De 1908 à 1943, Käthe Kollwitz commente dans son Journal la vie de son entourage, le progrès de ses travaux et les vicissitudes, lointaines ou infiniment proches, d’une Europe qui s’enfonce rapidement dans le cataclysme. Autant de lignes croisées, chez cette artiste à qui la guerre enleva un fils, et qui ne cessa jamais de croire aux vertus politiques de l’art.
Cette édition, premier livre publié en France consacré à cet artiste, est augmentée de la reproduction de 48 œuvres significatives de son parcours (dessins, estampes, sculptures).
Très étonnée d’être touchée par la peinture de Jean-Louis Bentajou dont elle n’avait jamais entendu parler (une peinture résolument abstraite qu’il n’était pas dans ses habitudes d’apprécier), Bernadette Engel Roux a voulu comprendre la source de son émotion. Ce qui pour elle passait nécessairement par l’écriture. Il en résulte ce texte à plusieurs strates qui correspondent à chacune de ses visites dans l’atelier. Une recherche qui, par d’autres biais, d’autres mots, rejoint celles du peintre dans ses livres. Deux textes, donc, qui se recoupent comme dans ces deux citations qui, chacune à sa façon, disent quelque chose de la démarche exigeante (et intempestive) du peintre.
Écrits 2007-2017
Avec des textes retrouvés, moins ceux momentanément égarés…
En 1977, Jean-Pascal Léger est allé enregistrer le peintre dans son atelier de Dormont, non loin de la vallée de la Seine et de Giverny. Le jeune éditeur formé dans les livres de Jean-Jacques Rousseau et de Stéphane Mallarmé s’est trouvé au milieu de plus de mille tableaux en travail.
Tal Coat se montrait accueillant. Il dialoguait joyeusement avec le souci de faire comprendre sa démarche. Porté par l’expérience de presque soixante années de peinture, l’artiste atteignait vite une profonde concentration dans sa parole.
Ces Entretiens comportent la reproduction de dessins au crayon gras (issus d’un carnet inédit) et de photos de l’atelier par Michel Dieuzaide.
La découverte des peintures de la Préhistoire s’est accompagnée du sentiment très puissant d’assister à une apparition. Cet enchantement a culminé avec la grotte de Lascaux puis avec celle de Chauvet, mais l’éblouissement qui continue d’envelopper les peintures laisse sur nos yeux une taie, semblable à un point aveugle, qui ne s’est toujours pas dissipée. Il est vrai que les préhistoriens ont concentré leur attention, non sur ce geste si novateur de rendre visible le monde sous la forme de figures, mais sur les usages supposés de ces premières images : être un passe-temps décoratif ou une tentative d’infléchir le succès de la chasse par « la magie sympathique » ; représenter une mythologie, faite de couples d’animaux incarnant une conception sexuée du monde ou encore, être un rituel chamanique de contact religieux. Mais la question de la genèse du dessin demeure entière et, tout environnés que nous sommes par les images, nous avons perdu de vue que cette invention est un prodigieux saut de pensée. Synthétiser une forme ou un être vivant en quelques traits qui saisissent leur apparence est une opération intellectuelle d’une folle portée. Quel a pu être le désir, si patiemment poursuivi, qui a conduit à la naissance de cet art ? De la pensée qui s’est ainsi haussée jusqu’au dessin, peut-on reprendre le trajet ? Le geste du regard est l’hypothèse de son acheminement vers la figure.
À travers quelques thèmes comme la politique, l’idiotie, le mauvais goût, le geste artistique, la légèreté, le rien, le pas grand-chose, l’expérience de l’œuvre, la littéralité… en passant par quelques grandes figures comme Guy Debord, Philip Guston, Cy Twombly, Vaslav Nijinsky, Robert Filliou, Niele Toroni, Richard Tuttle, Tony Smith ou Michel Parmentier, Éric Suchère tente de saisir quels sont les symptômes de notre contemporanéité – quitte à se plonger le plus lointainement dans l’art du passé – et de nommer, à l’aide de ces symptômes, ce syndrome que l’on appelle l’art contemporain afin d’en faire la critique pour aider à mieux définir sa diversité et sa complexité.
