Écrits d’artistes

Peintre des zoos, membre de la Figuration narrative, meurtrier symbolique de Marcel Duchamp, président du Salon de la Jeune Peinture de 1965 à 1969, décorateur pour le théâtre, philosophe, poète, dramaturge : les catégories qui décrivent le travail de Gilles Aillaud sont aussi ce qui empêche d’y accéder. S’en affranchir suppose moins un effort qu’un suspens devant son œuvre. Ses tableaux, mais aussi ses écrits, sur la politique et le rêve socialiste, sur le théâtre et sa visée émancipatrice, sur la peinture et son intention de renouer un rapport vivant aux choses, produisent eux-mêmes cet arrêt.

Édition établie et présentée par Clément Layet.

Contemporain des avant-gardes du début du XXe siècle, Georges Rouault (1871-1958) participa au Salon d’Automne de 1905, dit des « fauves », avec Matisse, Camoin, Derain et Manguin. Peintre de nus, de portraits, de paysages, il fut également céramiste, graveur et illustrateur de livres pour Ambroise Vollard, qui fut son marchand à partir de 1917 ; puis dessinateur de modèles pour la tapisserie et le vitrail. Inspiré par les sujets religieux et par le cirque, dont il fut un fervent spectateur, Rouault s’impose comme le peintre des laissés pour compte de la société, dont il donne une image expressive et intense, souvent saturée de matière. Mais sa création artistique fut aussi doublée d’une production littéraire intense et continue, que ce recueil permet de redécouvrir.

Édition établie et présentée par Christine Gouzi.

Acteur et témoin de plusieurs mouvements expérimentaux d’après-guerre, dont ceux du surréalisme-révolutionnaire et de Cobra, historien des arts impliqué dans l’histoire qu’il raconte, théoricien emporté cependant à l’écart de la théorie par sa fidélité à la confusion des sensations immédiates, telles sont les facettes de Christian Dotremont que révèlent ses nombreux écrits sur l’art, la littérature et le cinéma. À leur lecture, c’est d’abord comme si on déroulait plusieurs fils de noms, qui retracent certaines constellations artistiques et intellectuelles majeures de son époque, dans ce qu’elles eurent de tumultueux et de vivant.

Édition établie et présentée par Stéphane Massonet.

J’emploie le mot « toucher » par rapport aux notions de « dedans » et de « dehors » et dans le sens où l’emploie Molière. Je voudrais toucher la peinture comme la peinture vous touche. “La toucher”, je le dis comme on aime une femme. (E.L.)

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Essais sur l’art

La découverte des peintures de la Préhistoire s’est accompagnée du sentiment très puissant d’assister à une apparition. Cet enchantement a culminé avec la grotte de Lascaux puis avec celle de Chauvet, mais l’éblouissement qui continue d’envelopper les peintures laisse sur nos yeux une taie, semblable à un point aveugle, qui ne s’est toujours pas dissipée. Il est vrai que les préhistoriens ont concentré leur attention, non sur ce geste si novateur de rendre visible le monde sous la forme de figures, mais sur les usages supposés de ces premières images : être un passe-temps décoratif ou une tentative d’infléchir le succès de la chasse par « la magie sympathique » ; représenter une mythologie, faite de couples d’animaux incarnant une conception sexuée du monde ou encore, être un rituel chamanique de contact religieux. Mais la question de la genèse du dessin demeure entière et, tout environnés que nous sommes par les images, nous avons perdu de vue que cette invention est un prodigieux saut de pensée. Synthétiser une forme ou un être vivant en quelques traits qui saisissent leur apparence est une opération intellectuelle d’une folle portée. Quel a pu être le désir, si patiemment poursuivi, qui a conduit à la naissance de cet art ? De la pensée qui s’est ainsi haussée jusqu’au dessin, peut-on reprendre le trajet ? Le geste du regard est l’hypothèse de son acheminement vers la figure.

À travers quelques thèmes comme la politique, l’idiotie, le mauvais goût, le geste artistique, la légèreté, le rien, le pas grand-chose, l’expérience de l’œuvre, la littéralité… en passant par quelques grandes figures comme Guy Debord, Philip Guston, Cy Twombly, Vaslav Nijinsky, Robert Filliou, Niele Toroni, Richard Tuttle, Tony Smith ou Michel Parmentier, Éric Suchère tente de saisir quels sont les symptômes de notre contemporanéité – quitte à se plonger le plus lointainement dans l’art du passé – et de nommer, à l’aide de ces symptômes, ce syndrome que l’on appelle l’art contemporain afin d’en faire la critique pour aider à mieux définir sa diversité et sa complexité.

