De Simon Hantaï (1922-2008), on ne retient habituellement que les peintures éclatantes nées à partir de 1960 du « pliage comme méthode » et son attitude, si hors du commun aujourd’hui, de repli silencieux à l’égard du monde de l’art et de son marché. Cela revient à occulter un peu vite que son œuvre s’élabore à Paris dès 1948 et qu’elle a été régulièrement accompagnée de déclarations et de prises de position parfois polémiques constituant dans leur ensemble un constant effort de saisie par la pensée de ce qui est arrivé par la peinture.
Nourrie de sa fréquentation des peintres, poètes ou philosophes amis, des surréalistes amis puis ennemis, des œuvres passées et de celles toujours présentes de Cézanne, de Pollock, de Matisse et aussi de Michaux, son interrogation stupéfaite de l’art nous est un guide précieux pour lire sa peinture.
Ce recueil de textes et entretiens rares ou inédits de 1953 à 2006 permet de reconstituer les multiples fils de cette pensée qui s’élabore à même la matière picturale.
Ce volume réunit un ensemble d’entretiens et de textes écrits par Bernard Moninot depuis sa première exposition en 1971, à l’âge de 21 ans, jusqu’à aujourd’hui.
Cette œuvre est celle d’un inventeur de formes à la fois savantes et oniriques. Sa parenté avec l’univers des sciences et des techniques exprime la complicité qui peut lier l’art à la science, quand celui-ci est animé par un sens constant d’une recherche spéculative qui se confond avec la traque, non du visible lui-même, mais des forces physiques invisibles qui le forment.
Édition établie et préfacée par Renaud Ego.
La pensée d’Oskar Kokoschka, telle qu’il la développe dans ses écrits, semble s’organiser autour d’une intuition fondamentale : « Façonner une réalité, telle est la vocation de l’homme. »
On trouvera, dans ce recueil, conçu par l’artiste en 1975, ici traduit pour la première fois, sous-titré « Articles, discours et essais sur l’art » et consacré à des sujets aussi divers que les fresques de Pompéi, la peinture médiévale allemande, les autoportraits de Rembrandt, le courant baroque en Bohème, l’expressionnisme d’Edvard Munch ou l’art italien d’après 1945, l’exposé systématique d’une prise de position à la fois esthétique, historique, politique, géopolitique, économique, écologique, sociale, philosophique et religieuse : en postulant la centralité de l’art dans l’existence humaine, Kokoschka affirme sans ambages l’unicité tous de ces questionnements. Développées et réaffirmées d’essai en essai avec une obstination qui n’a rien de fastidieux, ses positions présentent une cohérence remarquable et peuvent presque se déduire les unes des autres, tant s’y exprime le désir d’opposer une « Weltanschauung », une vision du monde, à ce qui est présenté comme la débâcle du siècle.
Sélection, réalisée en collaboration avec l’artiste, d’écrits et d’entretiens s’échelonnant de 1961 à aujourd’hui – d’une ampleur, donc, parfaitement inédite. Une chance pour le spectateur, non pas sans doute de connaître le fin mot d’une peinture résolument exigeante et coriace, mais de savoir sur quel pied l’aborder pour lui offrir une résonnance maximale.
En effet, Baselitz semble être resté fidèle à son principe, adopté très tôt – en même temps que sa fameuse méthode consistant à peindre ses motifs à l’envers afin de les vider de leur contenu –, de ne proposer dans ses tableaux autarciques que de purs et inouïs problèmes de peinture.
Le point commun à ces textes, à la fois nouvelles et brefs essais, est la familiarité, l’intimité dans lesquelles JEAN-LOUIS BAUDRY y apparaît avec les œuvres d’art et avec les artistes, jusqu’à ce que cette relation devienne une façon de vivre et de voir le monde à travers la création artistique.
Il est rare, et tellement stimulant, de pouvoir se laisser entraîner par une lecture où le commerce avec l’art appartient de façon si subtile, si émouvante, au registre de l’autobiographie, là où se mêlent mémoire et imagination, là où les artistes réels et leurs œuvres cohabitent avec les artistes et les œuvres inventés par la littérature et appartenant à la fiction. Les intuitions de l’auteur, sa sensibilité, les mouvements de sa pensée, s’imposent avec le naturel souverain de la chose directement ressentie, vécue. La profondeur de ses analyses, de ses découvertes, tient paradoxalement à cette qualité de légèreté – à l’opposé du superficiel ou du frivole – qui se joue des coquetteries de l’étude académique et des entraves des protocoles savants.
