Ce livre qui comprend tous les textes, entretiens et conférences de Philip Guston est un outil indispensable pour saisir le climat pictural étatsuniens des années 1950 à la fin des années 1970, et pour comprendre la pensée d’un artiste lettré et provocateur travaillant souvent à rebours de l’époque. Il permettra également de saisir comment s’articule le rapport entre art et politique pour Philip Guston, laissant imaginer les longues discussions qu’il devait avoir avec son grand ami l’écrivain Philip Roth.
Édition de Clark Coolidge ; introductions de Dore Ashton et Éric Suchère ; traduction d’Éric Suchère.
Ce volume rassemble le journal que Stéphane Bordarier a tenu entre 1991 et 1997, tramé de notes d’atelier, de révélations italiennes, de retranscriptions de la bande passante quotidienne, entre amis, en famille, en solitaire ; mais aussi ses essais et ses entretiens, qui sont l’occasion de rendre hommage aux artistes qu’il admire et côtoie, Joan Mitchell, Sam Francis, ou Simon Hantaï, comme de tenter de mettre des mots sur le non-savoir qui pour lui enveloppe le fait de peindre : « La peinture est un mystère. Il n’y a rien à savoir : aucun savoir ne délimite les termes, les moyens, les buts de la peinture. Il n’y a que du passé et de l’ouverture vers des variations telles que tout, chaque jour, doit être reconsidéré. »
Préfaces de Christian Bernard et Pierre Wat.
« Avec l’avènement en 1933-1934 du fascisme en Allemagne, cessation de tout travail utilitaire. Début de la construction de la poupée. » C’est ainsi qu’Hans Bellmer décrit sa volonté d’œuvrer à une destitution des autorités paternelles et politiques : autrement dit à un démontage et à un remontage des corps, pour tendre vers ces choses qu’il dit souhaiter le plus – « celles qu’on ignore ».
Édition établie et présentée par Stéphane Massonet ; avec un essai de Bernard Noël.
Anything goes, tout va, tout est permis. Dans Comme un commun, ensemble fragmentaire de méditations quotidiennes, Camille Saint-Jacques cite souvent cette phrase de Cole Porter, comme un encouragement pour chacun et chacune à prendre la plume ou le pinceau. La peinture n’est pas une activité professionnelle, celle du peintre, mais avant tout un geste, celui de peindre, que tout le monde peut pratiquer pour exprimer sa propre "pensée sauvage" en même temps que son appartenance à la communauté infinie de ce qui est.
Par épisodes tirés d’une vie de recherche sur l’art des XIXe et XXe siècles, Christine Peltre retrace l’histoire savante et subjective d’un « décadrage » de l’Orient. En un peu plus d’une douzaine d’étapes, elle nous guide à travers certains de ces hauts lieux de l’« ailleurs » que nous connaissons souvent par les images de nos musées – Athènes, Istanbul, Izmir, Alger, Marrakech, Tunis… – et dans ces villes d’Europe de l’Ouest – Marseille, Barcelone, Madrid – où universitaires et institutions culturelles s’efforcent d’écrire à frais nouveaux, l’histoire du pourtour méditerranéen.
Outre l’exceptionnelle acuité de ses analyses des œuvres des artistes qui ont marqué la scène artistique londonienne depuis la seconde guerre mondiale, David Sylvester est l’un des premiers en Europe, à avoir saisi l’importance et la portée du renouvellement artistique opéré outre-Atlantique par les représentants de l’expressionnisme abstrait et leurs descendants. Ce regard tourné vers l’Amérique ne l’a pas empêché de porter, tout au long de sa vie, une attention très vive aux artistes du vieux continent, attention nourrie d’une part d’une profonde connaissance des pionniers du modernisme et, d’autre part, d’un lien privilégié à Paris où il n’a cessé de revenir depuis la fin des années 1940. En dépit de cette proximité et de son attachement à la France, son œuvre prolifique et très largement commentée dans les milieux académiques anglosaxons n’est que peu, et très partiellement, connue du lectorat francophone. Cet ouvrage vise à combler cette lacune en proposant un corpus de textes critiques et d’entretiens d’artistes qui offre un aperçu rétrospectif de la façon dont Sylvester a regardé, pensé et écrit sur l’art du XXe siècle.
