De Simon Hantaï (1922-2008), on ne retient habituellement que les peintures éclatantes nées à partir de 1960 du « pliage comme méthode » et son attitude, si hors du commun aujourd’hui, de repli silencieux à l’égard du monde de l’art et de son marché. Cela revient à occulter un peu vite que son œuvre s’élabore à Paris dès 1948 et qu’elle a été régulièrement accompagnée de déclarations et de prises de position parfois polémiques constituant dans leur ensemble un constant effort de saisie par la pensée de ce qui est arrivé par la peinture.
Nourrie de sa fréquentation des peintres, poètes ou philosophes amis, des surréalistes amis puis ennemis, des œuvres passées et de celles toujours présentes de Cézanne, de Pollock, de Matisse et aussi de Michaux, son interrogation stupéfaite de l’art nous est un guide précieux pour lire sa peinture.
Ce recueil de textes et entretiens rares ou inédits de 1953 à 2006 permet de reconstituer les multiples fils de cette pensée qui s’élabore à même la matière picturale.
Ce volume réunit un ensemble d’entretiens et de textes écrits par Bernard Moninot depuis sa première exposition en 1971, à l’âge de 21 ans, jusqu’à aujourd’hui.
Cette œuvre est celle d’un inventeur de formes à la fois savantes et oniriques. Sa parenté avec l’univers des sciences et des techniques exprime la complicité qui peut lier l’art à la science, quand celui-ci est animé par un sens constant d’une recherche spéculative qui se confond avec la traque, non du visible lui-même, mais des forces physiques invisibles qui le forment.
Édition établie et préfacée par Renaud Ego.
La pensée d’Oskar Kokoschka, telle qu’il la développe dans ses écrits, semble s’organiser autour d’une intuition fondamentale : « Façonner une réalité, telle est la vocation de l’homme. »
On trouvera, dans ce recueil, conçu par l’artiste en 1975, ici traduit pour la première fois, sous-titré « Articles, discours et essais sur l’art » et consacré à des sujets aussi divers que les fresques de Pompéi, la peinture médiévale allemande, les autoportraits de Rembrandt, le courant baroque en Bohème, l’expressionnisme d’Edvard Munch ou l’art italien d’après 1945, l’exposé systématique d’une prise de position à la fois esthétique, historique, politique, géopolitique, économique, écologique, sociale, philosophique et religieuse : en postulant la centralité de l’art dans l’existence humaine, Kokoschka affirme sans ambages l’unicité tous de ces questionnements. Développées et réaffirmées d’essai en essai avec une obstination qui n’a rien de fastidieux, ses positions présentent une cohérence remarquable et peuvent presque se déduire les unes des autres, tant s’y exprime le désir d’opposer une « Weltanschauung », une vision du monde, à ce qui est présenté comme la débâcle du siècle.
Sélection, réalisée en collaboration avec l’artiste, d’écrits et d’entretiens s’échelonnant de 1961 à aujourd’hui – d’une ampleur, donc, parfaitement inédite. Une chance pour le spectateur, non pas sans doute de connaître le fin mot d’une peinture résolument exigeante et coriace, mais de savoir sur quel pied l’aborder pour lui offrir une résonnance maximale.
En effet, Baselitz semble être resté fidèle à son principe, adopté très tôt – en même temps que sa fameuse méthode consistant à peindre ses motifs à l’envers afin de les vider de leur contenu –, de ne proposer dans ses tableaux autarciques que de purs et inouïs problèmes de peinture.
L’ensemble des textes écrits par Maryline Desbiolles (parus pour la plupart dans des catalogues ou revues, ou inédits) sur l’art, autour de l’art, à partir de l’art est ici réuni : une première partie rassemble les approches les plus réflexives sur la création ; dans le second chapitre les textes s’articulent autour de deux thématiques chères à l’auteur : l’Italie, la cuisine ; le troisième chapitre réunit les essais et poèmes consacrés aux sculptures de Bernard Pagès ; sont ensuite regroupés les essais consacrés à des artistes ou des œuvres ; le volume se clôt enfin sur des œuvres de fiction dont l’élément déclencheur de l’écriture fut la fréquentation d’œuvres plastiques.
