On connaissait Markus Lüpertz comme peintre et comme sculpteur ; on le découvrira ici poète, orateur, essayiste. Aussi ancienne que sa pratique de la peinture, fruit de la même exigence portée avec la même vigueur, son œuvre d’écrivain réclame d’être lue à part – quoique l’écrivain en question s’affirme peintre corps et âme.
Cette apparence de paradoxe, entre autres « affirmations », le lecteur pourra l’approfondir au fil de cette sélection de textes écrits sur près de soixante ans, dans lesquels Lüpertz, en adepte du mystère, s’avance tour à tour sous le masque d’Orphée, du « rejeton de philosophe » et du peintre franc-tireur, faisant valoir avec une constance implacable sa vérité. Comme il le dit lui-même : faites-vous à moi, il n’y a pas d’autre moyen / il n’y pas de remède contre moi / je suis comme la pluie / je fais qu’en vous les fleurs fleurissent / que la terre respire, que le monde en vous vous paraisse supportable.
Préface d’Éric Darragon. Traduction de Régis Quatresous.
Carnets d’atelier 1975-1990 ; Textes 1979-2000 ; Entretiens 1984-2014
Réunissant d’une part carnets, d’autre part textes et entretiens dont l’écriture ou la parution s’échelonnent des années 1970 à aujourd’hui, Le Temps de peindre jette sur l’œuvre de la peintre Monique Frydman un éclairage neuf par son ampleur, sa densité et sa profondeur. C’est en effet le premier mérite de ce volume en deux volets, doublement préfacé et enrichi de cahiers iconographiques importants, que de proposer au lecteur une approche croisée de ce travail dans lequel l’écriture, avant, pendant, après, joue un rôle constitutif, ne serait-ce qu’en permettant à l’artiste de « rationaliser par la parole » ce qui advient dans sa peinture.
« Observations sur la peinture » : ce titre vient de Bonnard lui-même, qui, à la fin de sa vie, sans les dater, composa un mince florilège de ses notes. Aujourd’hui replacées dans l’ordre chronologique, augmentées d’inédites, assorties même de reproductions de pages d’agendas, les notes ici réunies, qui s’échelonnent sur presque vingt années (1927-1946), sont une révélation.
Tous les jours pendant plus de deux ans, Thieri Foulc s’est astreint à l’écriture d’une « peinture non peinte », texte court qui résume une idée de tableau dont le principal intérêt – dixit l’auteur – est justement de ne pas être réalisée, de rester à l’état de fulgurance, de « projet », dans un élan interrompu en direction de la peinture. Discipline hybride, donc, qui croise verbal et pictural, et joue de cette allégeance double comme d’un moyen de ne s’en tenir à aucune.
Quand écrire pour des artistes est une expérience éthique avant d’être esthétique… Pas de vérité préalable, de normes au nom de quoi juger les œuvres. D’abord des relations vécues. Complicités : proximités, ententes, mais aussi différences préservées, altérités indomptables. Les œuvres parlent, dans leurs langues singulières en grande partie intraduisibles. De quoi parlent-elles ? Avec quels “mots”, quelles “phrases” ? Les pratiques créatrices des artistes ouvrent des espaces, des paysages, des horizons inédits. Elles dessinent des constellations étrangères, des entrelacs nouveaux. Comment apprendre à accompagner de telles aventures ?
Trois peintres de la Figure est le deuxième volume de la suite Proximité du tableau, initiée en 2021 par le philosophe Paul Audi, dont l’œuvre est en grande partie consacrée à mieux cerner les questions éthiques complexes qui hantent les arts en régime de modernité. Je ne vois que ce que je regarde, le premier volume paru chez Galilée, cherchait à décrire « le miraculeux de la présence » qui peut naître de la rencontre entre un regard et un tableau. Dans ce deuxième volume, ce miraculeux a pour nom « Figure ». La Figure est ce qui émerge quand a lieu une rencontre avec un tableau, cette « entité imaginale qui me regarde ». Pour comprendre les conditions de cette fragile émergence, Paul Audi prête ici une attention passionnée aux œuvres de trois peintres contemporains : Eugène Leroy, Paul Rebeyrolle et Ronan Barrot.