Peut-on l’oublier ? La vie d’artiste est un combat. Contre soi-même, contre les conventions et le goût, contre les pouvoirs économiques et parfois politiques, mais surtout contre la suffisance des parvenus, l’indifférence et l’aveuglement.
En voici deux exemples auxquels Germain Viatte s’est attaché. Rien ne semble réunir Mondrian et Dubuffet — cependant, pour tous deux, il leur a fallu atteindre la quarantaine pour révéler leur personnalité artistique, radicale et singulière, et en affirmer le développement et l’importance, malgré les difficultés, les rejets, et grâce à la clairvoyance de certains, peu nombreux, artistes, écrivains, marchands, complices et ou amateurs, et finalement des pouvoirs public eux-mêmes, qui permirent à leur œuvre de s’imposer.
En suivant très précisément la chronologie des données documentaires, Germain Viatte, sans craindre de révéler des moments pénibles ou scabreux, illustre dans cet essai un aspect méconnu ou masqué de la vie artistique en France, depuis les débuts du XXe siècle.
Tenter d’expliquer une œuvre, c’est la désamorcer. Et il n’y a aucun moyen non plus d’éviter cette réduction. On peut seulement tenter de retarder ce moment le plus longtemps possible. Et c’est en retardant ce moment que nous nous ouvrons à l’œuvre.
En 1976 et en 2018, soit à quarante années de distance et presque aux deux extrémités de ce recueil d’écrits sur l’art, Marcel Cohen énonce presque mot pour mot ce même principe. Faut-il parler de coïncidence ? De constance, plutôt : celle d’un écrivain fidèle à des rencontres dont il a fait des partis-pris sans sacrifier son exigence de retenue face aux œuvres qu’il accompagne.
Compagnonnages, en effet, qu’ils soient immédiats ou lointains : Antonio Saura plus que tout autre, mais aussi Arnulf Rainer, Colette Brunschwig, Bram van Velde, Kenzuo Shiraga… Démontrant une affection instinctive et sans faille pour les artistes auxquels l’épreuve de l’histoire ou des écueils personnels ont imposé une pratique mesurée, contrariée, voire empêchée – en un mot : éthique – de leur art, l’auteur se hisse à cette noble pauvreté, à cette élégance mathématique où il décèle un idéal.
Publication d’une soixantaine de lettres échangées entre 1969 et 1984, suivies d’un essai inédit de l’écrivain belge. Cet ouvrage nous donne à découvrir la naissance d’une véritable amitié entre les deux hommes d’une génération de différence, dont la correspondance se fait l’écho. Au fil des lettres, transparaissent le respect sincère, l’admiration réciproque, une amitié qui confine parfois à l’amour fraternel, tant à travers le contenu des échanges que dans la forme de leur adresse. Ce livre nous plonge dans l’univers des deux artistes, leurs échanges épistolaires évoquant leurs œuvres respectives, leur processus de création comme leurs influences.
Édition de la correspondance complète entre les deux artistes, largement inédite, augmentée d’un long entretien que VN avait réalisé avec JD pour la revue Flash Art, des préfaces écrites par celui-ci pour Le Drame de la vie, d’un texte de VN en écho aux personnages de JD, et de très nombreux documents inédits : dessins, lettres, manuscrits… Préface de Pierre Vilar.
Cheminant vers ce qu’il aime appeler la « vérité de poésie », Yves Bonnefoy a toujours apprécié le voisinage des peintres et de la peinture, proximité à travers laquelle on devine la résonance intime, ardente et pourtant mystérieuse, qu’il pressent en cet art.