Entrer sans effraction dans la vérité de leur monde. Prendre langue avec. À la lettre sans heurt. S’ouvrir au registre des lieux dans le foyer des couleurs la géométrie du trait l’élan des volumes le geste d’espace. Pénétrer l’écran des neiges celles de l’œil tenu dans son blanc. Incapable de se grandir avant que de se regarder par le dedans. Une attente en allée vers leur monde depuis là.
Poèmes et essais à propos des œuvres de Charles Belle, Véronique Dietrich, Jean-Louis Elzéard, Ann Loubert…
Réédition, en fac-similé, du chef d’œuvre de Gaëtan Picon, augmentée d’un cahier d’études critiques inédites par Yves Bonnefoy, Agnès Callu, Francis Marmande, Philippe Sollers, Bernard Vouilloux.
Peinture et poésie ont toujours eu partie liée. Un poète nous dit ici ce que l’art représente pour lui, ce qu’il lui apporte, ce qu’il lui refuse.
L’auteur fait aussi écho à la fascination exercée par les œuvres de quatre peintres : Jean-Paul Berger, Miklos Bokor, Claude Garache et Alexandre Hollan. Les textes ou les poèmes qu’il leur consacre constituent une réponse sans fin tentée aux interrogations, mais aussi aux émotions qu’elles n’ont pas manqué de susciter, dans la proximité de l’expérience poétique. Une lecture de deux tableaux d’un autre siècle, l’un de Charles Gleyre, l’autre d’Émile David, et une réflexion sur l’art contemporain complètent le présent ouvrage. Elles en cernent la raison d’être et les enjeux.
Publication d’une soixantaine de lettres échangées entre 1969 et 1984, suivies d’un essai inédit de l’écrivain belge. Cet ouvrage nous donne à découvrir la naissance d’une véritable amitié entre les deux hommes d’une génération de différence, dont la correspondance se fait l’écho. Au fil des lettres, transparaissent le respect sincère, l’admiration réciproque, une amitié qui confine parfois à l’amour fraternel, tant à travers le contenu des échanges que dans la forme de leur adresse. Ce livre nous plonge dans l’univers des deux artistes, leurs échanges épistolaires évoquant leurs œuvres respectives, leur processus de création comme leurs influences.
Édition de la correspondance complète entre les deux artistes, largement inédite, augmentée d’un long entretien que VN avait réalisé avec JD pour la revue Flash Art, des préfaces écrites par celui-ci pour Le Drame de la vie, d’un texte de VN en écho aux personnages de JD, et de très nombreux documents inédits : dessins, lettres, manuscrits… Préface de Pierre Vilar.
Cheminant vers ce qu’il aime appeler la « vérité de poésie », Yves Bonnefoy a toujours apprécié le voisinage des peintres et de la peinture, proximité à travers laquelle on devine la résonance intime, ardente et pourtant mystérieuse, qu’il pressent en cet art.
Parmi ces compagnons de travail et de pensée, Gérard Titus-Carmel tient une place singulière. Cet artiste, lui-même poète, sait en effet les difficultés qu’un texte souvent oppose à se laisser illustrer, regimbant aux « illustrations mercenaires » qui le figent ou le défigurent. Voici donc près de dix ans que se tresse ce dialogue entre ces deux belles et voisines solitudes qui, d’une rive l’autre, semblent se héler. Ce dialogue est scandé par des œuvres majeures qui lui ont donné ses accents et ses formes.
Ces œuvres révèlent une amitié vraie et, sans doute à la source de cette connivence, les contours d’une intuition partagée.
