sa peinture.
« Observations sur la peinture » : ce titre vient de Bonnard lui-même, qui, à la fin de sa vie, sans les dater, composa un mince florilège de ses notes. Aujourd’hui replacées dans l’ordre chronologique, augmentées d’inédites, assorties même de reproductions de pages d’agendas, les notes ici réunies, qui s’échelonnent sur presque vingt années (1927-1946), sont une révélation.
Tous les jours pendant plus de deux ans, Thieri Foulc s’est astreint à l’écriture d’une « peinture non peinte », texte court qui résume une idée de tableau dont le principal intérêt – dixit l’auteur – est justement de ne pas être réalisée, de rester à l’état de fulgurance, de « projet », dans un élan interrompu en direction de la peinture. Discipline hybride, donc, qui croise verbal et pictural, et joue de cette allégeance double comme d’un moyen de ne s’en tenir à aucune.
Figures disparates , vol.1
En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation de la figure humaine ? Dans quelle mesure cette rupture s’est-elle logée dans la modernité au point d’y passer en partie inaperçue ? L’art contemporain est-il simplement un art après Auschwitz ou bien, de manière plus complexe, un art d’après l’événement ? Telles sont quelques-unes des questions qui donnent leur orientation à cette Histoire de l’art d’après Auschwitz. Ce premier volume sera suivi par deux autres : Figures disparues et Configurations. À bien des égards, cette vaste étude se veut aussi une contre-histoire de l’art, une relecture critique des fondements de la modernité artistique et une généalogie de l’art contemporain.
Écrits sur l’art, 1964-2006
« Il se peut que les images participent d’une respiration plus vaste, qu’elles soient, en vérité, par-delà toutes nos raisons, comme le travail incessant du visible. » « Cette vocation aventureuse des images », Claude Esteban n’a cessé de la questionner dans ses écrits sur l’art qui sont pour la première fois rassemblés en un volume complet. Nombreuses sont les œuvres dans lesquelles il a perçu la manifestation d’un accord retrouvé entre le monde sensible et nous, notamment celles de Morandi, Ubac, Szenes, Chillida, Fernández, Palazuelo, mais aussi Velázquez, le Lorrain, Goya ou Caravage. En elles, il a reconnu, « par-delà les figures », ce « geste inaugural qui fait de cette image la première, celle qui nous accueille au monde, celle, peut-être, qui nous réconcilie ».
Édition établie par Xavier Bruel et Paul-Henri Giraud ; préface de Pierre Vilar.
Le dernier mur est la retranscription et le remontage de plusieurs entretiens que mena Jean Daive, notamment dans le cadre de l’émission radiophonique « Peinture fraîche » qu’il anima sur les ondes de France Culture de 1997 à 2009. En longeant ce « dernier mur », on ne cesse de se perdre dans les ruelles de la parole, de faire des rencontres lumineuses, celles d’artistes, de théoriciens et d’écrivains qui se racontent et déploient leurs univers, comme Georges Didi-Huberman, Joseph Kosuth, Nicole Loraux, Zoran Music, Aurélie Nemours ou Kiki Smith.
Prolégomènes à une utopie
À contre-courant de notre époque, celle de la technique, de la raison calculatrice, des logiques de domination qui s’immiscent dans toutes les dimensions de la vie, époque qui trouve son origine lointaine dans le néolithique où furent inventés l’agriculture et l’élevage, Jérôme Thélot propose « de former l’utopie d’un radical recommencement ».
Le dialogue entre Olivier Cena, journaliste, et Gérard Traquandi, peintre, s’ouvre à Venise, au cœur des merveilles de l’architecture italienne et à quelques pas du fourmillement de la Biennale d’art contemporain. Un semblable contexte, riche en significations esthétiques, sociales et politiques, est le point de départ d’une discussion libre qui aborde tour à tour les questions de la mondialisation et de la démocratisation de l’art contemporain, aussi bien que celle, déterminé par la problématique écologique, du rapport de la peinture à la nature, aux êtres et aux choses qui peuplent la terre.
« Il n’y a pas de commencement. Ce que l’on nomme l’œuvre n’a ni commencement ni fin, voilà ce que dit d’abord le peintre. » Ainsi commence sans commencer le dialogue en spirales entre l’écrivain Marc Le Bot et le peintre Leonardo Cremonini, Les parenthèses du regard que les deux auteurs avaient dédié à Gaëtan Picon. Repris en fac-similé, il est accompagné d’autres essais par lesquels Marc Le Bot tente d’approcher « l’irréductible énigme » de la peinture figurative et métaphysique de Leonardo Cremonini.