Parmi ces compagnons de travail et de pensée, Gérard Titus-Carmel tient une place singulière. Cet artiste, lui-même poète, sait en effet les difficultés qu’un texte souvent oppose à se laisser illustrer, regimbant aux « illustrations mercenaires » qui le figent ou le défigurent. Voici donc près de dix ans que se tresse ce dialogue entre ces deux belles et voisines solitudes qui, d’une rive l’autre, semblent se héler. Ce dialogue est scandé par des œuvres majeures qui lui ont donné ses accents et ses formes.
Ces œuvres révèlent une amitié vraie et, sans doute à la source de cette connivence, les contours d’une intuition partagée.
Dans son hommage à la peinture figurative et animalière de Gilles Aillaud, Nicolas Pesquès entremêle avec finesse notations poétiques, fragments de théorie sur l’art, descriptions de tableaux, bribes de souvenirs en compagnie du peintre. Le côtoiement des formes et des couleurs de Gilles Aillaud, l’encourageant à écrire, semble lui révéler qu’écrire et peindre sont deux formes d’un semblable besoin d’expression, qui, sans se confondre, convergent vers la même question impossible. « La seule question qui vaille est celle à laquelle on ne peut pas répondre. Les bêtes nous indiquent la possibilité de ne pas la poser. L’expression est ce que nous avons trouvé de mieux pour ne pas la résoudre sans l’étouffer. Par la peinture, par le poème, nous la restituons dans son malheur. » (Dans le mauve à l’aplomb des corbeaux)
Tout a commencé avec une étrange petite boîte noire reçue par Fred Deux en cadeau, un magnétophone. C’est ce qu’il confie dans la première cassette des enregistrements du récit de son existence, inextricablement liée à celle de Cécile Reims, enregistrements de plus de deux cents heures réalisés au long de trois décennies : « Me voilà en 62, 63, 64. J’ai un magnétophone sur une table et je laisse sortir de moi une mèche enflammée qui s’enroule sur des bobines. » Muriel Denis, dans Être Deux, recueille et ravive cette mèche enflammée, en racontant l’histoire de ce couple d’artiste qui inventa, dit-elle avec justesse, une manière « d’être seul à deux ».
Préface de Pierre Wat
"C’est tellement étrange la peinture, entre le dialogue qui s’annonce et la conclusion d’une œuvre : plus on la pratique, mieux on la comprend, c’est vraiment un art de vieux. J’ai mis des années à me dégager d’une forme d’immaturité, et j’ai l’impression que ce n’est que maintenant que j’entrevois ce qu’est la peinture."
Catalogue de l’exposition au musée Picasso d’Antibes. Avec des contributions de Jean-Louis Andral et Patrick Mauriès.
Ce volume collectif est issu du premier colloque français consacré à Käthe Kollwitz, alors que l’historiographie se développe surtout en Allemagne et aux États-Unis. Le principal enjeu en est de sortir du domaine des spécialistes de l’estampe et de faire d’une lacune, le peu de développement de la recherche sur Kollwitz en France, un potentiel heuristique. Le parti-pris était en effet d’ouvrir le propos du colloque hors du champ de l’estampe allemande, de proposer une lecture croisée de l’œuvre de Kollwitz, en invitant non seulement des chercheuses et chercheurs en histoire de l’estampe et en histoire de l’art, mais aussi en histoire de la photographie, en histoire culturelle ou en études germaniques. Chacun considérant Kollwitz sous l’angle de ses connaissances mais aussi des objets et méthodes propres à sa discipline, leur confrontation permet ainsi de renouveler la recherche sur l’artiste.
« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »
C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.
Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».
« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».
Pendant les vingt dernières années de la vie de Giacometti, David Sylvester a développé avec lui une connivence profonde, posant pour lui, recueillant ses propos, préparant des expositions, respirant l’atmosphère de l’atelier de la rue Hippolyte-Maindron et des bistrots de Montparnasse où vivait l’artiste.