Dans ce livre, qui prend parfois les allures de « symphonie urbaine », Olivier Domerg nous invite à nous interroger sur « la sensation du lieu » et sur « le lieu comme
sensation ». Ce lieu, en l’occurrence, est une place ; et, comme toutes les places, un lieu « ouvert », par excellence, sur le paysage urbain, les rues, le ciel, les flux qui s’y croisent, et sur la ville elle-même, dont elle est souvent le centre. Lieu évidemment de passage, mais aussi de « rencontre » et de « retrouvaille », de « pauses » et de « flâneries ». Un endroit où la ville semble faire corps avec elle-même, se condenser et à la fois se déployer ; et où quelque chose d’un plan, d’une forme et d’un sens s’affirment. Se donnent à voir et à entendre.

Qu’est-ce qu’une œuvre ?
Essai, roman, promenade à travers le temps particulier de créations magistrales, L’Œil d’Hermès propose une vision neuve de la signification et plus encore du sens de l’imaginaire pictural.
Sous forme d’un dialogue entre deux personnages, l’histoire secrète de la peinture occidentale est étudiée afin de déceler les traces significatives de tableaux choisis pour leur potentiel mythique. Exemples chez Dürer, Uccello,, Tintoret, Titien, Poussin, Delacroix, Turner, Picasso…
Le regard mythique du messager Hermès déchiffre les signes cachés, consciemment ou non, par les artistes dans leurs œuvres majeures. Que signifie vraiment l’obsédante présence du berger, du cheval, de l’ange chez Giorgione, Poussin ou Tintoret ? Quelle étrange leçon veulent nous apprendre les Vénus au miroir et les Saint-Georges au dragon, le Christ mort et la Vierge à l’Enfant ? L’énigme ne cesse jamais. Tout créateur doit la reprendre à son compte. L’invisible se dévoile à l’ombre du visible. Grâce à cette alchimie des formes un fond secret se révèle. Elle est essentielle pour pénétrer dans les arcanes de l’art vivant d’hier et d’aujourd’hui.

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Esperluette

Publication d’une soixantaine de lettres échangées entre 1969 et 1984, suivies d’un essai inédit de l’écrivain belge. Cet ouvrage nous donne à découvrir la naissance d’une véritable amitié entre les deux hommes d’une génération de différence, dont la correspondance se fait l’écho. Au fil des lettres, transparaissent le respect sincère, l’admiration réciproque, une amitié qui confine parfois à l’amour fraternel, tant à travers le contenu des échanges que dans la forme de leur adresse. Ce livre nous plonge dans l’univers des deux artistes, leurs échanges épistolaires évoquant leurs œuvres respectives, leur processus de création comme leurs influences.

Édition de la correspondance complète entre les deux artistes, largement inédite, augmentée d’un long entretien que VN avait réalisé avec JD pour la revue Flash Art, des préfaces écrites par celui-ci pour Le Drame de la vie, d’un texte de VN en écho aux personnages de JD, et de très nombreux documents inédits : dessins, lettres, manuscrits… Préface de Pierre Vilar.

Cheminant vers ce qu’il aime appeler la « vérité de poésie », Yves Bonnefoy a toujours apprécié le voisinage des peintres et de la peinture, proximité à travers laquelle on devine la résonance intime, ardente et pourtant mystérieuse, qu’il pressent en cet art.
Parmi ces compagnons de travail et de pensée, Gérard Titus-Carmel tient une place singulière. Cet artiste, lui-même poète, sait en effet les difficultés qu’un texte souvent oppose à se laisser illustrer, regimbant aux « illustrations mercenaires » qui le figent ou le défigurent. Voici donc près de dix ans que se tresse ce dialogue entre ces deux belles et voisines solitudes qui, d’une rive l’autre, semblent se héler. Ce dialogue est scandé par des œuvres majeures qui lui ont donné ses accents et ses formes.
Ces œuvres révèlent une amitié vraie et, sans doute à la source de cette connivence, les contours d’une intuition partagée.