Dans la monographie qu’il a consacrée en 2016 à Frédéric Benrath, Pierre Wat notait très justement que la peinture est vécue chez ce dernier « comme un art épistolaire et amical ». Mais ce caractère « adressé » de l’aventure picturale de Benrath fut également prolongé – ou redoublé – par l’intense correspondance écrite dont il ne cessa de l’accompagner tout au long de sa vie. « Cette correspondance qui s’établit entre nous, écrit Benrath le 20 juillet 1975, ces lettres établissent vraiment une “correspondance” entre nos pensées affectives et nos idées sur les choses et les gens, sur l’art et la littérature. Cela est très important, tu le sais puisque tu réponds si bien ». Mais, comme le dira Michèle (ou Alice) dans une lettre du 29 décembre 1980, à un moment où elle prend un peu plus d’indépendance, « T’écrire, c’est aussi écrire » : le destinataire tend à disparaître et à être absorbé dans l’acte d’écriture auquel il a pourtant servi de point de départ.
Cet ouvrage réunit la correspondance du marchand d’art Pierre Matisse et du peintre Joan Miró, entre 1933 et 1983. Reflets d’une relation aussi bien professionnelle qu’amicale entre les deux hommes, les lettres échangées donnent une vision particulière du monde de l’art. Les déclarations d’amitié y côtoient les tensions entre marchands, les réflexions de l’artiste se mêlent aux évocations plus intimes. De la description des œuvres réalisées par Miró, jusqu’à la mise en place des expositions, les échanges retracent les différentes étapes d’une production artistique foisonnante qu’il faut défendre au mieux. Car pour permettre à Miró d’émerger aux États-Unis, Pierre Matisse le dit bien, il faut « ouvrir le feu ».
« Je recopie les notes que j’ai prises dans l’atelier du peintre, au fil de ma discussion avec Jean-Pierre Schneider. Je laisse çà et là émerger de nouvelles phrases qui s’invitent sur mes feuilles. Mes phrases sont le liant acrylique d’une peinture. Je décide de faire le portrait de Jean-Pierre Schneider. Je tente de peindre un livre en étalant la matière de ses mots. Je m’éloigne parfois ou bien je modifie l’angle de ma présence face à eux. J’apporte du silence. Souvent, ils n’ont pas besoin de plus. Ce n’est pas tant que Jean-Pierre parle bien de la peinture. Je crois qu’il parle bien de la vie. Et il se trouve que sa vie, c’est la peinture. » Christophe Fourvel
Morgane Salmon exprime son univers foisonnant à travers des céramiques colorées et exubérantes où les motifs naturels, ressaisis par l’imagination, se développent, s’organisent et saturent librement l’espace sculpté. Dans un mouvement de profusion organique qui dépasse la fonction utilitaire de l’objet, la frontière entre art et artisanat est brouillée : un élan jubilatoire donne vie à l’œuvre, accueillie et accompagnée avec simplicité par cette artiste inclassable qui en respecte la croissance sans la contraindre par la raison. « C’est comme ça » !
Contributions de Nadine Lehni et Daniel Payot. Entretiens de l’artiste avec Jean Jérôme.
Deux femmes raconte l’histoire d’une image qui, affleurant à la mémoire de l’artiste, ne cesse en même temps de se diffracter. Le livre de Farhad Ostovani donne à contempler une série réalisée à partir d’une intrigante photographie de sa mère et de sa grand-mère, photographie datant de son enfance iranienne. Retravaillant avec ses outils de peintre un certain nombre de photocopies de cet instantané sans prétention artistique, il en propose des « variations », quasiment musicales, qui approfondissent le mystère de ces deux présences, et de cet instant suspendu, qui semble s’être détaché du cours du temps.
Dans Guillaume Pujolle – La peinture, un lieu d’être, Blandine Ponet part sur les traces de Guillaume Pujolle (1893-1971) qui fut menuisier, douanier, mais aussi peintre. Il fut interné une grande partie de sa vie à l’asile de Braqueville, devenu l’hôpital Gérard Marchant, à Toulouse ; c’est de ce lieu qu’est partie Blandine Ponet, où elle-même a travaillé comme infirmière en psychiatrie. De là, elle tire les fils de la complexe destinée de l’artiste, ce qui l’entraîne aussi à se pencher sur l’histoire de la psychiatrie, du surréalisme, de l’art brut ou de la dévastatrice première guerre mondiale. Telle est sa manière de lutter contre « l’oubli, l’immobilisme, l’absence d’histoire, l’ordre et la routine ».
« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »
C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.
Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».
« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».