Son texte n’est pas le produit d’une théorie sur l’art mais le relevé d’une expérience unique : regarder les peintures et les sculptures se faire en écoutant ce qu’en dit celui qui les fait. Il a partagé cette émouvante quête de la perfection minée par l’obsession de l’échec qu’il relate avec brio. (Traduction de Jean Frémon)
Il est des livres de critique qui sont comme un apport versé aux œuvres. Le lecteur y devine le parti-pris d’une sensibilité ; il comprend que l’auteur y manifeste sa vision singulière et que celle-ci instille dans les tableaux un principe insistant, retient et accentue certaines de leurs tendances, dépose à leur surface le glacis d’un regard. Mais cette vision est si persuasive, elle se glisse si harmonieusement parmi les formes de la peinture, les épouse si bien et les sublime à un tel degré, en un propos qui a pour lui, plus encore que la conformité d’une description, la vérité d’une écriture – on pardonne à l’auteur cette sorte de partialité, et même on lui en est reconnaissant. L’Ingres de Gaëtan Picon est de ces livres-là. (Préface de François Lallier)
Ouvrage historique à plus d’un titre que celui que Georges Bataille consacra à Lascaux.
Dans ce livre paru en 1955, quinze ans après la découverte de la grotte, l’écrivain se propose de formuler une première synthèse philosophique qui vienne en quelque sorte unifier les relevés de la science. Procédant avec une nécessaire prudence, dans le tâtonnement d’observations progressives et d’hypothèses fragiles, complétées et rectifiées au fil des avancées de la recherche, ces spécialistes que sont les préhistoriens ne peuvent se permettre de prendre toute la mesure de leurs propres découvertes, explique Bataille ; c’est aussi ce qui les empêche de « célébrer » Lascaux comme l’un des sites, sinon le site même de la « naissance de l’art ». Cette tâche revient à la philosophie. En s’appuyant au garde-fou de la rigueur scientifique, décrire cette « aurore » de l’humanité, ce « miracle de Lascaux » qui supplante ce qu’on nommait jusqu’alors « miracle grec » : tel est en somme le but inédit que s’assigne Bataille. (Préface de Michel Surya)
« Avec Piero di Cosimo, l’incroyable est arrivé : grâce à Vasari, qui fut le premier et le dernier à le célébrer au XVIe siècle, les chercheurs et les historiens du XIXe et du XXe siècle ont tenté de reconstituer ce qui est resté de son œuvre dispersée et que l’on attribuait souvent à d’autres peintres. L’énigme a resurgi, mutilée mais impressionnante par sa singularité : les surréalistes ne s’y trompèrent pas, qui furent les premiers à lui rendre hommage. »
C’est dans cette lignée qu’il faut replacer l’essai d’Alain Jouffroy, premier livre français consacré à Piero di Cosimo. Abreuvé aux recherches des érudits, l’écrivain fait le choix de la subjectivité : « Je pleure, je ris, je veille et je suis sourd aux appels d’un homme extraordinairement ex-centrique, qui a situé le centre de tout hors de tous les cercles où pourrait subsister ce qu’on appelle un “centre”. »
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
"Voici un lieu où tout était vivant, jusqu’au désastre et à la mort même. Malgré un dénuement extrême, il semblait enchanteur. Il enchanta en effet ceux qui le vécurent, un couple d’artistes minutieux et visionnaire, Dado et Hessie, leurs enfants, leurs amis, la volaille, les chats et tous ces animaux que l’on dit sauvages autour de l’étang. Par le regard du fils, nous voici au cœur vécu d’une œuvre intime, bouleversante et belle, juste et inquiétante." (Germain Viatte) Dado, le temps d’Hérouval suit les traces de l’artiste dans sa vie quotidienne, retiré dans un hameau de l’Oise.