Tableaux de couples nus s’ébattant dans des cieux pastel. Sculptures copulatoires de corps en suspension dans l’air. Reliquaires présentant des figures d’anges sexués, armés de fusils mitrailleurs. Là-dessus, des vaisseliers, des autels domestiques, des oratoires… Visiter le « garde-meuble » de Jean Claus, c’est, d’évidence, s’aventurer dans l’inclassable. Car cet art, qui assume avec malice l’inactualité de ses sujets, puisés dans un répertoire qui serait celui des Métamorphoses, de la grande peinture des XVIe et XVIIe siècles et du premier romantisme, est en même temps on ne peut plus contemporain dans le choix de son principal matériau, la pâte polyester, et affirme de la sorte un sens du décalage tourné contre l’époque aussi bien que contre lui-même. Et de fait, face aux « amphigouris », écritures indéchiffrables reportées sur le socle des statues, face aux titres abracadabrantesques des tableaux, face, surtout, à l’ironique légèreté de cette œuvre, c’est au tour du spectateur d’en perdre son latin.
En 2008 le peintre Farhad Ostovani découvre une sculpture de Bacchus dans un jardin à Nervi — bien que fort endommagée, c’est un émerveillement pour l’artiste qui réalisera une suite de plus de 40 œuvres : des portraits de ce jeune homme peints et dessinés sur une base photographique.
Cet ouvrage réunit l’ensemble des œuvres réalisées, ainsi que, en sus d’un texte de l’artiste contant son rapport à ce Bacchus, deux essais d’Alain Lévêque et Madeleine-Perdrillat.
Datés des années 1927 à 1946, les vingt agendas de Pierre Bonnard qui nous sont parvenus couvrent presque, au jour le jour, les vingt dernières années de sa vie. Ils offrent donc un éclairage jusqu’à présent inédit sur la recherche quotidienne d’un peintre en sa dernière maturité. En regard du relevé bref et assidu du temps qu’il fait, de la qualité de la lumière et des lieux visités, Bonnard, inlassablement, dessine au crayon de papier ce qu’il voit, silhouettes, visages, gestes, objets, paysages. Autant d’esquisses qui préfigurent les motifs et la composition de certaines grandes peintures.
Le dessin c’est la sensation. La couleur c’est le raisonnement. Si cette observation de l’artiste nous renseigne sur une méthode qui s’alimente aussi bien aux visions les plus soudaines qu’au lent travail de l’atelier, le présent livre constitue bien une révélation.
Recueil complet des essais du poète Yves Bonnefoy sur le peintre Alexandre Hollan : 30 ans de réflexions.
« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »
C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.
Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».
« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».
L’art fut une source inépuisable de réflexion et d’écriture pour Bernard Noël, dont le travail sur le regard est essentiel. L’œuvre d’André Masson a constitué un vivier particulièrement fécond puisqu’il lui a consacré une monographie, un récit-monologue à partir des autoportraits ainsi que de nombreux autres écrits. Ce volume rassemble ses douze textes critiques sur Masson, parus entre 1985 et 2010. L’Atelier contemporain réalise là un projet d’édition que l’auteur avait lui-même en tête dès 1995 et qui n’avait pu voir le jour.
Préface de Michel Surya ; édition établie par Nicole Martellotto.
Brancusi avait ce don d’exprimer en quelques phrases succinctes ses pensées sur l’art, sur la création et sur la vie. Il usait, pour ce faire, d’une langue personnelle, un franco-roumain approximatif dépourvu de normes grammaticales. Cette singularité ajoutée à son aura, celle d’un artiste à l’air de penseur oriental, contribuait à lui forger une image mystérieuse. Ses dires, souvent des aphorismes, ont été si repris, transformés, publiés dans nombre d’ouvrages, en français, en anglais et en roumain, que leur sens en a été déformé.