Figures disparues , vol.2
En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation de la figure humaine héritées de la Renaissance ? Dans quelle mesure cette rupture s’est-elle logée dans le discours moderniste au point, désormais, d’y passer en partie inaperçue ? L’art contemporain est-il un art qui se situe simplement après Auschwitz ou bien est-il, de manière plus complexe, un art d’après l’événement ?
Telles sont quelques-unes des questions qui donnent a cette Histoire de l’art d’après Auschwitz ses principales orientations. À bien des égards, en proposant une relecture critique des fondements de la modernité artistique et une généalogie de l’art contemporain, cette vaste étude se veut donc aussi une contre-histoire de l’art.
« L’anonymat est un combat » disait Jean Clay. Une discrétion revendiquée plane sur l’existence et sur l’œuvre de celui qui a fondé les prestigieuses éditions Macula en 1980. Atopiques rassemble ses écrits sur l’art les plus importants, parus notamment dans les revues Robho et Macula qu’il a fondées avec une passion érudite, au fil des années 1960 à 1980. Des contributions des historiens de l’art Yve-Alain Bois et Thierry Davila en éclairent la portée théorique et historique.
C’est en 1994, dans une galerie parisienne où il expose une série de Montagnes, que le peintre d’origine iranienne Farhad Ostovani fait la connaissance de Bernard Blatter, alors directeur du musée Jenisch de Vevey, en Suisse. Des affinités communes apparaissent bientôt : la poésie de l’ancien Iran, la musique de Bach, et, surtout, un même regard sur l’art et sur le monde, regard empreint d’humilité laissant toute sa place au silence.
Cela part d’une enveloppe qui pèse plus lourd que de coutume. C’est le père, écrivain, qui envoie à son fils peintre quelques reproductions de tableaux, assorties de lignes elliptiques : un clin d’œil, un salut, une pensée aimante. Et le fils répond. Par une image, lui aussi, puis une question, une intuition. Le dialogue s’engage. Les lettres se font plus longues et réflexives, plus intimes. Au fil de l’exposé des émotions individuelles et des souvenirs communs, père et fils, d’égal à égal, questionnent une expérience partagée : la peinture, celle que l’on regarde et celle que l’on fait.
À ton tour recueille la correspondance échangée en 2015 et 2016 par John Berger, qui n’était pas moins peintre et critique d’art qu’écrivain, et son fils Yves Berger, lui-même artiste, au sujet de la peinture.
Entre George Besson, jeune Jurassien autodidacte, éditeur (chez Braun ou chez Crès où il fonde Les Cahiers d’aujourd’hui), puis critique d’art (dans L’Humanité ou Les Lettres françaises entre autres), et Henri Matisse, peintre au succès encore fragile, va s’établir, de 1913 à 1953, une relation de confiance qui se traduira par un échange d’environ deux cents lettres.
La très grande majorité de cette correspondance est inédite et constitue certainement le dernier ensemble important de lettres du peintre : on y découvre un artiste attentif aux regards et aux discours que l’on peut tenir sur son œuvre, soucieux de son image sociale, mais surtout fortement engagé intellectuellement dans les sujets qui sont au cœur de ses recherches : le dessin, la couleur – brouillons d’articles, réponses à des critiques d’art, corrections de textes sont ici présentés pour la première fois.
C’est une facette inédite du personnage que l’historienne de l’art Chantal Duverget a voulu ainsi cerner et faire partager à un public désireux de mieux comprendre le peintre de « La Joie de vivre ».
Entretien entre le peintre Leonardo Cremonini et le médiologue Régis Debray, suivi d’une biographie rédigée par Jacques Brosse et complétée par Pietro Cremonini. Cet ensemble est encadré de la reproduction de 32 photographies inédites de l’atelier du peintre, prises par Corinne Mercadier après la mort de l’artiste — « un regard qui isole les objets, comme l’image d’un souvenir » pour tenter d’approcher l’univers de cet artiste.