Dans le bonheur de cette écriture, se réalise cet alliage si précieux du réel et de l’imaginaire, de la sensibilité et de la pensée, qu’on appelle la poésie.
L’ensemble des textes écrits par Maryline Desbiolles (parus pour la plupart dans des catalogues ou revues, ou inédits) sur l’art, autour de l’art, à partir de l’art est ici réuni : une première partie rassemble les approches les plus réflexives sur la création ; dans le second chapitre les textes s’articulent autour de deux thématiques chères à l’auteur : l’Italie, la cuisine ; le troisième chapitre réunit les essais et poèmes consacrés aux sculptures de Bernard Pagès ; sont ensuite regroupés les essais consacrés à des artistes ou des œuvres ; le volume se clôt enfin sur des œuvres de fiction dont l’élément déclencheur de l’écriture fut la fréquentation d’œuvres plastiques.
Entrer sans effraction dans la vérité de leur monde. Prendre langue avec. À la lettre sans heurt. S’ouvrir au registre des lieux dans le foyer des couleurs la géométrie du trait l’élan des volumes le geste d’espace. Pénétrer l’écran des neiges celles de l’œil tenu dans son blanc. Incapable de se grandir avant que de se regarder par le dedans. Une attente en allée vers leur monde depuis là.
Poèmes et essais à propos des œuvres de Charles Belle, Véronique Dietrich, Jean-Louis Elzéard, Ann Loubert…
Réédition, en fac-similé, du chef d’œuvre de Gaëtan Picon, augmentée d’un cahier d’études critiques inédites par Yves Bonnefoy, Agnès Callu, Francis Marmande, Philippe Sollers, Bernard Vouilloux.
Le dialogue entre Olivier Cena, journaliste, et Gérard Traquandi, peintre, s’ouvre à Venise, au cœur des merveilles de l’architecture italienne et à quelques pas du fourmillement de la Biennale d’art contemporain. Un semblable contexte, riche en significations esthétiques, sociales et politiques, est le point de départ d’une discussion libre qui aborde tour à tour les questions de la mondialisation et de la démocratisation de l’art contemporain, aussi bien que celle, déterminé par la problématique écologique, du rapport de la peinture à la nature, aux êtres et aux choses qui peuplent la terre.
« Il n’y a pas de commencement. Ce que l’on nomme l’œuvre n’a ni commencement ni fin, voilà ce que dit d’abord le peintre. » Ainsi commence sans commencer le dialogue en spirales entre l’écrivain Marc Le Bot et le peintre Leonardo Cremonini, Les parenthèses du regard que les deux auteurs avaient dédié à Gaëtan Picon. Repris en fac-similé, il est accompagné d’autres essais par lesquels Marc Le Bot tente d’approcher « l’irréductible énigme » de la peinture figurative et métaphysique de Leonardo Cremonini.
Dans la monographie qu’il a consacrée en 2016 à Frédéric Benrath, Pierre Wat notait très justement que la peinture est vécue chez ce dernier « comme un art épistolaire et amical ». Mais ce caractère « adressé » de l’aventure picturale de Benrath fut également prolongé – ou redoublé – par l’intense correspondance écrite dont il ne cessa de l’accompagner tout au long de sa vie. « Cette correspondance qui s’établit entre nous, écrit Benrath le 20 juillet 1975, ces lettres établissent vraiment une “correspondance” entre nos pensées affectives et nos idées sur les choses et les gens, sur l’art et la littérature. Cela est très important, tu le sais puisque tu réponds si bien ». Mais, comme le dira Michèle (ou Alice) dans une lettre du 29 décembre 1980, à un moment où elle prend un peu plus d’indépendance, « T’écrire, c’est aussi écrire » : le destinataire tend à disparaître et à être absorbé dans l’acte d’écriture auquel il a pourtant servi de point de départ.