Parcelle 475/593 saisit le sentiment de fascination qu’on peut éprouver dans les lieux que nous habitons autant qu’ils nous habitent, lorsqu’on est soudain illuminé par la persistance de leur étrangeté fondamentale. Le livre porte le nom d’une parcelle, d’un jardin que le photographe Stéphane Spach explore depuis l’enfance, traquant l’inconnu des lumières changeantes et des existences non-humaines. Un texte de Jérôme Thélôt – Orphée photographe – accompagne les photographies.
Stéphane Spach glane et collecte : encriers brisés exhumés des tranchés de la première guerre, ossements dispersés et crânes d’animaux sous plastique issus de collections zoologiques, fleurs et feuilles fanées qui semblent des reliques d’un jardin perdu... Toutes ces choses sont offertes au regard des lecteurs de cette vaste monographie, en même temps que rendues à leur silence troublant.
Conversation tardive, toujours tardive, toujours repoussée vers la fin d’un temps qui n’arrive pas. Ce livre témoigne de ce temps qui ne finit pas, et dont seule la photographie est capable d’en saisir les prémisses : « La photographie, est-il écrit en fin d’ouvrage, s’effaçait devant l’opacité du temps, devant l’énigme. Ce qui me troublait, c’était autant la disparition que l’apparition. Je croyais que c’était l’énigme de la photographie, c’était l’énigme de la vie . »
André du Bouchet est l’un des poètes français les plus singuliers et les plus marquants de la seconde moitié du XXe siècle. Michel Collot explore ici les principales étapes de son itinéraire poétique et les divers aspects de son œuvre. Il l’a placée sous le signe d’une « écriture en marche », étroitement liée à un parcours de l’espace, que révèle le travail des carnets, à une pratique singulière de la traduction, et au dialogue avec des poètes admirés comme Hölderlin, Reverdy, ou Celan. Il interroge ensuite le rapport qu’André du Bouchet a entretenu de longue date avec la peinture, notamment avec celles de Giacometti et de Tal Coat : elle a puissamment contribué à infléchir son écriture et sa relation au monde, en le rendant particulièrement attentif à la matière des mots et des choses et à la mise en page de ses textes.
« Notre face à face avec les bêtes est une partie de cache-cache. Nous nous contentons de les voir disparaître, et faute de mieux, nous les mangeons, en signe de reconnaissance. Chacun de son côté. »
Que le lecteur prête l’oreille au grincement de ce coup d’archet d’initial. Comme le laisse deviner son titre suggestif, ce livre, sacrifiant à l’hommage animalier, y sacrifie selon ses termes. On s’en assurera en tournant la page et en découvrant aussitôt un éloge de la cochonnaille – en découvrant, surtout, que Vincent Wackenheim est fabuliste, et que les « bestioles », c’est aussi nous.
Est-ce un hasard si le nom de La Fontaine paraît dès l’ouverture ? Non. Car ce recueil de textes courts tous inclassables, qui pourrait être sous-titré Pastiches et mélanges, est empreint à chaque mot d’un esprit moraliste, ironique, vivace, acide, truculent, égrillard et d’un amour sensible des choses de lettres et d’esprit que d’aucuns rattacheraient au génie français depuis Rabelais, sinon au génie alsacien depuis Sébastian Brant.
On y trouvera entre autres une façon de monographie sur la passion de Jean Paulhan pour les tatous, un essai attentif sur le bestiaire d’Albrecht Dürer, une observation zoologico-littéraire de la pieuvre chez Victor Hugo. On y trouvera un revival de la chanson de geste (« La Grande Guerre des volatiles ») en pas moins de trois épisodes, et puis une exhumation consciencieuse de recettes carnivores du XIXe siècle. On y trouvera encore l’édifiante idylle de l’humaine Madame Roll et du poissonneux Monsieur Mops ; la très-morale histoire de l’adoption d’une girafe par un ménage parisien ; un satirique récit de week-end entre amis qui dégénère en pugilat de rhinocéros. – On trouvera donc, partout dans Bestioles, en la piquante compagnie des dessins de Denis Pouppeville, un régal bien saignant de langue et une intelligence mordante.
