De Simon Hantaï (1922-2008), on ne retient habituellement que les peintures éclatantes nées à partir de 1960 du « pliage comme méthode » et son attitude, si hors du commun aujourd’hui, de repli silencieux à l’égard du monde de l’art et de son marché. Cela revient à occulter un peu vite que son œuvre s’élabore à Paris dès 1948 et qu’elle a été régulièrement accompagnée de déclarations et de prises de position parfois polémiques constituant dans leur ensemble un constant effort de saisie par la pensée de ce qui est arrivé par la peinture.
Nourrie de sa fréquentation des peintres, poètes ou philosophes amis, des surréalistes amis puis ennemis, des œuvres passées et de celles toujours présentes de Cézanne, de Pollock, de Matisse et aussi de Michaux, son interrogation stupéfaite de l’art nous est un guide précieux pour lire sa peinture.
Ce recueil de textes et entretiens rares ou inédits de 1953 à 2006 permet de reconstituer les multiples fils de cette pensée qui s’élabore à même la matière picturale.
Ce volume réunit un ensemble d’entretiens et de textes écrits par Bernard Moninot depuis sa première exposition en 1971, à l’âge de 21 ans, jusqu’à aujourd’hui.
Cette œuvre est celle d’un inventeur de formes à la fois savantes et oniriques. Sa parenté avec l’univers des sciences et des techniques exprime la complicité qui peut lier l’art à la science, quand celui-ci est animé par un sens constant d’une recherche spéculative qui se confond avec la traque, non du visible lui-même, mais des forces physiques invisibles qui le forment.
Édition établie et préfacée par Renaud Ego.
La pensée d’Oskar Kokoschka, telle qu’il la développe dans ses écrits, semble s’organiser autour d’une intuition fondamentale : « Façonner une réalité, telle est la vocation de l’homme. »
On trouvera, dans ce recueil, conçu par l’artiste en 1975, ici traduit pour la première fois, sous-titré « Articles, discours et essais sur l’art » et consacré à des sujets aussi divers que les fresques de Pompéi, la peinture médiévale allemande, les autoportraits de Rembrandt, le courant baroque en Bohème, l’expressionnisme d’Edvard Munch ou l’art italien d’après 1945, l’exposé systématique d’une prise de position à la fois esthétique, historique, politique, géopolitique, économique, écologique, sociale, philosophique et religieuse : en postulant la centralité de l’art dans l’existence humaine, Kokoschka affirme sans ambages l’unicité tous de ces questionnements. Développées et réaffirmées d’essai en essai avec une obstination qui n’a rien de fastidieux, ses positions présentent une cohérence remarquable et peuvent presque se déduire les unes des autres, tant s’y exprime le désir d’opposer une « Weltanschauung », une vision du monde, à ce qui est présenté comme la débâcle du siècle.
Sélection, réalisée en collaboration avec l’artiste, d’écrits et d’entretiens s’échelonnant de 1961 à aujourd’hui – d’une ampleur, donc, parfaitement inédite. Une chance pour le spectateur, non pas sans doute de connaître le fin mot d’une peinture résolument exigeante et coriace, mais de savoir sur quel pied l’aborder pour lui offrir une résonnance maximale.
En effet, Baselitz semble être resté fidèle à son principe, adopté très tôt – en même temps que sa fameuse méthode consistant à peindre ses motifs à l’envers afin de les vider de leur contenu –, de ne proposer dans ses tableaux autarciques que de purs et inouïs problèmes de peinture.
Les yeux, a-t-on coutume de dire, sont les fenêtres de l’âme. Les tableaux, dit-on encore, sont comme des fenêtres. C’est que tout est affaire de passage entre l’intérieur et l’extérieur, car alors que la porte, comme ouverture, permet au corps entier de franchir le seuil, la fenêtre, elle, n’offre du monde qu’un pur spectacle, auquel les sens seuls sont conviés, et la vue la première. Étonnant théâtre du monde que celui sur lequel ouvre la fenêtre : du réel, elle décide de tout cacher ou de tout dévoiler, selon qu’elle veuille jouer de la clôture ou de l’ouverture.