Dans ce livre, qui prend parfois les allures de « symphonie urbaine », Olivier Domerg nous invite à nous interroger sur « la sensation du lieu » et sur « le lieu comme
sensation ». Ce lieu, en l’occurrence, est une place ; et, comme toutes les places, un lieu « ouvert », par excellence, sur le paysage urbain, les rues, le ciel, les flux qui s’y croisent, et sur la ville elle-même, dont elle est souvent le centre. Lieu évidemment de passage, mais aussi de « rencontre » et de « retrouvaille », de « pauses » et de « flâneries ». Un endroit où la ville semble faire corps avec elle-même, se condenser et à la fois se déployer ; et où quelque chose d’un plan, d’une forme et d’un sens s’affirment. Se donnent à voir et à entendre.
Qu’est-ce qu’une œuvre ?
Essai, roman, promenade à travers le temps particulier de créations magistrales, L’Œil d’Hermès propose une vision neuve de la signification et plus encore du sens de l’imaginaire pictural.
Sous forme d’un dialogue entre deux personnages, l’histoire secrète de la peinture occidentale est étudiée afin de déceler les traces significatives de tableaux choisis pour leur potentiel mythique. Exemples chez Dürer, Uccello,, Tintoret, Titien, Poussin, Delacroix, Turner, Picasso…
Le regard mythique du messager Hermès déchiffre les signes cachés, consciemment ou non, par les artistes dans leurs œuvres majeures. Que signifie vraiment l’obsédante présence du berger, du cheval, de l’ange chez Giorgione, Poussin ou Tintoret ? Quelle étrange leçon veulent nous apprendre les Vénus au miroir et les Saint-Georges au dragon, le Christ mort et la Vierge à l’Enfant ? L’énigme ne cesse jamais. Tout créateur doit la reprendre à son compte. L’invisible se dévoile à l’ombre du visible. Grâce à cette alchimie des formes un fond secret se révèle. Elle est essentielle pour pénétrer dans les arcanes de l’art vivant d’hier et d’aujourd’hui.
C’est en 1994, dans une galerie parisienne où il expose une série de Montagnes, que le peintre d’origine iranienne Farhad Ostovani fait la connaissance de Bernard Blatter, alors directeur du musée Jenisch de Vevey, en Suisse. Des affinités communes apparaissent bientôt : la poésie de l’ancien Iran, la musique de Bach, et, surtout, un même regard sur l’art et sur le monde, regard empreint d’humilité laissant toute sa place au silence.
Cela part d’une enveloppe qui pèse plus lourd que de coutume. C’est le père, écrivain, qui envoie à son fils peintre quelques reproductions de tableaux, assorties de lignes elliptiques : un clin d’œil, un salut, une pensée aimante. Et le fils répond. Par une image, lui aussi, puis une question, une intuition. Le dialogue s’engage. Les lettres se font plus longues et réflexives, plus intimes. Au fil de l’exposé des émotions individuelles et des souvenirs communs, père et fils, d’égal à égal, questionnent une expérience partagée : la peinture, celle que l’on regarde et celle que l’on fait.
À ton tour recueille la correspondance échangée en 2015 et 2016 par John Berger, qui n’était pas moins peintre et critique d’art qu’écrivain, et son fils Yves Berger, lui-même artiste, au sujet de la peinture.
Entre George Besson, jeune Jurassien autodidacte, éditeur (chez Braun ou chez Crès où il fonde Les Cahiers d’aujourd’hui), puis critique d’art (dans L’Humanité ou Les Lettres françaises entre autres), et Henri Matisse, peintre au succès encore fragile, va s’établir, de 1913 à 1953, une relation de confiance qui se traduira par un échange d’environ deux cents lettres.
La très grande majorité de cette correspondance est inédite et constitue certainement le dernier ensemble important de lettres du peintre : on y découvre un artiste attentif aux regards et aux discours que l’on peut tenir sur son œuvre, soucieux de son image sociale, mais surtout fortement engagé intellectuellement dans les sujets qui sont au cœur de ses recherches : le dessin, la couleur – brouillons d’articles, réponses à des critiques d’art, corrections de textes sont ici présentés pour la première fois.
C’est une facette inédite du personnage que l’historienne de l’art Chantal Duverget a voulu ainsi cerner et faire partager à un public désireux de mieux comprendre le peintre de « La Joie de vivre ».