Ce volume réunit pour la première fois les notes d’ateliers – pensées, aphorismes et divers textes littéraires – telles qu’elles apparaissent dans ses archives conservées dans le Fonds Brancusi de la Bibliothèque Kandinsky, au Centre Pompidou.
Édition établie et présentée par Doina Lemny.
Ces écrits sur « les arts modestes », théorisés par Hervé di Rosa, cherchent à réveiller dans les choses les plus triviales « leur propension à nous faire rêver ». Autrement dit, à réveiller la dimen- sion auratique de toutes les « œuvres » modestes sur lesquelles on peut tomber en déambulant au hasard « des marchés aux puces, des vide- greniers, des boutiques de souvenirs d’aéroport, des fêtes populaires et religieuses, des parcs d’attractions, du Mercado de Sonora à Mexico »...
Pour la première fois sont réunis l’ensemble des écrits de Jean Dubuffet sur l’Art Brut : ses écrits théoriques, notamment autour de la naissance de la Compagnie de l’Art Brut en 1948, ses écrits sur les créateurs d’Art Brut, comme Aloïse Corbaz, Heinrich Anton Müller ou Laure Pigeon, mais aussi de nombreuses lettres, dont plusieurs inédites, à André Breton, Jean Paulhan ou encore Jacqueline Porret-Forel. Quoiqu’il a multiplié les réflexions sur l’Art Brut, il a tenu à échapper à tout principe explicatif et démonstratif. Pour lui, cet art resta toujours « farouche et furtif comme une biche ». (Édition établie, annotée et préfacée par Lucienne Peiry)
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
Jean-Jacques Gonzales se déclare photographe à la manière des Primitifs pour qui le recueil et la conservation d’une image du monde constituaient la merveille. Son projet est de retrouver cette émotion originaire en contrecarrant l’effacement progressif des traces du médium dans son « perfectionnement » sans fin et de sa solidarité ontologique avec le monde abolie aujourd’hui par l’instantané numérique. S’impose alors une tâche pour la photo-graphie : celle d’être une « graphie » au sens non pas d’une écriture déployée par un « vouloir-dire » de l’artiste ou par l’affirmation des puissances de la technique, mais en son sens premier de recueil d’une griffure, d’une trace, d’une marque, d’une impression sensible reçue du motif, pour libérer les puissances qui s’y réservent.
Lutter contre le premier rendu de la prise de vue, le déporter hors de son évidence native par le travail patient de l’atelier, le dé-faire, le désécrire selon les termes de Jérôme Thélot dans l’essai qui ouvre cette monographie, est le travail auquel s’astreint Jean-Jacques Gonzales : « C’est un travail du négatif qui vient à perturber, à désécrire les constructions optiques de l’appareil pour ouvrir l’image finale à la réalité du motif et à sa présence même. » Il s’ensuit dans cette œuvre une poésie de la présence, dans laquelle toute réalité profonde s’offre et se dérobe à la fois, proche et lointaine, évidente et retirée, et qui ne peut être ralliée qu’au prix d’un effort radical contre toute rhétorique de l’image.
Premier ouvrage consacré à l’œuvre photographique de Nathalie Savey, qui reproduit ses principales séries accompagnées de poèmes et proses de Philippe Jaccottet qui accompagnent et éclairent son travail. Trois études inédites par Héloïse Conésa, Michel Collot, Yves Millet.
Vallées, forêts et monts vosgiens à la lisière de la Lorraine et l’Alsace : Karine Miermont traverse ces lieux depuis une trentaine d’années, travaille à leur protection. Les sensations vécues dans ces espaces, les expériences et surtout le désir, la poussent à raconter les vies de ceux qui y habitent : arbres, herbes, lichens, pierres, eau, animaux, hommes et femmes : « Toutes ces présences qui ouvrent des récits, des histoires ». Par l’observation, l’analyse, de telle source, tel arbre, tel cerf, pourtant familiers, l’auteure s’ouvre à l’étonnement et à la contemplation. Si l’élément naturel sature chaque page de ce récit, ce n’est pas tant pour le décrire, faire état de recherches très précises que pour en relater l’expérience sensible, existentielle, et ainsi la mettre à portée du lecteur.