Mieux qu’un objet, la fenêtre devient alors une forme, un mode d’être, une façon de voir : un langage.
Nul peintre, nul écrivain, on le comprend, qui n’en ait fait sa matière.
C’est à cet art des fenêtres, un art étonnant, troublant, que du Graal à Rilke, de Shakespeare à Proust, de Goethe à Mallarmé ou encore de Cervantès à Flaubert, mais aussi de Vermeer à Bonnard, de Friedrich à Matisse, de Bruegel à Chirico ou de Van Eyck à Balthus, au long d’un double parcours littéraire et pictural, cet essai veut donner toute sa plénitude et tout son sens.
Traduit de l’italien par PHILIPPE DI MEO.
À côté de sa prodigieuse fiction, Giorgio Manganelli a poursuivi avec assiduité une œuvre d’essayiste et de critique. Publié pour la première fois en Italie en 1987, « Salons » regroupe un choix de sa réflexion dans le domaine des Beaux-Arts, réalisé de son vivant par son auteur lui-même. L’ouvrage offre un choix de thèmes et d’artistes et de genres extrêmement variés : Edvard Munch, René Lalique, Honoré Daumier, Benedictus, Cecil Beaton, etc. À côté des grands artistes, il accorde une place importante aux arts dits « mineurs » : tabatières, peintures sur éventails, verreries, tissus, photographie, etc. De sorte que l’ensemble frappe par la variété de ses thèmes et la qualité proprement encyclopédique de son information. L’acuité du regard de Manganelli étonne : il n’imite jamais personne, ses analyses sont toujours fortement originales, dérogent à l’historicisme.
Comme tout le monde, j’ai regardé des tableaux avant de savoir lire et écrire. J’ai toujours regardé les couleurs, longtemps, incompréhensiblement. Je ne suis pas devenu peintre.
Plus tard, j’ai commencé à écrire. J’ai voulu reprendre ces plongées, poursuivre ces tableaux, courir après l’effet qu’ils me faisaient.
Écrire pour encaisser la peinture, en retourner l’impact, en vivre les conséquences. Presque toujours de mon propre chef, j’ai essayé de savoir ce que ces œuvres voulaient, et me voulaient, comment elles portaient mes couleurs en emportant leur désir.
Réunir ces textes c’est l’occasion de faire le point sur ces chemins d’art. C’est aller voir comment écrire et peindre se croisent, se quittent, s’accompagnent. Comment chacun sépare pour agir côte à côte, mais regarder le monde ensemble.
Observer dans les corps le renvoi des effets au fin fond de leurs sources, et vers où ils engagent. Ce faisant, c’est, d’une même main, ajouter un pan à l’aventure des Juliau puisqu’au fond regarder un paysage ou des tableaux, c’est la même opération.
Le point commun à ces textes, à la fois nouvelles et brefs essais, est la familiarité, l’intimité dans lesquelles JEAN-LOUIS BAUDRY y apparaît avec les œuvres d’art et avec les artistes, jusqu’à ce que cette relation devienne une façon de vivre et de voir le monde à travers la création artistique.
Il est rare, et tellement stimulant, de pouvoir se laisser entraîner par une lecture où le commerce avec l’art appartient de façon si subtile, si émouvante, au registre de l’autobiographie, là où se mêlent mémoire et imagination, là où les artistes réels et leurs œuvres cohabitent avec les artistes et les œuvres inventés par la littérature et appartenant à la fiction. Les intuitions de l’auteur, sa sensibilité, les mouvements de sa pensée, s’imposent avec le naturel souverain de la chose directement ressentie, vécue. La profondeur de ses analyses, de ses découvertes, tient paradoxalement à cette qualité de légèreté – à l’opposé du superficiel ou du frivole – qui se joue des coquetteries de l’étude académique et des entraves des protocoles savants.