Entretien entre le peintre Leonardo Cremonini et le médiologue Régis Debray, suivi d’une biographie rédigée par Jacques Brosse et complétée par Pietro Cremonini. Cet ensemble est encadré de la reproduction de 32 photographies inédites de l’atelier du peintre, prises par Corinne Mercadier après la mort de l’artiste — « un regard qui isole les objets, comme l’image d’un souvenir » pour tenter d’approcher l’univers de cet artiste.
Les questions qui réunissent les auteurs tiennent à la création et à ses enjeux fondamentaux : la réception et la place de l’art dans la société, et la nécessité individuelle de créer.
« Je recopie les notes que j’ai prises dans l’atelier du peintre, au fil de ma discussion avec Jean-Pierre Schneider. Je laisse çà et là émerger de nouvelles phrases qui s’invitent sur mes feuilles. Mes phrases sont le liant acrylique d’une peinture. Je décide de faire le portrait de Jean-Pierre Schneider. Je tente de peindre un livre en étalant la matière de ses mots. Je m’éloigne parfois ou bien je modifie l’angle de ma présence face à eux. J’apporte du silence. Souvent, ils n’ont pas besoin de plus. Ce n’est pas tant que Jean-Pierre parle bien de la peinture. Je crois qu’il parle bien de la vie. Et il se trouve que sa vie, c’est la peinture. » Christophe Fourvel
Morgane Salmon exprime son univers foisonnant à travers des céramiques colorées et exubérantes où les motifs naturels, ressaisis par l’imagination, se développent, s’organisent et saturent librement l’espace sculpté. Dans un mouvement de profusion organique qui dépasse la fonction utilitaire de l’objet, la frontière entre art et artisanat est brouillée : un élan jubilatoire donne vie à l’œuvre, accueillie et accompagnée avec simplicité par cette artiste inclassable qui en respecte la croissance sans la contraindre par la raison. « C’est comme ça » !
Contributions de Nadine Lehni et Daniel Payot. Entretiens de l’artiste avec Jean Jérôme.
Deux femmes raconte l’histoire d’une image qui, affleurant à la mémoire de l’artiste, ne cesse en même temps de se diffracter. Le livre de Farhad Ostovani donne à contempler une série réalisée à partir d’une intrigante photographie de sa mère et de sa grand-mère, photographie datant de son enfance iranienne. Retravaillant avec ses outils de peintre un certain nombre de photocopies de cet instantané sans prétention artistique, il en propose des « variations », quasiment musicales, qui approfondissent le mystère de ces deux présences, et de cet instant suspendu, qui semble s’être détaché du cours du temps.
Dans Guillaume Pujolle – La peinture, un lieu d’être, Blandine Ponet part sur les traces de Guillaume Pujolle (1893-1971) qui fut menuisier, douanier, mais aussi peintre. Il fut interné une grande partie de sa vie à l’asile de Braqueville, devenu l’hôpital Gérard Marchant, à Toulouse ; c’est de ce lieu qu’est partie Blandine Ponet, où elle-même a travaillé comme infirmière en psychiatrie. De là, elle tire les fils de la complexe destinée de l’artiste, ce qui l’entraîne aussi à se pencher sur l’histoire de la psychiatrie, du surréalisme, de l’art brut ou de la dévastatrice première guerre mondiale. Telle est sa manière de lutter contre « l’oubli, l’immobilisme, l’absence d’histoire, l’ordre et la routine ».
« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »
C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.
Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».
« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».
Selon les anciens, pour faire un grand peintre, il fallait trois conditions : élévation de l’esprit, liberté du pinceau, connaissance des choses. Trouver un artiste qui remplit une de ces conditions est déjà rare. Or, dans la vieille ville d’Edo, vivait un artiste nommé Hokusai (« Atelier du Nord ») qui les remplissait toutes à merveille. Si Hokusai sait camper une scène de société avec vivacité, s’il saisit avec une rapidité fulgurante toutes sortes de phénomènes, s’il plonge avec humour dans les fantasmes, c’est peut-être dans les grands paysages qu’éclate son génie à la fois extravagant et serein.
On connaît Géricault pour ses peintures de chevaux transis par la foudre, pour ses portraits d’enfants les plus troublants de l’art français, pour ses têtes de fous qui n’ont aucun équivalent dans l’histoire de la peinture, et pour son immense tableau révolutionnaire et moderne, Le Radeau de la Méduse, chef-d’œuvre du Romantisme et protestation de la vie jusque dans la mort. On sait aussi que sa vie fut brève et fulgurante, son œuvre inachevée mais géniale, et que sa mémoire fut révérée par tous les artistes du XIXe siècle.
