Ricordi

Ici, « Mi ricordo » ne veut pas dire « Je me souviens » mais « Je se souvient » : de Turin, d’Alba, des Langhe, d’histoires d’amour, de mensonges, de trahisons, d’amnésies, de volontés d’oubli et de désirs de fuir, d’Antonioni, Bolis, D’Arzo, De Sica, Fenoglio, Loren, Luzi, Magnani, Mangano, Pasolini, Patellani, Pavese, Rossellini...
Tout ce qui est écrit dans Ricordi a réellement eu lieu en Italie dans les années 40-60, à quelques débordements près, et tout est vrai – sauf les souvenirs.

Date de publication : 7 octobre 2014
Format : 14 x 22 cm
Poids : 240 gr.
Nombre de pages : 112
ISBN : 979-10-92444-13-1
Prix : 15 €

La genèse des Ricordi, racontée par son auteur :
« Mon arrière-grand-père paternel et mon grand-père maternel ont en commun d’avoir très tôt quitté leur Lombardie natale, d’avoir épousé une Française dans l’Est de la France, d’avoir francisé leur prénom, d’avoir coupé les ponts avec l’Italie, avec leur famille, avec leur langue maternelle et de n’avoir rien transmis de leurs origines à leurs enfants, à leurs petits-enfants sinon un nom que je porte. Je porte la disparition d’une partie de l’histoire familiale, des histoires abandonnées à la frontière. Je porte en moi plusieurs inconnues : tous les rêves du monde.
Longtemps l’Italie a été un fantasme, tantôt une honte ou une fierté, une fiction le plus souvent. Elle était un trou, une présente absence, une ouverture, des histoires possibles, multiples, infinies. J’aurais pu enquêter, remonter le fil, interroger ceux qui auraient connu quelqu’un qui aurait connu quelqu’un qui... mais je me suis toujours méfié des témoignages. Comment faire confiance aux souvenirs quand les faits sont derrière nous, passés ? On se souvient, on croit se souvenir, on embellit ou noircit la réalité, on arrange, sciemment ou non, en fonction de l’interlocuteur. On (se) raconte nos souvenirs, on entend des histoires. Parce qu’on a soif d’histoires, et celui qui raconte, et celui qui écoute.
Qu’ils soient vrais ou en partie inventés, détournés, incomplets, les souvenirs sont espiègles, ils vont et viennent, du coq à l’âne, dans le désordre et ils aiment nous perdre, se modifier, se transformer. Les souvenirs sont des romans.
N’ayant pas vécu les années quarante, cinquante et soixante en Italie, n’ayant pas fait le chemin de mes aïeux, je ne me souviens pas de cette époque et ne peux prétendre me souvenir de ce que je n’ai pas vécu bien que je me souvienne de ce que j’ai lu, entendu, vu, écrit, retenu, de toutes ces années.
Et parce que je me souviens du souvenir des autres et qui maintenant sont les miens, c’est ainsi que mes souvenirs sont devenus des ricordi, c’est-à-dire des souvenirs qui ne peuvent être dits dans ma langue, en français, mais dans celle que j’aurais pu parler si elle avait été transmise. Mi ricordo n’est pas dire : Je me souviens.
L’histoire de ma famille doit être très éloignée de celles qui traversent les ricordi mais c’est de cette construction-là que je me souviendrai à présent, de cette famille faite de personnalités, de personnages et d’inconnu(e)s qu’on pourrait trouver dans la vie et dans les livres, les films, les galeries, les albums photos, les mausolées, dans les cimetières où les morts sont plus bavards que ceux qui sont restés derrière les murs. Ici, comme dans tout récit, l’histoire rejoint l’Histoire. C’est ainsi que des vies apparaissent ou disparaissent.
On suivra les partisans et leurs difficultés à retrouver une « vie normale » après la guerre, on s’intéressera au miracle économique, à l’essor industriel, aux concours de beauté, au photojournalisme de Federico Patellani, aux actrices (Sophia Loren, Anna Magnani, Gina Lolobrigida, Silvana Mangano,...), à la littérature (Cesare Pavese, Beppe Fenoglio, la famille Ginzburg, Silvio D’Arzo, Mario Luzi,...), à Alba et aux Langhe, au cinéma néoréaliste, à la mort de ce cinéma-là, à De Sica, Rosselini, Antonioni, Fellini et Pasolini, à la fermeture des bordels, à la naissance de journaux, de radios, à l’arrivée de la télévision, à la transformation du paysage, celui des villes, celui des côtes, aux histoires d’amour, aux mensonges et aux trahisons mais aussi aux amnésies, aux volontés d’oubli et aux désirs de fuir... Oui, il y a désormais tout ça dans ce que j’interroge, dans mes ricordi. Des fragments d’histoires et de vies qui auraient pu être les nôtres où se glisser dans les creux, les manques, les oublis, ses abandons.
Très vite la forme utilisée par Joe Brainard (I remember) et Georges Perec (Je me souviens) s’est imposée.
La dernière création est l’index qui est une autre manière d’écrire la mémoire (par mots-clés), une autre façon de lire les histoires contenues à l’intérieur de l’ensemble, des histoires que chaque lecteur se créera en jouant à saute-mouton.
Ricordi peut ainsi être lu du premier au quatre cent quatre-vingtième fragment mais aussi dans le désordre, via l’index, de manière aléatoire, à l’envers, de travers, l’Italie dans le dos. »

