Lupercales, qu’est-ce à dire ? À Rome, une fête païenne consacrée à la déesse-louve Luperca, qui allaita à sa mamelle Romulus et Rémus ; une procession de prêtres enthousiastes vêtus d’une peau de bouc, flagellant les passantes pour les rendre fertiles. Mais ici ? Lupercales ? Une « mythobioérotique », une « automythobiofiction », un « conte de Faits Érotiques irréellement passés en temps du jour d’huy », un « conte de fée érotique, conte de fesses érotiques, conte de féesses érotiques ». Où le lecteur suivra donc avec gourmandise, d’emboutissement en emboutissement, les lutines aventures de Lupercus et Luperca en forêt de Brocéliande. Un X-ième récit érotique ? Dyable non, car ce fatrassier de fragments amoureux, loin de toute crudité bête et basse, possède à la fois « queue et tête », ne promulgue « nul divorce entre esprit et corps », accouple avec pareille vigueur débauche du corps et débauche du verbe, dans un festin où « figures du corps et figures de style s’enlacent sur le lit de la syntaxe ». Les Lupercales, donc ? « Un foutrassier, foutredieu ! » Amis de Rabelais, vous êtes ici chez vous.
L’ARGUMENT DES LUPERCALES SELON LEUR AUTEUR :
Les Lupercales (Lupercalia) furent un rite célébré pendant l’antiquité romaine : chaque année, le 15 février, des prêtres luperques (luperci), revêtus d’une peau de bouc sacrifié, parcouraient les rues de Rome pour flageller de leurs lanières (découpées dans la peau du bouc) les femmes de la ville, accompagnant leurs coups de lanières d’un grand rire. Ce rite avait pour dieu Lupercus, mais aussi parfois Faunus, mi-homme mi-bouc, et rendait hommage à sa ferveur et sa puissance sexuelles ; c’est l’ancêtre de la saint Valentin. Il avait pour fonction, selon les textes anciens, de favoriser la fécondité des femmes, ou de purifier les femmes enceintes, ou encore d’éloigner les loups prédateurs des troupeaux des bergers.
Le texte des « Lupercales » se réapproprie le mythe et le transforme en conte érotique joyeux, où, se fouettant les sens, deux entités mi-divines mi-humaines, Luperca et Lupercus, hantant la légendaire forêt de Brocéliande élaborent leur propre légende d’un amour courtois érotique. Aucune frontière ne sépare le mythe, le conte et la légende.
Célébrer le corps érotique sur le ton de la joie et de l’enthousiasme, à contre-poil de la tendance actuelle à le mélancoliser, sinon à l’assombrir voire à le couvrir d’un vocabulaire grossier, ordurier ou outrancièrement cru, célébrer le corps joyeux et la langue du désir et le désir de la langue fut la ligne de conduite de l’écriture de ce texte.
Ouvrage publié avec le concours du Centre national du livre.
Les auteurs
Né en 1963 à Caen, Jean-Pascal Dubost habite dans la forêt de Paimpont, dite forêt de Brocéliande. Co-fondateur en 2012 de l’association Dixit Poétic, il organise au sein de son association des actions poétiques et un festival en Brocéliande des poésies contemporaines (« Et Dire et Ouïssance »). En tant que lecteur et critique littéraire il collabore à la revue internet Poesibao, publie des articles dans différentes revues. Il a publié plusieurs livres de poésie (dont Assemblages & Ripopées, Tarabuste, 2021 et La Pandémiade, Isabelle Sauvage, 2022), et de prose (Compositions et La Reposée du solitaire, Rehauts 2019 et 2023), dont trois à L’Atelier Contemporain. Au total : « Un foutredieu de bougre de fuckin faiseur de poèmes ! » (Roger Lahu)
Photographie : © Michel Durigneux
Née en 1980 à Rouen, diplômée de la Haute école des arts du Rhin en 2009, Aurélie de Heinzelin vit et travaille à Strasbourg. Elle travaille à la tempera et l’huile sur bois, ainsi qu’au fusain, à l’encre et au pastel sur papier.