Mais on ne savait pas ce que Jérôme Thélot montre ici, que Géricault fut en outre un penseur, aussi grand qu’il fut grand artiste.
Avec Magritte ne pourrait mieux porter son titre. Réunissant en 1977, dix ans après la mort du peintre, les écrits qu’il lui avait consacrés entre les années 1940 et 1960, Louis Scutenaire immortalisait là une complicité de quarante ans, entre compagnonnage et « copinage ».
Il l’avait écrit à Heller : « Si vous tenez propre ce tableau, il restera cinq cents ans propre et frais… » Dürer donne rendez-vous en l’an 2000. À présent que nous sommes à l’échéance annoncée, que reste-t-il à écrire de Dürer ? Interroger ce reste : chacun peut y aller de sa compilation.
Il n’en fallait pas moins un cartographe habile pour resituer ainsi dans notre ciel le riche amas de la galaxie Dürer à cinq siècles de distance, et combiner sous nos yeux les lignes de sa constellation maîtresse : le Burin du graveur.
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
Moi je connais mon pays et je le peins. Allez-y voir, vous reconnaîtrez mes tableaux. (Gustave Courbet)
La voiture du paysage : c’est ainsi que Courbet désignait la carriole entraînée par l’âne Gérôme – du nom de son rival bonapartiste de Vesoul – à travers les paysages de son Jura natal. Munis d’une voiture tant soit peu plus puissante, l’écrivain François Laut et le photographe Lin Delpierre ont parcouru les plateaux et vallées de ce qui fut à la fois le terrain de son enfance, son « atelier ouvert » et, étendu à la Suisse, sa terre d’exil.
Aux cinq séries de huit photographies, regard contemporain sur le territoire pictural d’un peintre du XIXe siècle, répondent autant de textes qui élargissent le champ en puisant d’abondance aux écrits et aux peintures de Courbet. Le Jura y agit comme révélateur des nombreuses vies du peintre, des plus éclatantes aux moins connues.
« Le silence nous porte à la contemplation, à l’écoute de l’inouï. S’il me fascine, c’est que je sais qu’il m’attend quelque part. S’il fait mine d’être muet, peut-être nous écoute-t-il ? Il n’est pas le vide, il est plein de lui-même. Il s’écrit par la ponctuation, il bat entre les mots. Constitutif de la musique, il est audible. Il se donne à voir par le dépouillement en peinture ou par les arrêts entre nos gestes. Il doit être photographiable ; certains y sont déjà parvenus. Oui, photographier le silence qui ne réclamerait plus les mots qui m’envahissent et me débordent si souvent. »
Les images rapportées par Patrick Bogner de ses incursions aux abords du cercle arctique, dans les Orcades, les Féroé, à Saint-Kilda, en Islande ou en Norvège, mettent en scène le sublime écrasant de paysages déserts et déchaînés, inhabitables, où l’homme, fatalement de passage, vient rechercher un face-à-face avec des forces qui l’excèdent.
Inspiré par le romantisme primitif du Sturm und Drang, le photographe reprend ainsi l’ambition de Caspar David Friedrich : celle d’une peinture de paysage capable – si tempétueuse, heurtée et accablante qu’elle soit – de susciter la même contemplation que les images sacrées.
Jean-Jacques Gonzales se déclare photographe à la manière des Primitifs pour qui le recueil et la conservation d’une image du monde constituaient la merveille. Son projet est de retrouver cette émotion originaire en contrecarrant l’effacement progressif des traces du médium dans son « perfectionnement » sans fin et de sa solidarité ontologique avec le monde abolie aujourd’hui par l’instantané numérique. S’impose alors une tâche pour la photo-graphie : celle d’être une « graphie » au sens non pas d’une écriture déployée par un « vouloir-dire » de l’artiste ou par l’affirmation des puissances de la technique, mais en son sens premier de recueil d’une griffure, d’une trace, d’une marque, d’une impression sensible reçue du motif, pour libérer les puissances qui s’y réservent.