Les questions qui réunissent les auteurs tiennent à la création et à ses enjeux fondamentaux : la réception et la place de l’art dans la société, et la nécessité individuelle de créer.
Tableaux de couples nus s’ébattant dans des cieux pastel. Sculptures copulatoires de corps en suspension dans l’air. Reliquaires présentant des figures d’anges sexués, armés de fusils mitrailleurs. Là-dessus, des vaisseliers, des autels domestiques, des oratoires… Visiter le « garde-meuble » de Jean Claus, c’est, d’évidence, s’aventurer dans l’inclassable. Car cet art, qui assume avec malice l’inactualité de ses sujets, puisés dans un répertoire qui serait celui des Métamorphoses, de la grande peinture des XVIe et XVIIe siècles et du premier romantisme, est en même temps on ne peut plus contemporain dans le choix de son principal matériau, la pâte polyester, et affirme de la sorte un sens du décalage tourné contre l’époque aussi bien que contre lui-même. Et de fait, face aux « amphigouris », écritures indéchiffrables reportées sur le socle des statues, face aux titres abracadabrantesques des tableaux, face, surtout, à l’ironique légèreté de cette œuvre, c’est au tour du spectateur d’en perdre son latin.
En 2008 le peintre Farhad Ostovani découvre une sculpture de Bacchus dans un jardin à Nervi — bien que fort endommagée, c’est un émerveillement pour l’artiste qui réalisera une suite de plus de 40 œuvres : des portraits de ce jeune homme peints et dessinés sur une base photographique.
Cet ouvrage réunit l’ensemble des œuvres réalisées, ainsi que, en sus d’un texte de l’artiste contant son rapport à ce Bacchus, deux essais d’Alain Lévêque et Madeleine-Perdrillat.
Datés des années 1927 à 1946, les vingt agendas de Pierre Bonnard qui nous sont parvenus couvrent presque, au jour le jour, les vingt dernières années de sa vie. Ils offrent donc un éclairage jusqu’à présent inédit sur la recherche quotidienne d’un peintre en sa dernière maturité. En regard du relevé bref et assidu du temps qu’il fait, de la qualité de la lumière et des lieux visités, Bonnard, inlassablement, dessine au crayon de papier ce qu’il voit, silhouettes, visages, gestes, objets, paysages. Autant d’esquisses qui préfigurent les motifs et la composition de certaines grandes peintures.
Le dessin c’est la sensation. La couleur c’est le raisonnement. Si cette observation de l’artiste nous renseigne sur une méthode qui s’alimente aussi bien aux visions les plus soudaines qu’au lent travail de l’atelier, le présent livre constitue bien une révélation.
Recueil complet des essais du poète Yves Bonnefoy sur le peintre Alexandre Hollan : 30 ans de réflexions.
« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »
C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.
Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».
« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».
Les « photographes bruts », selon Michel Thévoz, ont pour particularité de rater leurs clichés chacun à sa manière – et c’est un ratage réussi, qui met en évidence le fonctionnement de ce formatage culturel de nos images et, consécutivement, de notre perception.
Un sentiment qui tient le mur donne l’impression de se trouver derrière l’épaule de Pierre Bonnard, à lire ce qu’il notait et griffonnait quotidiennement dans ses carnets. Ce volume rassemble des propos extraits de ses pages d’agendas couvertes de dessins, de remarques sur le temps qu’il fait, de brèves notations sur son art, mais aussi ses textes sur la peinture et sur Maurice Denis ou Auguste Renoir, ainsi que ses entretiens. Sa parole visait la fulgurance, comme son regard visait à retrouver la « vision brute », la « vision animale ». (Préface d’Alain Lévêque)
« Nous aurons à nous arrêter souvent devant l’inconnu » : c’est par ces mots que Rainer Maria Rilke résume son rapport aux œuvres de celles et ceux dont il se sentit proche : Auguste Rodin et Paul Cézanne qu’il découvrit à Paris, mais aussi Heinrich Vogeler ou Paula Modersohn-Becker, qu’il fréquenta au sein de la communauté de Worpswede. Ce volume, avec sept textes inédits en français, rassemble pour la première fois ses écrits complets sur l’art et sur la « vie nouvelle » qu’il annonce. (Préface de Henri-Alexis Baatsch, traductions de Bernard Lortholary et Maurice Betz)
Malgré l’absence de vestiges, les plus anciens tatouages conservés de corps momifiés datant de 3000 ans avant J.-C., plusieurs indices semblent accréditer l’idée que l’homme a pris son propre corps pour premier support de la peinture. De cette pratique originelle, on peut, observer des résurgences jusque dans les mouvements contemporains du Body Art et du Transvestisme.