Ouvrage publié avec le concours du Centre national du livre et de la Région Franche-Comté

Les auteurs

Christophe Grossi, né en 1972, après des études de Lettres, a été successivement libraire (aux « Sandales d’Empédocle »), chargé des relations avec les libraires (pour « Les Solitaires intempestifs », « Sabine Wespieser éditeur », « Cheyne éditeur »), libraire en ligne (pour « ePagine »). Il anime depuis 2009 le site « déboîtements » qui est son laboratoire d’écriture. Il a publié en 2011 un récit sous la forme d’un road-novel : Va-t’en va-t’en c’est mieux pour tout le monde (publie.net et publie.papier). Il a aussi publié plusieurs proses poétiques en revues, papier ou numérique (« Inventaire/Invention », « Prétexte », « Livraison », « d’ici là », « remue.net », « Le Bateau », « La Piscine »…).

[Photographie © Julien Pauthe]

Daniel Schlier, né en 1960, est représenté par les galeries Jean Brolly à Paris, Born à Berlin, Riff Art Projects à Istanbul, Bernard Jordan à Zurich. Sur son œuvre nous pouvons lire, entre autres, un ouvrage paru chez Monografik en 2008 (textes d’Éric de Chassey et Alain Coulange) ou le catalogue de son exposition au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg en 2003 (textes de Marie de Brugerolle, Emmanuel Guigon et Fabrice Hergott). Il enseigne le dessin à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, après avoir longtemps dirigé l’atelier de peinture à la Haute École des Arts du Rhin à Strasbourg.
Son site Internet.

D.S. a participé au n°1 de la revue « L’Atelier contemporain » (dossier Ann Loubert), et a accompagné de dessins les livres de Christophe Grossi.

Presse

La prière d’insérer d’ARNO BERTINA :
Sans doute Christophe Grossi a-t-il des origines italiennes. Peut-être. Admettons. On sait qu’il faut se méfier des patronymes, que Stendhal n’était pas le nom de Stendhal, et que d’autres s’appellent Volodine parce que leur état civil peine à contenir le grand nombre qu’ils sont. Christophe Grossi aurait donc des ricordi plutôt que des souvenirs. Peut-être, admettons. Mais on pourrait aussi bien dire que l’auteur nous balade en évoquant l’Italie et ses aïeux. Est-ce qu’on ne cherche pas à être de tous les pays, quand on écrit ? Ce pas de côté (écrire mi ricordo plutôt que ce je me souviens déjà si familier aux oreilles françaises) n’est-il pas simplement une métaphore de l’écriture, qui est toujours un pas de côté… ? L’Italie est le pays fantastique des écrivains français, un pays qui sera tout le temps sidérant et décoiffant aux gens du Nord que, sfortunati, nous sommes. Il suffit de lire ces 480 fragments pour deviner tout cela : la matière de cette autobiographie informe, ouverte, outrepasse de loin l’auteur, qui est sans doute né au début des années 70. Notre logiciel est sans âge, la mémoire est un mystère et mystérieuse elle agrandit notre horizon jusqu’à la communauté et aux groupes qui figurent très vite des îles du passé, ou des archipels (au hasard : les Partisans ; au hasard : les adorateurs de Lollobrigida ; au hasard : ceux qui savent pourquoi Gino Bartali a été déclaré « Juste parmi les nations »). Sans elle on crèverait d’être nous-mêmes, grâce à elle – c’est Proust qui le dit – une forme d’éternité devient possible, oui, mais surtout enviable.