Le site d’Aurélie de Heinzelin.
[Artiste peignant un potiron, encre de Chine sur papier, 59,4 x 42 cm, 2010, collection privée France]
Extraits
Vêtu d’une métaphore, Lupercus se déplace furtivement au cœur du mythe...
Il renifle sa femelle dont les grands yeux verts fixaient la queue qui brillait : mon Seigneur, murmure-t-elle, venez çà, fouettez-moi, fouettez-moi, fouettez-moi jusqu’au sang, jusqu’à ce que je n’en puisse mais, transformez-nous.
Il dit qu’il rentrait d’une longue errance, qu’il puait le fauve et le bouc, qu’importe, elle écarte les pattes, elle prenait les deux.
Puis il plante sa queue dans Luperca.
Nul ne l’en retirera, dyable.
Je plonge toute mon humâlité en vous, ma Bête, et de cette manière, nous ban-nirons les siècles qui nous séparent.
Tout commença par une hallucination sexuelle en livrée et chapeau noirs qui filait dans les ruelles d’une ville bretonne et pluvieuse, dont Lupercus suivit les traces.
On dit que des rapprochements successifs entre mâle et femelle sont les premiers signes du désir ; ils sont de plus en plus intenses au fur et à mesure que le désir avance, et lorsque la femelle est en disposition favorable, elle le fait savoir en dégageant des phénomènes étranges (regard lascif, petite culotte mouillée) qui indiquent au mâle son état de très grande attente. C’est alors la période la plus délicate du mâle, qui doit faire remonter toute la puissance animale qu’il possède depuis des siècles, empêcher tous les obstacles qui pourraient contrecarrer la montée euphorique dans le même temps que la femelle se fait de plus en plus provocatrice au fur et à mesure que le désir mâle monte et puis, il y a union.
Cela advint dans la nuit et une rue de cette ville bretonne et pluvieuse.
Depuis, dans la plus grande et plus naturelle et plus sauvage simplexité, ils n’éprouvent plus aucune fatigue à s’accoupler constamment, nous sommes des solitaires, nous sommes coupables de n’être ni dépressifs, ni mélancoliques, ni tristes, ni mous, ni violents, ni haineux, ni trash, ni sado-gore, ni obscènes, ni vulgaires, ni cruels, ni glauques, ni sordides ni domestiques et mécaniques comme l’est le troupeau commun ; reprenez-moi, reprenez-moi, lui demande-t-elle souvent, en conséquence immédiate et fruitive de quoi tout l’être du mâle se transforme en Phallus d’Or qui s’enfonce en elle, et jouit, la vie dans l’âme.
Ce qui suit rassemble les fragments d’un conte sens dessus dessous...
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Déshabiller, déculotter, lutiner, lécher, sucer, laper, pénétrer, plonger, s’attirer, exciter, s’exciter, se frotter, se coller, téter, languer, caresser, s’entrejamber, se mêler, s’amourer, se renifler, ruer, rouler, jouir, doigter, s’enfoncer, crier, louver, hurler, s’embrasser, se serrer, gamahucher, cunnilinguer, fellationner, anuser, anu-linguer, suçonner, râler, rouler, patiner, aller, jouir, luperquer, bander, mouiller, masturber, visiter, merliner, vivianer, ruter, vibrer, juter, lâcher, décharger, brouter, suer, mordiller, jouir, ronronner, titiller le téton, titiller le clito, couiner, mordiller, flairer, lubrifier, baver, piper, jouir, inonder, ériger, fourrer, bricotter, bricoler, culbuter, grimper, enfourcher, chevaucher, monter, astiquer, enconner, jouir, fourniller, gicler, coïter, besogner, enginer, brosser, jardiner, ramoner, labourer, bourrer, forer, pilonner, pistonner, limer, râper, travailler, embrasser, rouler, s’enlanguer, glisser, frétiller, culeter, enfourner, enlouver, honorer, retour-ner, harponner, irrumer, pomper, s’attoucher, dresser, emballer, étonner, farfouiller, déverser, sublimer, éjaculer, masser, oser, trembler, retourner, spasmer, palpoter, regarder, remuer, jouir, recommencer : aimer est une action concrète.