Cet ouvrage réunit la correspondance du marchand d’art Pierre Matisse et du peintre Joan Miró, entre 1933 et 1983. Reflets d’une relation aussi bien professionnelle qu’amicale entre les deux hommes, les lettres échangées donnent une vision particulière du monde de l’art. Les déclarations d’amitié y côtoient les tensions entre marchands, les réflexions de l’artiste se mêlent aux évocations plus intimes. De la description des œuvres réalisées par Miró, jusqu’à la mise en place des expositions, les échanges retracent les différentes étapes d’une production artistique foisonnante qu’il faut défendre au mieux. Car pour permettre à Miró d’émerger aux États-Unis, Pierre Matisse le dit bien, il faut « ouvrir le feu ».
Tableaux de couples nus s’ébattant dans des cieux pastel. Sculptures copulatoires de corps en suspension dans l’air. Reliquaires présentant des figures d’anges sexués, armés de fusils mitrailleurs. Là-dessus, des vaisseliers, des autels domestiques, des oratoires… Visiter le « garde-meuble » de Jean Claus, c’est, d’évidence, s’aventurer dans l’inclassable. Car cet art, qui assume avec malice l’inactualité de ses sujets, puisés dans un répertoire qui serait celui des Métamorphoses, de la grande peinture des XVIe et XVIIe siècles et du premier romantisme, est en même temps on ne peut plus contemporain dans le choix de son principal matériau, la pâte polyester, et affirme de la sorte un sens du décalage tourné contre l’époque aussi bien que contre lui-même. Et de fait, face aux « amphigouris », écritures indéchiffrables reportées sur le socle des statues, face aux titres abracadabrantesques des tableaux, face, surtout, à l’ironique légèreté de cette œuvre, c’est au tour du spectateur d’en perdre son latin.
En 2008 le peintre Farhad Ostovani découvre une sculpture de Bacchus dans un jardin à Nervi — bien que fort endommagée, c’est un émerveillement pour l’artiste qui réalisera une suite de plus de 40 œuvres : des portraits de ce jeune homme peints et dessinés sur une base photographique.
Cet ouvrage réunit l’ensemble des œuvres réalisées, ainsi que, en sus d’un texte de l’artiste contant son rapport à ce Bacchus, deux essais d’Alain Lévêque et Madeleine-Perdrillat.
Datés des années 1927 à 1946, les vingt agendas de Pierre Bonnard qui nous sont parvenus couvrent presque, au jour le jour, les vingt dernières années de sa vie. Ils offrent donc un éclairage jusqu’à présent inédit sur la recherche quotidienne d’un peintre en sa dernière maturité. En regard du relevé bref et assidu du temps qu’il fait, de la qualité de la lumière et des lieux visités, Bonnard, inlassablement, dessine au crayon de papier ce qu’il voit, silhouettes, visages, gestes, objets, paysages. Autant d’esquisses qui préfigurent les motifs et la composition de certaines grandes peintures.
Le dessin c’est la sensation. La couleur c’est le raisonnement. Si cette observation de l’artiste nous renseigne sur une méthode qui s’alimente aussi bien aux visions les plus soudaines qu’au lent travail de l’atelier, le présent livre constitue bien une révélation.
Recueil complet des essais du poète Yves Bonnefoy sur le peintre Alexandre Hollan : 30 ans de réflexions.
« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »
C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.
Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.
À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».
« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».
Selon les anciens, pour faire un grand peintre, il fallait trois conditions : élévation de l’esprit, liberté du pinceau, connaissance des choses. Trouver un artiste qui remplit une de ces conditions est déjà rare. Or, dans la vieille ville d’Edo, vivait un artiste nommé Hokusai (« Atelier du Nord ») qui les remplissait toutes à merveille. Si Hokusai sait camper une scène de société avec vivacité, s’il saisit avec une rapidité fulgurante toutes sortes de phénomènes, s’il plonge avec humour dans les fantasmes, c’est peut-être dans les grands paysages qu’éclate son génie à la fois extravagant et serein.
On connaît Géricault pour ses peintures de chevaux transis par la foudre, pour ses portraits d’enfants les plus troublants de l’art français, pour ses têtes de fous qui n’ont aucun équivalent dans l’histoire de la peinture, et pour son immense tableau révolutionnaire et moderne, Le Radeau de la Méduse, chef-d’œuvre du Romantisme et protestation de la vie jusque dans la mort. On sait aussi que sa vie fut brève et fulgurante, son œuvre inachevée mais géniale, et que sa mémoire fut révérée par tous les artistes du XIXe siècle.