Pendant les vingt dernières années de la vie de Giacometti, David Sylvester a développé avec lui une connivence profonde, posant pour lui, recueillant ses propos, préparant des expositions, respirant l’atmosphère de l’atelier de la rue Hippolyte-Maindron et des bistrots de Montparnasse où vivait l’artiste.
Son texte n’est pas le produit d’une théorie sur l’art mais le relevé d’une expérience unique : regarder les peintures et les sculptures se faire en écoutant ce qu’en dit celui qui les fait. Il a partagé cette émouvante quête de la perfection minée par l’obsession de l’échec qu’il relate avec brio. (Traduction de Jean Frémon)
Il est des livres de critique qui sont comme un apport versé aux œuvres. Le lecteur y devine le parti-pris d’une sensibilité ; il comprend que l’auteur y manifeste sa vision singulière et que celle-ci instille dans les tableaux un principe insistant, retient et accentue certaines de leurs tendances, dépose à leur surface le glacis d’un regard. Mais cette vision est si persuasive, elle se glisse si harmonieusement parmi les formes de la peinture, les épouse si bien et les sublime à un tel degré, en un propos qui a pour lui, plus encore que la conformité d’une description, la vérité d’une écriture – on pardonne à l’auteur cette sorte de partialité, et même on lui en est reconnaissant. L’Ingres de Gaëtan Picon est de ces livres-là. (Préface de François Lallier)
Ouvrage historique à plus d’un titre que celui que Georges Bataille consacra à Lascaux.
Dans ce livre paru en 1955, quinze ans après la découverte de la grotte, l’écrivain se propose de formuler une première synthèse philosophique qui vienne en quelque sorte unifier les relevés de la science. Procédant avec une nécessaire prudence, dans le tâtonnement d’observations progressives et d’hypothèses fragiles, complétées et rectifiées au fil des avancées de la recherche, ces spécialistes que sont les préhistoriens ne peuvent se permettre de prendre toute la mesure de leurs propres découvertes, explique Bataille ; c’est aussi ce qui les empêche de « célébrer » Lascaux comme l’un des sites, sinon le site même de la « naissance de l’art ». Cette tâche revient à la philosophie. En s’appuyant au garde-fou de la rigueur scientifique, décrire cette « aurore » de l’humanité, ce « miracle de Lascaux » qui supplante ce qu’on nommait jusqu’alors « miracle grec » : tel est en somme le but inédit que s’assigne Bataille. (Préface de Michel Surya)
« Avec Piero di Cosimo, l’incroyable est arrivé : grâce à Vasari, qui fut le premier et le dernier à le célébrer au XVIe siècle, les chercheurs et les historiens du XIXe et du XXe siècle ont tenté de reconstituer ce qui est resté de son œuvre dispersée et que l’on attribuait souvent à d’autres peintres. L’énigme a resurgi, mutilée mais impressionnante par sa singularité : les surréalistes ne s’y trompèrent pas, qui furent les premiers à lui rendre hommage. »
C’est dans cette lignée qu’il faut replacer l’essai d’Alain Jouffroy, premier livre français consacré à Piero di Cosimo. Abreuvé aux recherches des érudits, l’écrivain fait le choix de la subjectivité : « Je pleure, je ris, je veille et je suis sourd aux appels d’un homme extraordinairement ex-centrique, qui a situé le centre de tout hors de tous les cercles où pourrait subsister ce qu’on appelle un “centre”. »
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
"Voici un lieu où tout était vivant, jusqu’au désastre et à la mort même. Malgré un dénuement extrême, il semblait enchanteur. Il enchanta en effet ceux qui le vécurent, un couple d’artistes minutieux et visionnaire, Dado et Hessie, leurs enfants, leurs amis, la volaille, les chats et tous ces animaux que l’on dit sauvages autour de l’étang. Par le regard du fils, nous voici au cœur vécu d’une œuvre intime, bouleversante et belle, juste et inquiétante." (Germain Viatte) Dado, le temps d’Hérouval suit les traces de l’artiste dans sa vie quotidienne, retiré dans un hameau de l’Oise.
Parcelle 475/593 saisit le sentiment de fascination qu’on peut éprouver dans les lieux que nous habitons autant qu’ils nous habitent, lorsqu’on est soudain illuminé par la persistance de leur étrangeté fondamentale. Le livre porte le nom d’une parcelle, d’un jardin que le photographe Stéphane Spach explore depuis l’enfance, traquant l’inconnu des lumières changeantes et des existences non-humaines. Un texte de Jérôme Thélôt – Orphée photographe – accompagne les photographies.