Lutter contre le premier rendu de la prise de vue, le déporter hors de son évidence native par le travail patient de l’atelier, le dé-faire, le désécrire selon les termes de Jérôme Thélot dans l’essai qui ouvre cette monographie, est le travail auquel s’astreint Jean-Jacques Gonzales : « C’est un travail du négatif qui vient à perturber, à désécrire les constructions optiques de l’appareil pour ouvrir l’image finale à la réalité du motif et à sa présence même. » Il s’ensuit dans cette œuvre une poésie de la présence, dans laquelle toute réalité profonde s’offre et se dérobe à la fois, proche et lointaine, évidente et retirée, et qui ne peut être ralliée qu’au prix d’un effort radical contre toute rhétorique de l’image.
Premier ouvrage consacré à l’œuvre photographique de Nathalie Savey, qui reproduit ses principales séries accompagnées de poèmes et proses de Philippe Jaccottet qui accompagnent et éclairent son travail. Trois études inédites par Héloïse Conésa, Michel Collot, Yves Millet.
Marelle est un recueil de poèmes cliniques. Psychologue clinicienne et psychanalyste, Julia Peker exerce dans un Centre Médico-Psychologique où elle reçoit enfants et adolescents. Chacun des poèmes de ce recueil reprend une consultation menée avec un enfant. Il ne s’agit pas de restituer un tableau clinique, mais de rendre hommage à la singularité de chaque rencontre. Dans sa lecture de Marelle, le poète Jean-Louis Giovannoni remarque que l’écriture de Julia Peker « travaille directement avec les parts invisibles de notre psychisme, non seulement celles qui nous fondent, mais aussi celles avec lesquelles nous envisageons le monde et notre rapport aux autres ». Marelle est un livre de poésie qui nous rappelle « qu’il faut d’abord réparer ce qui est blessé en profondeur ; bricoler s’il le faut du provisoire, bouger même si c’est de peu, et surtout tenir dans le temps… pour que le chant puisse un jour reprendre ».
Préface de Jean-Louis Giovannoni
Dessins d’Ena Lindenbaur
Nous qui nous apparaissons trace une voie dans l’inconnu, dans la nuit des sombres temps. Pour affronter cette nuit, Gérard Haller invoque la compagnie des poètes qui lui sont chers, comme Nelly Sachs et Paul Celan, dont une formule aussi obscure que limpide est placée en exergue : « vers nous et devant nous et vers nous ». C’est ce battement qui scande Nous qui nous apparaissons, comme il scande tout cheminement dans l’inconnu.
Écrire, photographier : deux façons de se tenir au bord du monde.
C’est ce bord, immémorial et intime, que le photographe Alain Willaume arpente, dont il relève obstinément les traces et fait retentir l’écho. Et c’est là que l’accompagne, par moments, depuis plus de trente ans le poète Gérard Haller.
Face’s End est né de cette compagnie à éclipses, éphémère et fidèle.
Livre à deux cette fois – deux écoutes, deux regards. Mais, d’un phrasé sur image à l’autre, un seul et même poème. Un film au ralenti. Le temps devant chaque image de la laisser entrer en résonance et s’ouvrir, se diffracter, nous exposer ainsi à la nuit du monde qui nous précède comme à l’inouïe aurore qu’elle appelle.
C’est un livre dont il est plus facile et plus tentant de dire ce qu’il n’est pas que ce qu’il est : d’abord parce qu’il est singulier, étrange et peut-être unique en son genre ; ensuite pour éviter à son lecteur d’être déçu pour de mauvaises raisons. Loin de lui tout « projet », tout « message », toute arrière-pensée. Il est tout entier à ce qu’il raconte, n’a pas le temps et l’espace de nous adresser des clins d’œil, et pour cause : ce qu’il relate est la vie même, dans ce qu’elle a de beau, d’embêtant et de déchirant. C’est un roman qui n’a pas d’autre beauté que de conter un destin qui nous touche ; mais cette beauté-là, il l’a toute. On ne peut mieux plaider en sa faveur qu’en demandant de lui faire confiance. Il le mérite, et on ne le regrettera pas.
« Que lisez-vous ? »
Alexandre Hollan
Jérémy Liron
Clémentine Margheriti
Gérard Titus-Carmel
« Pourquoi écrivez-vous sur l’art ? »
François Dilasser
Alexandre Hollan
Ann Loubert
Monique Tello