La revue de presse complète (sur le site de l’auteur).

Guénaël Boutouillet, sur son site Matériau composite.
Sabine Huynh, dans La Quinzaine littéraire.
Christine Jeanney, sur son site Tentatives.
Jérémy Liron, sur son site Les pas perdus.
Christine Marcandier, sur le site Mediapart.
Natacha Margotteau, sur le site nonfiction.fr.
Serge Martin dans la revue Europe.
Pierre Ménard, sur le site Liminaire.
Angèle Paoli, sur le site Terres de femmes.
Nathalie Riéra, sur son site Les Carnets d’Eucharis.
Sébastien Rongier, sur le site remue.net.
Lucien Wasselin, sur son site La faute à Diderot.

Des avis de lecteurs sur Babelio.com.

Des sons et des lectures de Ricordi par l’auteur, Anne Savelli, Natacha Margotteau… (site « L’aiR Nu »)

La page Facebook consacrée à Fils et Ficelles.

Extraits

97. Mi ricordo d’une écriture dans la marge.

98. Mi ricordo qu’il la croisait partout : dans la rue, les supérettes, les gares, les trains, les bus et même une fois dans un avion.

99. Mi ricordo qu’on ne se voit pas toujours tomber.

100. Mi ricordo de stars signant des autographes à l’heure de l’apéritif, venant conter fleurette ou repérer une future étoile du cinéma.

101. Mi ricordo quand on a enfin pu mettre des noms sur des visages.

102. Mi ricordo de L’Istituto fascista di cultura, du Ministero della Cultura Popolare, de L’Opera Nazionale Balilla, de la Gioventù Italiana del Littorio.

103. Mi ricordo qu’elle avait rapporté de son village natal ce goût pour les réunions de famille et les repas bruyants, arrosés, en chanson.

104. Mi ricordo de vingt années de despotisme et des quarante mille civils et militaires morts ou déportés.

105. Mi ricordo de la bande sonore de Rocco e i suoi fratelli de Luchino Visconti – musique de Nino Rota, chanson interprétée par Elio Mauro.

106. Mi ricordo qu’on aimerait aimer, qu’on détesterait détester.

107. Mi ricordo qu’il faut se méfier du conditionnel.

108. Mi ricordo des ruraux qui pestaient quand on leur parlait de miracle industriel.

109. Mi ricordo que les prostituées napolitaines ne parlaient pas toutes comme ce personnage de fiction qu’était Chiara.

110. Mi ricordo de la pasta e fagioli.

111. Mi ricordo que les autres auraient voulu éviter leur part de chagrin.

112. Mi ricordo que pour Guido Piovene la région des Langhe « était réfractaire au monde moderne, à demi morte et menacée par l’anémie économique ».

113. Mi ricordo de la guerre de Fenoglio auprès des foulards bleus dans les collines.

114. Mi ricordo qu’il la croisait partout : dans un cinéma, une librairie, un salon de musique, sur papier glacé, sur pellicule, sur écran.

115. Mi ricordo que Turin est une ville où les solitudes se croisent avant de sombrer dans la folie ou la mort.

116. Mi ricordo que nous rêvons parfois de réveils en douceur, de quelque chose qui pourrait ressembler à un début de film mièvre.

117. Mi ricordo qu’on disait que Pavese était un attentiste mais aussi un écorché vif, un homme extralucide mais un très grand poète.

118. Mi ricordo que le poème de Mario Luzi, Près du Bisenzo, dit l’impossibilité de juger une époque au moment où elle est vécue.

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Littératures

Indifférente aux démarcations de genres, la collection « Littérature » entend représenter une approche curieuse de la création littéraire contemporaine. Poésie, récits singuliers, journaux, carnets, correspondances… : sans autres guides que la surprise et l’émotion, elle s’ouvre à des formes inédites, entêtantes, qu’elle enrichit en les accompagnant d’œuvres originales.

Indifferent to the dividing lines between genres, the collection « Literature » aims to represent a curious approach of the contemporary literary creation. Poesy, singular stories, diaries, notebooks, correspondence… : with no other guides than surprise and emotion, it opens up to new and enhanced forms, paired with original works of art.

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