Stéphane Spach glane et collecte : encriers brisés exhumés des tranchés de la première guerre, ossements dispersés et crânes d’animaux sous plastique issus de collections zoologiques, fleurs et feuilles fanées qui semblent des reliques d’un jardin perdu... Toutes ces choses sont offertes au regard des lecteurs de cette vaste monographie, en même temps que rendues à leur silence troublant.
Conversation tardive, toujours tardive, toujours repoussée vers la fin d’un temps qui n’arrive pas. Ce livre témoigne de ce temps qui ne finit pas, et dont seule la photographie est capable d’en saisir les prémisses : « La photographie, est-il écrit en fin d’ouvrage, s’effaçait devant l’opacité du temps, devant l’énigme. Ce qui me troublait, c’était autant la disparition que l’apparition. Je croyais que c’était l’énigme de la photographie, c’était l’énigme de la vie . »
Critique d’art, expert en peinture ancienne au sein de l’Hôtel des ventes Drouot, mais aussi électron libre de la nébuleuse surréaliste, premier historiographe de son ami Marcel Duchamp, Robert Lebel est un personnage singulièrement insaisissable. « Quel genre de type est ce Robert Lebel ? Je n’arrive pas vraiment à le saisir. » Telles auraient été les paroles de Marcel Duchamp à Jacques Lacan. Ce volume permet de cerner une de ses multiples facettes, celle du poète, en rassemblant pour la première fois ses poèmes et ses récits.
Qu’est-ce qu’être une femme dans un petit village rural avant la Grande Guerre, puis dans les décennies suivantes, puis enfin dans la grande modernité ?
Ce qu’on pourrait imaginer être le chant « glorieux » vers la liberté et l’émancipation se révèle plus nuancé que prévu. La demande légitime d’égalité n’a-t-elle pas mené ces héroïnes vers une aliénation plus subtile et plus radicale qu’auparavant ? Suivre Émilienne, Colette et Nathalie dans leurs destinées respectives, c’est tenter de comprendre une époque où le vide est possiblement le grand tout.
Sous-titré « Ébauche d’un livre du mal », Pornographie justifie son titre de la façon la plus sobre qui soit, en s’ouvrant sur une définition. Il s’agira, nous laisse-t-on entendre, à la fois d’un « traité sur la prostitution » et d’une « représentation de choses obscènes destinées à être communiquées au public » : prostitution et obscénité devant être entendus en leur sens étendu, c’est-à-dire moral.
[Postface de Victor Martinez.]
Été 2018, l’artiste Patricia Cartereau et l’écrivain Eric Pessan sont invités à Marseille par la Marelle (Friche Belle de Mai) pour un travail de résidence et d’immersion autour du GR 2013, sentier de grande randonnée créé par un collectif de marcheurs, d’artistes et d’urbanistes. Deux mois durant, en pleine canicule, alors que la chaleur bat des records à Marseille comme dans toute l’Europe et une grande partie du monde, ils arpentent étape par étape les 365 km du sentier de grande randonnée.
La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries, aux noms empreints d’une sourde mélancolie, comme ses Tentatives d’épuisement, ses Images inquiètes, ou ses Absences. Les Archives du désastre, qui comptent aujourd’hui près de 400 pièces de modeste format et auxquelles sont consacrées ce volume, sont l’une d’entre elles. Elles recueillent un ensemble de figures spectrales, dessinées à la craie noire, puis voilées d’une couche de peinture vert de Hoocker. Elles sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. Préface de Lionel Bourg ; entretien avec Anne Favier.
Reproduction en fac-similé d’une série de vingt aquarelles — des couchers de soleil — de l’artiste Ann Loubert, accompagnées de deux poèmes de Jacques Moulin.
(Ouvrage au tirage limité, uniquement vendu auprès de nos éditions.)
Au Pont du Diable est le résultat d’un moment de pause. Pause d’un artiste, venu au bord de l’eau aux heures les plus chaudes de la journée, pour voir les gens s’y prélasser. Alexandre Hollan ne reste pourtant pas inactif. Fusain à la main, il réalise des croquis de ces êtres rassemblés là. Un seul trait, modulé en quelques courbes, suggère les corps, les visages, sans fond ni perspective. Les modèles ne posent pas, ils se laissent saisir par l’œil de l’artiste comme ils sont, sans chercher à paraître. Et de la même façon, pas de pose artistique dans les croquis. Il s’agit simplement de saisir la vie telle qu’elle se donne à voir.
Catalogue de l’exposition des œuvres d’Ann Loubert & Clémentine Margheriti à la Halle Saint-Pierre, à Paris, du 14 octobre au 2 novembre 2014.