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Squiggle

Dessinateur instinctif et autodidacte, Louis Pons a développé seul sa technique au fil d’une vie d’errance relative dans la campagne provençale, entre 1945 et 1970. Partant de la caricature, passant par le travail sur le motif, il est parvenu à ces pages saturées par lesquelles il s’est fait connaître : ratures encrées d’où se dégagent des figures fantastiques et organiques, mi-hommes mi-animaux, parfois érotisées et toujours empêchées, « drolatiques comédiens du dérisoire ».
« Singulier » est une des entrées du dictionnaire déréglé que Frédéric Valabrègue consacre ici à l’œuvre du dessinateur. « Le singulier est un artiste minoré dans la mesure où son œuvre ne se prête pas à un discours d’ensemble. » D’où la nécessité d’un discours de détail. Épousant donc au plus près la biographie de l’artiste, reliant entre eux ses thèmes et ses caractères distinctifs, démontant les assimilations forcées qui ont affecté son travail, réactivant un corpus d’œuvres trop mal connues, l’écrivain fait apparaître, au milieu de leur opacité apparente, comme la constellation du dessein qui les guide. Méthode bien digne de la pratique de Louis Pons : « Dessiner, pour lui, cela veut dire donner un coup de sonde dans une poche nocturne grossie par toutes les terreurs innommables. »

Cet ouvrage constitue le catalogue de l’exposition « Palimpseste » de Farhad Ostovani au musée d’Art et d’Archéologie du Périgord et à la médiathèque Pierre Fanlac de Périgueux, du 15 octobre 2020 au 4 janvier 2021.

Le titre que Farhad Ostovani a conçu pour ses expositions de Périgueux est on ne peut plus adéquat à l’ensemble de son œuvre. On gagnera à pénétrer dans les voies diverses et les multiples réalisations de son œuvre avec pour clef ce nom de « palimpseste » par lequel il détermine une image accomplie, conquise par le travail et sa maturation, et stabilisée dans le sentiment de satisfaction qu’elle donne à son auteur. Car cet examen de soi nous apprend une chose tout à fait fondamentale : l’œuvre qui se fait, qui va selon ses rythmes, qui se diversifie par de multiples motifs peints ou dessinés, et par des techniques et des formats non moins divers, est coextensive à la temporalité de l’existence comme telle, qui n’est pas moins variée ni moins différenciée. De telle sorte que l’activité créatrice et l’existence personnelle de cet artiste ne sont en rien distinguables, en rien hétérogènes l’une à l’autre. De Farhad Ostovani la vie et l’œuvre sont, foncièrement, le même : une œuvre-vie.

« Cédant au narcissisme contemporain et tapant un jour son nom sur un moteur de recherche, mon héroïne aurait vu son existence virtuelle supplantée par celle d’une femme du temps passé, mieux référencée sur les pages web. » Cette femme, c’est Eva Gonzalès (1847-1883), peintre et unique élève d’Édouard Manet, auteure d’une œuvre trop tôt interrompue par la mort et, sinon héroïne contemporaine, du moins jeune femme moderne. Bien digne de cette étrange genèse, l’ouvrage adopte une forme singulière où se mêlent monographie, enquête biographique, récit et notes autobiographiques.

À le prendre à la lettre, le terme de monographie paraît insuffisant pour qualifier l’ouvrage d’Armand Dupuy. Sous-titrée « Récits, pensées, dérives & chutes », cette longue étude de la peinture de Jérémy Liron désarçonne dès les premières lignes en restituant en flux de conscience le désarroi d’un chaos de sensations – approche fort subjective, annonciatrice d’une diversité inattendue des régimes d’écriture. Et de fait, si la suite de l’ouvrage réserve des analyses d’une clarté toute classique, ce désemparement initial marque la recherche de bout en bout : « ce qu’on voit face à une peinture n’est que notre propre contact avec elle », selon la formule de Bernard Noël qui sert de boussole à l’auteur. L’enquête prend l’allure d’un drame introspectif. Elle ne sondera pas seulement l’œuvre, mais aussi bien celui qui prétend la voir et l’écrire.

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Phalènes

« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »

C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.

Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.

À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».

« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».

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Studiolo

L’art fut une source inépuisable de réflexion et d’écriture pour Bernard Noël, dont le travail sur le regard est essentiel. L’œuvre d’André Masson a constitué un vivier particulièrement fécond puisqu’il lui a consacré une monographie, un récit-monologue à partir des autoportraits ainsi que de nombreux autres écrits. Ce volume rassemble ses douze textes critiques sur Masson, parus entre 1985 et 2010. L’Atelier contemporain réalise là un projet d’édition que l’auteur avait lui-même en tête dès 1995 et qui n’avait pu voir le jour.