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
En mettant en scène de petits soldats de plomb affublés d’éléments issus du monde vivant – végétal comme animal - le photographe Stéphane Spach et la plasticienne Anne Vigneux poursuivent à première vue un pur mouvement ludique d’associations, constituant un bataillon jubilatoire où l’absurde sert une poésie douce et nostalgique.
Mais de ce geste qui a trait à l’enfance se dessine peu à peu une autre forme de lecture, plus grave, qui émerge d’une prise de conscience par les deux artistes des résonances attachées à la guerre, à ses traumatismes, aux séquelles dont les soldats du conflit de 1914-1918 ont été les victimes.
Préface de Michel Bernard
« Durant les mois de septembre et octobre 2023, j’ai arpenté la dernière demeure de Pierre de Ronsard, le Prieuré Saint-Cosme, à La Riche, près de Tours. De qui, ou de quoi, suis-je le lecteur quand je lis Ronsard, s’est inévitablement doublé d’une autre interrogation : que puis-je photographier de ce site et de la mémoire du poète en vue d’une exposition pour les 500 ans de sa naissance ? Une évidence m’est apparue : répondre par différentes matières photographiques aux présences multiples d’un lieu où ruines et bâtiments, dont une arche superbe, se marient à un parc et des jardins. »
"Voici un lieu où tout était vivant, jusqu’au désastre et à la mort même. Malgré un dénuement extrême, il semblait enchanteur. Il enchanta en effet ceux qui le vécurent, un couple d’artistes minutieux et visionnaire, Dado et Hessie, leurs enfants, leurs amis, la volaille, les chats et tous ces animaux que l’on dit sauvages autour de l’étang. Par le regard du fils, nous voici au cœur vécu d’une œuvre intime, bouleversante et belle, juste et inquiétante." (Germain Viatte) Dado, le temps d’Hérouval suit les traces de l’artiste dans sa vie quotidienne, retiré dans un hameau de l’Oise.
Parcelle 475/593 saisit le sentiment de fascination qu’on peut éprouver dans les lieux que nous habitons autant qu’ils nous habitent, lorsqu’on est soudain illuminé par la persistance de leur étrangeté fondamentale. Le livre porte le nom d’une parcelle, d’un jardin que le photographe Stéphane Spach explore depuis l’enfance, traquant l’inconnu des lumières changeantes et des existences non-humaines. Un texte de Jérôme Thélôt – Orphée photographe – accompagne les photographies.
Bitumeux palimpseste, oriflamme de prière hissé dans les ténèbres, « Hollandais volant » manœuvré par allègres morts-vivants, Styx sème doute crucial. Vous n’êtes de nulle part, et vous n’irez nulle part (puisque vous irez partout). Le narrateur c’est vous, et vous n’êtes par conséquent plus rien, car hic et nunc dépossédé de tout. Ulysse, vous croyez séduire les sirènes, quand délurées succubes elles vous entraînent au fond des abysses. Orphée, Persée ou Jonas, vous imaginez défier Hadès, Minotaure ou Kraken, quand leur cancer vous gangrène moelle et cervelle – tandis qu’une spectrale, obsédante parentèle ressuscite et vous harcèle sans relâche. Ultime voyage ? Même pas. Juste éternel mal de mer à naviguer de Pétaouchnok à perpète (explorer villes, plages et bouts du monde quand vos défunts employeurs s’obstinent à vous renvoyer au diable vauvert, cornaquer ingérables, libidineux ados). Un cathartique humour noir structure cette Odyssée chamanique et burlesque, ponctuée de tsunamis et autres cataclysmes prophétiques. Langage paradoxal, son régime du double sens et de la double peine ricoche entre deux rives, jongle entre deux états (le réel et le surréel, le souvenir et sa transfiguration) dont il floute les contours ad libitum. Fantasmagoriques trompe-l’œil, mais stratégiquement enrochés (Gogol, Kafka, Buster Keaton), propulsent cette amoureuse, aventureuse version d’un mythe archaïque.