Dans le bonheur de cette écriture, se réalise cet alliage si précieux du réel et de l’imaginaire, de la sensibilité et de la pensée, qu’on appelle la poésie.
Le dialogue entre Olivier Cena, journaliste, et Gérard Traquandi, peintre, s’ouvre à Venise, au cœur des merveilles de l’architecture italienne et à quelques pas du fourmillement de la Biennale d’art contemporain. Un semblable contexte, riche en significations esthétiques, sociales et politiques, est le point de départ d’une discussion libre qui aborde tour à tour les questions de la mondialisation et de la démocratisation de l’art contemporain, aussi bien que celle, déterminé par la problématique écologique, du rapport de la peinture à la nature, aux êtres et aux choses qui peuplent la terre.
« Il n’y a pas de commencement. Ce que l’on nomme l’œuvre n’a ni commencement ni fin, voilà ce que dit d’abord le peintre. » Ainsi commence sans commencer le dialogue en spirales entre l’écrivain Marc Le Bot et le peintre Leonardo Cremonini, Les parenthèses du regard que les deux auteurs avaient dédié à Gaëtan Picon. Repris en fac-similé, il est accompagné d’autres essais par lesquels Marc Le Bot tente d’approcher « l’irréductible énigme » de la peinture figurative et métaphysique de Leonardo Cremonini.
Dans la monographie qu’il a consacrée en 2016 à Frédéric Benrath, Pierre Wat notait très justement que la peinture est vécue chez ce dernier « comme un art épistolaire et amical ». Mais ce caractère « adressé » de l’aventure picturale de Benrath fut également prolongé – ou redoublé – par l’intense correspondance écrite dont il ne cessa de l’accompagner tout au long de sa vie. « Cette correspondance qui s’établit entre nous, écrit Benrath le 20 juillet 1975, ces lettres établissent vraiment une “correspondance” entre nos pensées affectives et nos idées sur les choses et les gens, sur l’art et la littérature. Cela est très important, tu le sais puisque tu réponds si bien ». Mais, comme le dira Michèle (ou Alice) dans une lettre du 29 décembre 1980, à un moment où elle prend un peu plus d’indépendance, « T’écrire, c’est aussi écrire » : le destinataire tend à disparaître et à être absorbé dans l’acte d’écriture auquel il a pourtant servi de point de départ.
Cet ouvrage réunit la correspondance du marchand d’art Pierre Matisse et du peintre Joan Miró, entre 1933 et 1983. Reflets d’une relation aussi bien professionnelle qu’amicale entre les deux hommes, les lettres échangées donnent une vision particulière du monde de l’art. Les déclarations d’amitié y côtoient les tensions entre marchands, les réflexions de l’artiste se mêlent aux évocations plus intimes. De la description des œuvres réalisées par Miró, jusqu’à la mise en place des expositions, les échanges retracent les différentes étapes d’une production artistique foisonnante qu’il faut défendre au mieux. Car pour permettre à Miró d’émerger aux États-Unis, Pierre Matisse le dit bien, il faut « ouvrir le feu ».
Dessinateur instinctif et autodidacte, Louis Pons a développé seul sa technique au fil d’une vie d’errance relative dans la campagne provençale, entre 1945 et 1970. Partant de la caricature, passant par le travail sur le motif, il est parvenu à ces pages saturées par lesquelles il s’est fait connaître : ratures encrées d’où se dégagent des figures fantastiques et organiques, mi-hommes mi-animaux, parfois érotisées et toujours empêchées, « drolatiques comédiens du dérisoire ».