Obstaculaire. Il fallait bien ce néologisme difficile pour qualifier l’élan violent et contrarié qui enfante ici comme ailleurs la poésie de Cédric Demangeot. Nom, comme « ossuaire », ou adjectif, comme « oraculaire », il nomme avec une sécheresse exacte ce singulier appareillage de la parole dont le moteur est l’empêchement, le mouvement la butée, et qui ne fonctionne qu’en se brisant pour laisser voir sa mécanique détruite.
Drame, comédie, conte, épopée du langage ou satire de l’humanité à travers son langage, Forêt des mots est inclassable mais il n’est certes pas dénué d’échos avec les faits les plus contemporains, les plus universels, dès lors qu’ils impliquent les us et abus de la langue. Comme les voix qui le peuplent, le livre porte catégories, lieux communs et bavardages, belles promesses et nobles mots à la lumière, avant qu’ils s’y dissolvent et retombent dans le magma de la parole.
« Aumaille » viendrait du latin animalia, qui désigne les grands animaux, ceux de la ferme, et renvoie en écho à l’anima, à l’âme. Laumailler c’est en même temps le nom de jeune fille de la grand-mère paysanne, longuement évoquée en ces pages, qui avait charge de l’entretien du cimetière du village. Ne serait-ce donc pas aussi un dérivé de « lamer » : « couvrir d’une pierre tombale » ?
Plein de ces recoupements de la mémoire intime, celle des jours passés à la ferme de ses grands-parents, et de la mémoire collective, transmise dans le parler, les gestes et les choses, le récit de Kristell Loquet ne cherche pas, quant à lui, à sceller le tombeau des défunts proches et à adresser un adieu à un mode de vie en déshérence. S’il les scrute si intensément, ce n’est pas déploration du passé, mais volonté de réincarner cette âme vivace et de la perpétuer à l’avenir.
Tendu entre jadis et demain, l’enfance et l’enfantement, ce récit sans capitales ni points finaux, émaillé des dessins de Daniel Dezeuze, est de fond en comble un récit de transmission.
La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries, aux noms empreints d’une sourde mélancolie, comme ses Tentatives d’épuisement, ses Images inquiètes, ou ses Absences. Les Archives du désastre, qui comptent aujourd’hui près de 400 pièces de modeste format et auxquelles sont consacrées ce volume, sont l’une d’entre elles. Elles recueillent un ensemble de figures spectrales, dessinées à la craie noire, puis voilées d’une couche de peinture vert de Hoocker. Elles sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. Préface de Lionel Bourg ; entretien avec Anne Favier.
Reproduction en fac-similé d’une série de vingt aquarelles — des couchers de soleil — de l’artiste Ann Loubert, accompagnées de deux poèmes de Jacques Moulin.
(Ouvrage au tirage limité, uniquement vendu auprès de nos éditions.)
Au Pont du Diable est le résultat d’un moment de pause. Pause d’un artiste, venu au bord de l’eau aux heures les plus chaudes de la journée, pour voir les gens s’y prélasser. Alexandre Hollan ne reste pourtant pas inactif. Fusain à la main, il réalise des croquis de ces êtres rassemblés là. Un seul trait, modulé en quelques courbes, suggère les corps, les visages, sans fond ni perspective. Les modèles ne posent pas, ils se laissent saisir par l’œil de l’artiste comme ils sont, sans chercher à paraître. Et de la même façon, pas de pose artistique dans les croquis. Il s’agit simplement de saisir la vie telle qu’elle se donne à voir.
Catalogue de l’exposition des œuvres d’Ann Loubert & Clémentine Margheriti à la Halle Saint-Pierre, à Paris, du 14 octobre au 2 novembre 2014.