Préface de Michel Surya ; édition établie par Nicole Martellotto.

Brancusi avait ce don d’exprimer en quelques phrases succinctes ses pensées sur l’art, sur la création et sur la vie. Il usait, pour ce faire, d’une langue personnelle, un franco-roumain approximatif dépourvu de normes grammaticales. Cette singularité ajoutée à son aura, celle d’un artiste à l’air de penseur oriental, contribuait à lui forger une image mystérieuse. Ses dires, souvent des aphorismes, ont été si repris, transformés, publiés dans nombre d’ouvrages, en français, en anglais et en roumain, que leur sens en a été déformé.
Ce volume réunit pour la première fois les notes d’ateliers – pensées, aphorismes et divers textes littéraires – telles qu’elles apparaissent dans ses archives conservées dans le Fonds Brancusi de la Bibliothèque Kandinsky, au Centre Pompidou.

Édition établie et présentée par Doina Lemny.

Ces écrits sur « les arts modestes », théorisés par Hervé di Rosa, cherchent à réveiller dans les choses les plus triviales « leur propension à nous faire rêver ». Autrement dit, à réveiller la dimen- sion auratique de toutes les « œuvres » modestes sur lesquelles on peut tomber en déambulant au hasard « des marchés aux puces, des vide- greniers, des boutiques de souvenirs d’aéroport, des fêtes populaires et religieuses, des parcs d’attractions, du Mercado de Sonora à Mexico »...

Pour la première fois sont réunis l’ensemble des écrits de Jean Dubuffet sur l’Art Brut : ses écrits théoriques, notamment autour de la naissance de la Compagnie de l’Art Brut en 1948, ses écrits sur les créateurs d’Art Brut, comme Aloïse Corbaz, Heinrich Anton Müller ou Laure Pigeon, mais aussi de nombreuses lettres, dont plusieurs inédites, à André Breton, Jean Paulhan ou encore Jacqueline Porret-Forel. Quoiqu’il a multiplié les réflexions sur l’Art Brut, il a tenu à échapper à tout principe explicatif et démonstratif. Pour lui, cet art resta toujours « farouche et furtif comme une biche ». (Édition établie, annotée et préfacée par Lucienne Peiry)

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Beautés

Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.

Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.

Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.

L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.

Constellations

Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]

Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.

Histoire de l’art

En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…

Photographie

Stéphane Spach glane et collecte : encriers brisés exhumés des tranchés de la première guerre, ossements dispersés et crânes d’animaux sous plastique issus de collections zoologiques, fleurs et feuilles fanées qui semblent des reliques d’un jardin perdu... Toutes ces choses sont offertes au regard des lecteurs de cette vaste monographie, en même temps que rendues à leur silence troublant.

Conversation tardive, toujours tardive, toujours repoussée vers la fin d’un temps qui n’arrive pas. Ce livre témoigne de ce temps qui ne finit pas, et dont seule la photographie est capable d’en saisir les prémisses : « La photographie, est-il écrit en fin d’ouvrage, s’effaçait devant l’opacité du temps, devant l’énigme. Ce qui me troublait, c’était autant la disparition que l’apparition. Je croyais que c’était l’énigme de la photographie, c’était l’énigme de la vie . »

Une femme surgit. Et revient, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, en une suite de dix-sept séquences. 17 secondes, le roman-photo de Marc Blanchet, lie chaque portrait de cette femme à une prose, en une suite numérotée qui interroge le mystère de l’autre autant que l’acte et l’image photographiques. Y a-t-il réellement fiction ? Ne sommes-nous pas plutôt dans un monde d’hypothèses, né de l’envie d’écrire sur l’être aimé, d’en raconter la présence dans le temps — et penser ainsi la photographie à travers une écriture poétique ? 17 secondes se déploie comme un éventail, à même de se refermer pour enclore ses secrets.