« Singulier » est une des entrées du dictionnaire déréglé que Frédéric Valabrègue consacre ici à l’œuvre du dessinateur. « Le singulier est un artiste minoré dans la mesure où son œuvre ne se prête pas à un discours d’ensemble. » D’où la nécessité d’un discours de détail. Épousant donc au plus près la biographie de l’artiste, reliant entre eux ses thèmes et ses caractères distinctifs, démontant les assimilations forcées qui ont affecté son travail, réactivant un corpus d’œuvres trop mal connues, l’écrivain fait apparaître, au milieu de leur opacité apparente, comme la constellation du dessein qui les guide. Méthode bien digne de la pratique de Louis Pons : « Dessiner, pour lui, cela veut dire donner un coup de sonde dans une poche nocturne grossie par toutes les terreurs innommables. »
Cet ouvrage constitue le catalogue de l’exposition « Palimpseste » de Farhad Ostovani au musée d’Art et d’Archéologie du Périgord et à la médiathèque Pierre Fanlac de Périgueux, du 15 octobre 2020 au 4 janvier 2021.
Le titre que Farhad Ostovani a conçu pour ses expositions de Périgueux est on ne peut plus adéquat à l’ensemble de son œuvre. On gagnera à pénétrer dans les voies diverses et les multiples réalisations de son œuvre avec pour clef ce nom de « palimpseste » par lequel il détermine une image accomplie, conquise par le travail et sa maturation, et stabilisée dans le sentiment de satisfaction qu’elle donne à son auteur. Car cet examen de soi nous apprend une chose tout à fait fondamentale : l’œuvre qui se fait, qui va selon ses rythmes, qui se diversifie par de multiples motifs peints ou dessinés, et par des techniques et des formats non moins divers, est coextensive à la temporalité de l’existence comme telle, qui n’est pas moins variée ni moins différenciée. De telle sorte que l’activité créatrice et l’existence personnelle de cet artiste ne sont en rien distinguables, en rien hétérogènes l’une à l’autre. De Farhad Ostovani la vie et l’œuvre sont, foncièrement, le même : une œuvre-vie.
« Cédant au narcissisme contemporain et tapant un jour son nom sur un moteur de recherche, mon héroïne aurait vu son existence virtuelle supplantée par celle d’une femme du temps passé, mieux référencée sur les pages web. » Cette femme, c’est Eva Gonzalès (1847-1883), peintre et unique élève d’Édouard Manet, auteure d’une œuvre trop tôt interrompue par la mort et, sinon héroïne contemporaine, du moins jeune femme moderne. Bien digne de cette étrange genèse, l’ouvrage adopte une forme singulière où se mêlent monographie, enquête biographique, récit et notes autobiographiques.
À le prendre à la lettre, le terme de monographie paraît insuffisant pour qualifier l’ouvrage d’Armand Dupuy. Sous-titrée « Récits, pensées, dérives & chutes », cette longue étude de la peinture de Jérémy Liron désarçonne dès les premières lignes en restituant en flux de conscience le désarroi d’un chaos de sensations – approche fort subjective, annonciatrice d’une diversité inattendue des régimes d’écriture. Et de fait, si la suite de l’ouvrage réserve des analyses d’une clarté toute classique, ce désemparement initial marque la recherche de bout en bout : « ce qu’on voit face à une peinture n’est que notre propre contact avec elle », selon la formule de Bernard Noël qui sert de boussole à l’auteur. L’enquête prend l’allure d’un drame introspectif. Elle ne sondera pas seulement l’œuvre, mais aussi bien celui qui prétend la voir et l’écrire.
« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »
C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.
Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».
« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».
L’art fut une source inépuisable de réflexion et d’écriture pour Bernard Noël, dont le travail sur le regard est essentiel. L’œuvre d’André Masson a constitué un vivier particulièrement fécond puisqu’il lui a consacré une monographie, un récit-monologue à partir des autoportraits ainsi que de nombreux autres écrits. Ce volume rassemble ses douze textes critiques sur Masson, parus entre 1985 et 2010. L’Atelier contemporain réalise là un projet d’édition que l’auteur avait lui-même en tête dès 1995 et qui n’avait pu voir le jour.
Préface de Michel Surya ; édition établie par Nicole Martellotto.
