Une lettre, un suspens

Comme son titre le suggère, ce livret autobiographique de Kristell Loquet se divise en deux moments qui se répondent par-delà un « suspens » : en fait, un silence de plus de quinze années. La première partie est une « lettre au père » réellement écrite par l’auteure après sa rencontre avec celui qui est encore son compagnon aujourd’hui, le poète et artiste Jean-Luc Parant, de quelque trente ans son aîné, avec l’intention déclarée de rompre le malaise familial et le silence délétère causés par cette différence d’âge. La seconde, née d’une tentative impossible de reprendre la lettre initiale, tâche d’élucider cette impossibilité en prenant la juste mesure du temps écoulé et d’un bouleversement récent, à savoir l’accident vasculaire qui a failli coûter la vie à Jean-Luc Parant en 2017.

Date de publication : 20 septembre 2019
Format : 11 x 18 cm
Poids : 40 gr.
Nombre de pages : 32
ISBN : 979-10-92444-97-1
Prix : 5 €

Si cet opuscule prend donc position sur ce qu’il est convenu d’appeler une affaire personnelle, ce sont des relations et des décentrements qui lui confèrent toute sa portée. « Un besoin de sortir de soi » : définissant ainsi l’amour à la suite de Baudelaire, l’auteure – ou plutôt les auteures, si l’on tient compte de la distance qui sépare les deux temps de l’écriture – dégage dans l’espace de ces quelques pages le contraire d’un destin : un devenir, né d’une rencontre qui l’a non seulement éloignée d’un modèle parental de l’amour bientôt ressenti comme un carcan, mais qui, sans jamais démentir ce mouvement d’ouverture initial, n’a cessé de l’entraîner dans des régions de plus en plus vastes. « Comme si l’amour pouvait faire dévier le cours des choses, ‘gauchir la destinée’, comme aurait dit Henri Michaux. »

De même, la présence constante en ces lignes de l’homme aimé, qui se trouve aussi être poète, aimante le mouvement de l’écriture au point que s’esquisse quelquefois une similitude de thèmes et de mouvement entre les deux auteurs. Loin toutefois de signaler une servitude, ces affinités dévoilent ce qui fait la matière même du livre : la rencontre de soi à travers l’autre. « La naissance qui nous donne la vie et nous met au monde ne suffit pas à nous faire exister pour autant. Si ma première naissance m’a donné la vie, ma seconde naissance à travers Jean-Luc me fait exister. » C’est par cet élan amoureux que l’ouvrage s’affranchit de sa dimension intime et anecdotique pour se hisser à la valeur d’un témoignage vivant.

Les auteurs

Née en 1978, Kristell Loquet dirige les éditions Marcel le Poney. Elle est aussi l’auteure du Chant des cigales (Tarabuste, 2003), L’Hommaille (Tarabuste, 2015), Sous l’obscurité de mon manteau (Le Dernier télégramme, 2018), Nuit de notre amour (Les Venterniers, 2020). Elle collabore avec Jean-Luc Parant à propos duquel elle a écrit de nombreux textes.

Presse

Article de Jean-Paul Gavard-Perret (« le littéraire.com »).

Extraits

On m’a dit un jour : « Tu devrais prendre le même avec trente ans de moins ». Comme si un être était échangeable ou remplaçable par tout autre. Comme si un être pouvait être réduit aux quelques déterminations que sont l’âge, le sexe, la couleur ou bien encore la taille.
Mais pour moi c’est plus simple. Jean-Luc est l’homme que j’aime. C’est la seule détermination que je puisse lui donner, la seule qui compte et, pourtant, je ne peux pas t’en dire la cause.
Dans ton regard, ton rejet de notre différence d’âge est, pour moi, le début d’une forme de « racisme » qui ne porte pas son nom. Comme si Jean-Luc était très blond et moi très brune, ou comme s’il était très petit et moi très grande, et que cette différence pourtant très relative te semblait insurmontable.
Dans ton regard, je lis que Jean-Luc et moi ne sommes pas de la même espèce, alors que je sais avoir trouvé la personne qui me convient le mieux du monde. Plus que de l’incompréhension, c’est de la tolérance que j’aimerais trouver dans tes yeux.

D’autres que toi m’ont déjà dit que je devrais le laisser tomber, que lorsqu’il aura 70 ans je n’en aurai que 36, qu’il sera trop vieux pour moi, qu’il ne pourra plus voyager, qu’il sera malade peut-être. Mais ils ont oublié qu’on pouvait tous mourir demain, que chacun est chaque jour à la limite de disparaître. C’est sans doute quand on n’y pense pas assez qu’on finit par ne jamais rien faire pour soi et par rater les occasions que la vie offre quelquefois. En rencontrant Jean-Luc, j’ai saisi ma chance d’être heureuse.