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Quand il s’éloigne quelques jours dans le monde urbain, à son retour, Lupercus revient bandant neuf, saisissant de suite et sans un mot la féminité sauvage qui lui saute dessus sans un mot non plus, l’élégance fauve de la bête à quatre pattes, jusque son sublime ciel, renouvelons l’art d’aimer comme exception surhumaine, essoufflons-nous.
Puis, langue contre langue ils conçoivent une grammaire amourérotique.
Réveillée tôt, elle l’observe qui émerge de son endormissement, pose une patte sur les parties joyeuses de son mâle, puis-je déposer une requête dans vos oreilles, ce maintenant, Lupercus ; j’aimerais que nous jouissions, il nous faut commencer la journée en jouissant, alors donc, avec toute l’adresse que son rang lui octroie, elle caresse la queue et l’aide à s’ériger dignement, suffisamment haut et droit pour qu’elle l’enfourche, vaillamment, et Lupercus, s’éveillant avec de la vigueur plein l’âme, il n’a pas seulement l’esprit virilement dressé vers les hauteurs, plantez-moi !, plantez-moi !, exhorte-t-elle, les yeux convulsés, la tête en arrière, le bassin ondoyant ; Lupercus la laisse mener les opérations, accrochant néanmoins ses pattes aux hanches de la femelle en action de haut-en-bas, entre activité et passivité voluptueuse, il attend que la sève monte de ses brumes nocturnes quand enfin la sève vient, bouillonne et parcourt doucement les limbes de son esprit et ses veines et fluidifiant le sang glisse le long de toutes ses terminaisons nerveuses jusqu’atteindre le prince des muscles, je vais jouir, Luperca, c’est grande ouverture vers l’extase.
Excitante de vie, en sa raison crépusculaire.
Foutoirement épris.
Je suis ItyphalLupercus, je suis Lupercus l’Ityphallique, dont la nature est d’œuvrer sur votre chair, ma bandaison est le surgissement de mon être, une tension bienvenue_____________
Baisez-moi, baisez m’encore et re-me-baisez et déposez m’en partout jusqu’à plus goutte et me-re-baisez, pour vous Lupercus, je lève la jambe jusqu’au ciel impossible, pour vous je ramperais dans des brouillards d’envoûtement, emmagiquez-moi.
Lupercus embrasse à pleines lèvres les petites lèvres de Luperca et hurle à pleines pensées, je vous roule un patin divin, ma Bête……………………………….
AH !
Le sens du respect érotique modèle en profondeur la vie de Luperca et Lupercus ; Lupercus suit un code de conduite qui relève de ce qu’on appelle la courtoisie sexuelle, laquelle suppose un comportement destiné à mettre les qualités physiques de chaque ébattant au service du plaisir de l’autre : Luperca et Lupercus sont des chevaliers érotiques, enchanteurs et enchantés, jamais pourrissants de volonté. Leur union alpha renforce leur survie : Lupercus n’est ni ange, ni démon : c’est un prédateur qui tente de (sur)vivre et ce, malheureusement, dans des espaces également occupés par l’homme.
J’erre comme une bête dans un monde créé par les hommes, Lupercus, votre membre est mon Bâton de pèlerin.
Quant à ce qui me concerne, chère, j’émerge de brumes intemporelles, après hibernation sexuelle, guidé par mon sexe éclaireur.
Et si bele et de si grant valour que nule dame ne pourroit plus estre.
« Il fait que je tourbillonne
ce désir que j’ai de toi »
(Henri Simon Faure)
Ce n’est pas un péché originel ni de chair ni une souillure tragique ni un affaiblissement de la volonté ni une puanteur de l’être que le désir puissant, Luperca, et je considère le passage à l’acte sexuel pas autrement que du vivant plaqué sur du vivant.