Brancusi avait ce don d’exprimer en quelques phrases succinctes ses pensées sur l’art, sur la création et sur la vie. Il usait, pour ce faire, d’une langue personnelle, un franco-roumain approximatif dépourvu de normes grammaticales. Cette singularité ajoutée à son aura, celle d’un artiste à l’air de penseur oriental, contribuait à lui forger une image mystérieuse. Ses dires, souvent des aphorismes, ont été si repris, transformés, publiés dans nombre d’ouvrages, en français, en anglais et en roumain, que leur sens en a été déformé.
Ce volume réunit pour la première fois les notes d’ateliers – pensées, aphorismes et divers textes littéraires – telles qu’elles apparaissent dans ses archives conservées dans le Fonds Brancusi de la Bibliothèque Kandinsky, au Centre Pompidou.
Édition établie et présentée par Doina Lemny.
Ces écrits sur « les arts modestes », théorisés par Hervé di Rosa, cherchent à réveiller dans les choses les plus triviales « leur propension à nous faire rêver ». Autrement dit, à réveiller la dimen- sion auratique de toutes les « œuvres » modestes sur lesquelles on peut tomber en déambulant au hasard « des marchés aux puces, des vide- greniers, des boutiques de souvenirs d’aéroport, des fêtes populaires et religieuses, des parcs d’attractions, du Mercado de Sonora à Mexico »...
Pour la première fois sont réunis l’ensemble des écrits de Jean Dubuffet sur l’Art Brut : ses écrits théoriques, notamment autour de la naissance de la Compagnie de l’Art Brut en 1948, ses écrits sur les créateurs d’Art Brut, comme Aloïse Corbaz, Heinrich Anton Müller ou Laure Pigeon, mais aussi de nombreuses lettres, dont plusieurs inédites, à André Breton, Jean Paulhan ou encore Jacqueline Porret-Forel. Quoiqu’il a multiplié les réflexions sur l’Art Brut, il a tenu à échapper à tout principe explicatif et démonstratif. Pour lui, cet art resta toujours « farouche et furtif comme une biche ». (Édition établie, annotée et préfacée par Lucienne Peiry)
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
"Voici un lieu où tout était vivant, jusqu’au désastre et à la mort même. Malgré un dénuement extrême, il semblait enchanteur. Il enchanta en effet ceux qui le vécurent, un couple d’artistes minutieux et visionnaire, Dado et Hessie, leurs enfants, leurs amis, la volaille, les chats et tous ces animaux que l’on dit sauvages autour de l’étang. Par le regard du fils, nous voici au cœur vécu d’une œuvre intime, bouleversante et belle, juste et inquiétante." (Germain Viatte) Dado, le temps d’Hérouval suit les traces de l’artiste dans sa vie quotidienne, retiré dans un hameau de l’Oise.
Parcelle 475/593 saisit le sentiment de fascination qu’on peut éprouver dans les lieux que nous habitons autant qu’ils nous habitent, lorsqu’on est soudain illuminé par la persistance de leur étrangeté fondamentale. Le livre porte le nom d’une parcelle, d’un jardin que le photographe Stéphane Spach explore depuis l’enfance, traquant l’inconnu des lumières changeantes et des existences non-humaines. Un texte de Jérôme Thélôt – Orphée photographe – accompagne les photographies.
Stéphane Spach glane et collecte : encriers brisés exhumés des tranchés de la première guerre, ossements dispersés et crânes d’animaux sous plastique issus de collections zoologiques, fleurs et feuilles fanées qui semblent des reliques d’un jardin perdu... Toutes ces choses sont offertes au regard des lecteurs de cette vaste monographie, en même temps que rendues à leur silence troublant.