On dit « Il y a un âge pour tout » ou bien « Il a passé l’âge ». Comme si on avait nécessairement l’âge de se taire quand on est enfant, le plus bel âge quand on a 20 ans, l’âge de travailler quand on a 25 ans, l’âge de s’être marié quand on a 30 ans, l’âge d’avoir eu des enfants quand on en a 35, de prendre sa retraite à 60 ans. Mais pour avoir tous ces âges, les âges prévus pour faire toutes ces choses, il faut être déjà mort. Quand on est vivant, tout est sans âge, tout est sans mesure. Notre vie peut avoir toutes les tailles. Quand on est vivant, il n’y a plus d’échelle uniforme de mesure à notre propre vie car c’est alors à chacun de la rendre infime ou infinie.

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Difficile de s’imaginer comment un instant peut bouleverser tous les précédents. Comment quelques minutes peuvent changer brusquement le sens d’une vie. Vivant – mort – survivant, passant d’un état aux deux autres en quelques instants seulement. Jean-Luc rescapé d’une mort promise et donc renaissant, au point de remettre à zéro le compteur du temps écoulé d’une première vie. Au point d’inverser notre différence d’âge. Comme si je n’avais plus 34 ans de moins que Jean-Luc mais qu’au contraire il avait maintenant, à son tour, 39 ans de moins que moi, lui-même ressuscité quelques jours avant mon trente-neuvième anniversaire. L’un prenant la place de l’autre comme dans l’alternance des pas d’un corps en marche, une jambe chassant l’autre indéfiniment.
De même que l’alternance des saisons – cette translation de la terre tournant autour du soleil –, et plus particulièrement ce passage du printemps à l’été au terme du jour le plus long de l’année, a permis au souffle vital de Jean-Luc de réinvestir tout l’espace de son corps. Il lui a fallu véritablement migrer avec le mouvement même de la terre jusqu’à sentir sa vitesse pour pouvoir entendre à nouveau les battements de son propre cœur remis en rythme. Jean-Luc s’est couché sur le dos sous le feu et la chaleur du soleil, et il a médité sur la course ascensionnelle de celui-ci. Il a attendu que le soleil soit à son apogée, l’astre aussi suspendu dans le temps et l’espace que cette lettre restée en suspens, pour que son corps puisse être retourné sur le ventre, tournant ainsi le dos au soleil. Rendu par là même à une position animale ou à une place dans une autre hémisphère, il a pu redescendre aveugle vers les profondeurs de la terre à laquelle il s’est agrippé. Un ancien monde s’est évanoui. Un nouveau monde s’est ouvert devant lui.
Comme un nouveau monde s’est ouvert devant moi lors de ma rencontre avec lui.
Or nous sommes tous nés d’une rencontre. C’est la rencontre de nos parents qui nous a tous fait naître. Ce sont toutes les rencontres de tous les parents qui nous perpétuent sur la terre. Nous sommes tous nés dans cette mémoire des multiples rencontres qui nous précèdent, et cette mémoire nous relie les uns aux autres. Même si c’est une mémoire oublieuse et inconsciente. Car dès les premiers instants de notre conception il y avait bien quelque chose de nous-même qui était déjà là, connecté au grand bain des souvenirs proches ou lointains qui infusent en permanence notre pensée.
Toute vraie rencontre est proche d’une naissance, et ma rencontre avec Jean-Luc fut pour moi une nouvelle naissance. Si je suis née une première fois de la rencontre de mes parents, je suis née une seconde fois de ma rencontre avec Jean-Luc Parant. La naissance qui nous donne la vie et nous met au monde ne suffit pas à nous faire exister pour autant. Si ma première naissance m’a donné la vie, ma seconde naissance à travers Jean-Luc me fait exister. J’ai pu me remettre au monde à travers lui.

Littératures

Indifférente aux démarcations de genres, la collection « Littérature » entend représenter une approche curieuse de la création littéraire contemporaine. Poésie, récits singuliers, journaux, carnets, correspondances… : sans autres guides que la surprise et l’émotion, elle s’ouvre à des formes inédites, entêtantes, qu’elle enrichit en les accompagnant d’œuvres originales.

Indifferent to the dividing lines between genres, the collection « Literature » aims to represent a curious approach of the contemporary literary creation. Poesy, singular stories, diaries, notebooks, correspondence… : with no other guides than surprise and emotion, it opens up to new and enhanced forms, paired with original works of art.

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