And Also The Trees (« et aussi les arbres ») propose une approche photo-textuelle du paysage dans laquelle l’arbre est autant modèle que sentinelle, dans sa propre solitude ou dans une solitude rassemblée : la forêt. Souvent prises dans la vitesse, au crépuscule ou de nuit, ces photographies inscrivent des diffractions où la notion de composition s’avère essentielle. Écritures photographique et littéraire se côtoient ou se disjoignent pour penser le paysage, dans ses mystères, ses ruptures, son opacité — parfois son silence. En miroir d’un essai sur l’acte photographique et la perception de son propre corps lors des prises de vue, l’écrivain-photographe Marc Blanchet, par l’horizontalité du paysage ou la verticalité d’un arbre, nous met face à un univers qui surgit entre soudaineté et disparité, présence et profusion.

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Littératures

Critique d’art, expert en peinture ancienne au sein de l’Hôtel des ventes Drouot, mais aussi électron libre de la nébuleuse surréaliste, premier historiographe de son ami Marcel Duchamp, Robert Lebel est un personnage singulièrement insaisissable. « Quel genre de type est ce Robert Lebel ? Je n’arrive pas vraiment à le saisir. » Telles auraient été les paroles de Marcel Duchamp à Jacques Lacan. Ce volume permet de cerner une de ses multiples facettes, celle du poète, en rassemblant pour la première fois ses poèmes et ses récits.

Qu’est-ce qu’être une femme dans un petit village rural avant la Grande Guerre, puis dans les décennies suivantes, puis enfin dans la grande modernité ?
Ce qu’on pourrait imaginer être le chant « glorieux » vers la liberté et l’émancipation se révèle plus nuancé que prévu. La demande légitime d’égalité n’a-t-elle pas mené ces héroïnes vers une aliénation plus subtile et plus radicale qu’auparavant ? Suivre Émilienne, Colette et Nathalie dans leurs destinées respectives, c’est tenter de comprendre une époque où le vide est possiblement le grand tout.

Sous-titré « Ébauche d’un livre du mal », Pornographie justifie son titre de la façon la plus sobre qui soit, en s’ouvrant sur une définition. Il s’agira, nous laisse-t-on entendre, à la fois d’un « traité sur la prostitution » et d’une « représentation de choses obscènes destinées à être communiquées au public » : prostitution et obscénité devant être entendus en leur sens étendu, c’est-à-dire moral.

[Postface de Victor Martinez.]

Été 2018, l’artiste Patricia Cartereau et l’écrivain Eric Pessan sont invités à Marseille par la Marelle (Friche Belle de Mai) pour un travail de résidence et d’immersion autour du GR 2013, sentier de grande randonnée créé par un collectif de marcheurs, d’artistes et d’urbanistes. Deux mois durant, en pleine canicule, alors que la chaleur bat des records à Marseille comme dans toute l’Europe et une grande partie du monde, ils arpentent étape par étape les 365 km du sentier de grande randonnée.

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Hors collection

La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries, aux noms empreints d’une sourde mélancolie, comme ses Tentatives d’épuisement, ses Images inquiètes, ou ses Absences. Les Archives du désastre, qui comptent aujourd’hui près de 400 pièces de modeste format et auxquelles sont consacrées ce volume, sont l’une d’entre elles. Elles recueillent un ensemble de figures spectrales, dessinées à la craie noire, puis voilées d’une couche de peinture vert de Hoocker. Elles sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. Préface de Lionel Bourg ; entretien avec Anne Favier.

Reproduction en fac-similé d’une série de vingt aquarelles — des couchers de soleil — de l’artiste Ann Loubert, accompagnées de deux poèmes de Jacques Moulin.

(Ouvrage au tirage limité, uniquement vendu auprès de nos éditions.)

Au Pont du Diable est le résultat d’un moment de pause. Pause d’un artiste, venu au bord de l’eau aux heures les plus chaudes de la journée, pour voir les gens s’y prélasser. Alexandre Hollan ne reste pourtant pas inactif. Fusain à la main, il réalise des croquis de ces êtres rassemblés là. Un seul trait, modulé en quelques courbes, suggère les corps, les visages, sans fond ni perspective. Les modèles ne posent pas, ils se laissent saisir par l’œil de l’artiste comme ils sont, sans chercher à paraître. Et de la même façon, pas de pose artistique dans les croquis. Il s’agit simplement de saisir la vie telle qu’elle se donne à voir.

Catalogue de l’exposition des œuvres d’Ann Loubert & Clémentine Margheriti à la Halle Saint-Pierre, à Paris, du 14 octobre au 2 novembre 2014.

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COLLECTIONS