Conversation tardive, toujours tardive, toujours repoussée vers la fin d’un temps qui n’arrive pas. Ce livre témoigne de ce temps qui ne finit pas, et dont seule la photographie est capable d’en saisir les prémisses : « La photographie, est-il écrit en fin d’ouvrage, s’effaçait devant l’opacité du temps, devant l’énigme. Ce qui me troublait, c’était autant la disparition que l’apparition. Je croyais que c’était l’énigme de la photographie, c’était l’énigme de la vie . »
Critique d’art, expert en peinture ancienne au sein de l’Hôtel des ventes Drouot, mais aussi électron libre de la nébuleuse surréaliste, premier historiographe de son ami Marcel Duchamp, Robert Lebel est un personnage singulièrement insaisissable. « Quel genre de type est ce Robert Lebel ? Je n’arrive pas vraiment à le saisir. » Telles auraient été les paroles de Marcel Duchamp à Jacques Lacan. Ce volume permet de cerner une de ses multiples facettes, celle du poète, en rassemblant pour la première fois ses poèmes et ses récits.
Qu’est-ce qu’être une femme dans un petit village rural avant la Grande Guerre, puis dans les décennies suivantes, puis enfin dans la grande modernité ?
Ce qu’on pourrait imaginer être le chant « glorieux » vers la liberté et l’émancipation se révèle plus nuancé que prévu. La demande légitime d’égalité n’a-t-elle pas mené ces héroïnes vers une aliénation plus subtile et plus radicale qu’auparavant ? Suivre Émilienne, Colette et Nathalie dans leurs destinées respectives, c’est tenter de comprendre une époque où le vide est possiblement le grand tout.
Sous-titré « Ébauche d’un livre du mal », Pornographie justifie son titre de la façon la plus sobre qui soit, en s’ouvrant sur une définition. Il s’agira, nous laisse-t-on entendre, à la fois d’un « traité sur la prostitution » et d’une « représentation de choses obscènes destinées à être communiquées au public » : prostitution et obscénité devant être entendus en leur sens étendu, c’est-à-dire moral.
[Postface de Victor Martinez.]
Été 2018, l’artiste Patricia Cartereau et l’écrivain Eric Pessan sont invités à Marseille par la Marelle (Friche Belle de Mai) pour un travail de résidence et d’immersion autour du GR 2013, sentier de grande randonnée créé par un collectif de marcheurs, d’artistes et d’urbanistes. Deux mois durant, en pleine canicule, alors que la chaleur bat des records à Marseille comme dans toute l’Europe et une grande partie du monde, ils arpentent étape par étape les 365 km du sentier de grande randonnée.
La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries, aux noms empreints d’une sourde mélancolie, comme ses Tentatives d’épuisement, ses Images inquiètes, ou ses Absences. Les Archives du désastre, qui comptent aujourd’hui près de 400 pièces de modeste format et auxquelles sont consacrées ce volume, sont l’une d’entre elles. Elles recueillent un ensemble de figures spectrales, dessinées à la craie noire, puis voilées d’une couche de peinture vert de Hoocker. Elles sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. Préface de Lionel Bourg ; entretien avec Anne Favier.
Reproduction en fac-similé d’une série de vingt aquarelles — des couchers de soleil — de l’artiste Ann Loubert, accompagnées de deux poèmes de Jacques Moulin.
(Ouvrage au tirage limité, uniquement vendu auprès de nos éditions.)
Au Pont du Diable est le résultat d’un moment de pause. Pause d’un artiste, venu au bord de l’eau aux heures les plus chaudes de la journée, pour voir les gens s’y prélasser. Alexandre Hollan ne reste pourtant pas inactif. Fusain à la main, il réalise des croquis de ces êtres rassemblés là. Un seul trait, modulé en quelques courbes, suggère les corps, les visages, sans fond ni perspective. Les modèles ne posent pas, ils se laissent saisir par l’œil de l’artiste comme ils sont, sans chercher à paraître. Et de la même façon, pas de pose artistique dans les croquis. Il s’agit simplement de saisir la vie telle qu’elle se donne à voir.
Catalogue de l’exposition des œuvres d’Ann Loubert & Clémentine Margheriti à la Halle Saint-Pierre, à Paris, du 14 octobre au 2 novembre 2014.