Exhumant une boîte de photographies datées de son enfance, Gérard Titus-Carmel se retrouve face à celui qu’incontestablement il fut mais qu’il estime avoir sans retour cessé d’être. Comment justifier cette immixtion de l’altérité dans le rapport à soi-même ? Comment accorder la netteté du souvenir, que ces images renforcent, avec la conviction qu’elles sont celles d’un autre ? Par quel procédé rendre compte de cette impression apparemment paradoxale : il a fallu arriver où l’on se tient pour pouvoir se reconnaître là d’où on est parti ; revendiquer ici la « solitude » comme sa condition essentielle pour pouvoir, là-bas, en identifier les ferments ?
La réponse de l’artiste à ce problème tient dans les pages de ce qu’il nomme « rêve autobiographique ». Ni autobiographie, ni mémoires, Ajours se veut une entreprise mémorielle où la vérité serait non celle du souvenir (rétrospectif par définition, donc instable, trompeur, complaisant), mais celle de l’écriture elle-même, dotée d’exigences propres.
Recueillis sur une durée très longue, les instantanés qui composent ce livre restituent à intervalles variables, et sans respect de la chronologie, la vie de famille de l’auteur, de sa compagne Mina et de leurs filles Lamiel et Armance, dans un appartement d’un vieil immeuble parisien quasi abandonné. La venue au monde de l’aînée donne le point de départ, un déménagement forcé amène la fin. Entre ces deux pôles, Xavier Bazot aura eu le temps d’enregistrer les curiosités du devenir de ses filles, d’écorner quelques normes du fonctionnement familial, conjugal, amical et social, et d’épingler les paradoxes et les inconstances de certains « caractères », à commencer par le sien propre.
Pendant presque vingt ans, Karine Miermont a pour voisin de palier un homme connu que, somme toute, elle connaît peu : Denis Roche.
À sa mort, le besoin prend Karine Miermont de reconstituer – de souvenirs en photographies, de bribes de conversations en lectures, de marabout en bout de ficelle – l’image de celui dont la disparition révèle soudain toute l’importance.
C’est donc ici une sorte de « tombeau de Roche » qu’érige avec délicatesse Karine Miermont : hommage qui tient autant du témoignage que de l’essai d’exégèse, reconstitution « de fil en aiguille » d’une personnalité plutôt côtoyée que connue, portrait en mosaïque de celui qui eut lui-même à cœur, dans ses photographies et ses Essais de littérature arrêtée, de fixer les traces de son passage dans le temps.
C’est dans cette distance à son sujet, dans ce mixte de retenue et d’intimité que l’ouvrage acquiert sa dimension propre : celle d’un récit. À travers l’évocation de ses rencontres avec Roche, c’est l’histoire de sa propre accession à l’écriture que retrace l’auteure, aiguillonnée par ce modèle lointain avec lequel ses affinités profondes se révèlent au fil de l’enquête. Et dans ce dialogue rabouté et sans cesse repris avec l’ami et soutien disparu, Karine Miermont donne la pleine mesure d’une figure d’homme et d’artiste.
« Que lisez-vous ? »
Alexandre Hollan
Jérémy Liron
Clémentine Margheriti
Gérard Titus-Carmel
« Pourquoi écrivez-vous sur l’art ? »
François Dilasser
Alexandre Hollan
Ann Loubert
Monique Tello