« J’aime (ce mot est inexact) votre œuvre ; je m’explique tout par elle. J’aurais voulu en témoigner. » (Christian Prigent à Francis Ponge)
Francis Ponge a soixante-dix ans lorsque, en août 1969, il reçoit d’un étudiant de Rennes un mémoire consacré à son œuvre. Cet étudiant, c’est Christian Prigent, alors âgé de vingt-trois ans et fondateur de la tout nouvelle revue TXT. L’un espère faire reconnaître définitivement la modernité de son œuvre et lui assurer des héritiers ; l’autre, cherchant son écriture, évolue très vite sur le plan esthétique et idéologique. Et Tel Quel n’est pas loin.
Correspondance entre un « grand écrivain » et un « jeune homme », selon les termes dans lesquels s’institue l’échange, cette suite d’une centaine de courriers adressés entre 1969 et 1986 a cependant bien peu en commun avec les Lettres à un jeune poète, et documente surtout notre histoire littéraire récente. Elle éclaire la réception d’une œuvre qui entend incarner « un apport aussi radical (pour le moins !) que celui d’Artaud ou de Bataille à la mutation en cours » et témoigne de l’effervescence intellectuelle et politique de l’après-68, laquelle sera la cause majeure de la rupture entre les deux hommes.
Transmission ambiguë au-delà d’un fossé générationnel ? Tel est peut-être ce que donnent à voir ces lettres. Ou, pour reprendre l’expression de Benoît Auclerc : « relation enragée ».
À l’appel d’une voix chère, une femme se réveille dans une chambre d’hôpital. Elle se met en chemin. Dehors, le monde sort d’un cataclysme ; la vie reprend ses droits, parcimonieuse, précaire. Guidée par son intuition et le désir de retrouver une présence qu’elle n’a peut-être que rêvée, cette femme amnésique gagne la campagne, fait de brèves rencontres, s’endort dans une forêt. Son voyage, de station en station, prend une allure initiatique.
La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries, aux noms empreints d’une sourde mélancolie, comme ses Tentatives d’épuisement, ses Images inquiètes, ou ses Absences. Les Archives du désastre, qui comptent aujourd’hui près de 400 pièces de modeste format et auxquelles sont consacrées ce volume, sont l’une d’entre elles. Elles recueillent un ensemble de figures spectrales, dessinées à la craie noire, puis voilées d’une couche de peinture vert de Hoocker. Elles sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. Préface de Lionel Bourg ; entretien avec Anne Favier.
Reproduction en fac-similé d’une série de vingt aquarelles — des couchers de soleil — de l’artiste Ann Loubert, accompagnées de deux poèmes de Jacques Moulin.
(Ouvrage au tirage limité, uniquement vendu auprès de nos éditions.)
Au Pont du Diable est le résultat d’un moment de pause. Pause d’un artiste, venu au bord de l’eau aux heures les plus chaudes de la journée, pour voir les gens s’y prélasser. Alexandre Hollan ne reste pourtant pas inactif. Fusain à la main, il réalise des croquis de ces êtres rassemblés là. Un seul trait, modulé en quelques courbes, suggère les corps, les visages, sans fond ni perspective. Les modèles ne posent pas, ils se laissent saisir par l’œil de l’artiste comme ils sont, sans chercher à paraître. Et de la même façon, pas de pose artistique dans les croquis. Il s’agit simplement de saisir la vie telle qu’elle se donne à voir.
Catalogue de l’exposition des œuvres d’Ann Loubert & Clémentine Margheriti à la Halle Saint-Pierre, à Paris, du 14 octobre au 2 novembre 2014.