Mais on ne savait pas ce que Jérôme Thélot montre ici, que Géricault fut en outre un penseur, aussi grand qu’il fut grand artiste.
Avec Magritte ne pourrait mieux porter son titre. Réunissant en 1977, dix ans après la mort du peintre, les écrits qu’il lui avait consacrés entre les années 1940 et 1960, Louis Scutenaire immortalisait là une complicité de quarante ans, entre compagnonnage et « copinage ».
Il l’avait écrit à Heller : « Si vous tenez propre ce tableau, il restera cinq cents ans propre et frais… » Dürer donne rendez-vous en l’an 2000. À présent que nous sommes à l’échéance annoncée, que reste-t-il à écrire de Dürer ? Interroger ce reste : chacun peut y aller de sa compilation.
Il n’en fallait pas moins un cartographe habile pour resituer ainsi dans notre ciel le riche amas de la galaxie Dürer à cinq siècles de distance, et combiner sous nos yeux les lignes de sa constellation maîtresse : le Burin du graveur.
Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.
Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.
Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.
L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.
Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]
Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.
En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
Moi je connais mon pays et je le peins. Allez-y voir, vous reconnaîtrez mes tableaux. (Gustave Courbet)
La voiture du paysage : c’est ainsi que Courbet désignait la carriole entraînée par l’âne Gérôme – du nom de son rival bonapartiste de Vesoul – à travers les paysages de son Jura natal. Munis d’une voiture tant soit peu plus puissante, l’écrivain François Laut et le photographe Lin Delpierre ont parcouru les plateaux et vallées de ce qui fut à la fois le terrain de son enfance, son « atelier ouvert » et, étendu à la Suisse, sa terre d’exil.
Aux cinq séries de huit photographies, regard contemporain sur le territoire pictural d’un peintre du XIXe siècle, répondent autant de textes qui élargissent le champ en puisant d’abondance aux écrits et aux peintures de Courbet. Le Jura y agit comme révélateur des nombreuses vies du peintre, des plus éclatantes aux moins connues.
« Le silence nous porte à la contemplation, à l’écoute de l’inouï. S’il me fascine, c’est que je sais qu’il m’attend quelque part. S’il fait mine d’être muet, peut-être nous écoute-t-il ? Il n’est pas le vide, il est plein de lui-même. Il s’écrit par la ponctuation, il bat entre les mots. Constitutif de la musique, il est audible. Il se donne à voir par le dépouillement en peinture ou par les arrêts entre nos gestes. Il doit être photographiable ; certains y sont déjà parvenus. Oui, photographier le silence qui ne réclamerait plus les mots qui m’envahissent et me débordent si souvent. »
Les images rapportées par Patrick Bogner de ses incursions aux abords du cercle arctique, dans les Orcades, les Féroé, à Saint-Kilda, en Islande ou en Norvège, mettent en scène le sublime écrasant de paysages déserts et déchaînés, inhabitables, où l’homme, fatalement de passage, vient rechercher un face-à-face avec des forces qui l’excèdent.
Inspiré par le romantisme primitif du Sturm und Drang, le photographe reprend ainsi l’ambition de Caspar David Friedrich : celle d’une peinture de paysage capable – si tempétueuse, heurtée et accablante qu’elle soit – de susciter la même contemplation que les images sacrées.
Jean-Jacques Gonzales se déclare photographe à la manière des Primitifs pour qui le recueil et la conservation d’une image du monde constituaient la merveille. Son projet est de retrouver cette émotion originaire en contrecarrant l’effacement progressif des traces du médium dans son « perfectionnement » sans fin et de sa solidarité ontologique avec le monde abolie aujourd’hui par l’instantané numérique. S’impose alors une tâche pour la photo-graphie : celle d’être une « graphie » au sens non pas d’une écriture déployée par un « vouloir-dire » de l’artiste ou par l’affirmation des puissances de la technique, mais en son sens premier de recueil d’une griffure, d’une trace, d’une marque, d’une impression sensible reçue du motif, pour libérer les puissances qui s’y réservent.
Lutter contre le premier rendu de la prise de vue, le déporter hors de son évidence native par le travail patient de l’atelier, le dé-faire, le désécrire selon les termes de Jérôme Thélot dans l’essai qui ouvre cette monographie, est le travail auquel s’astreint Jean-Jacques Gonzales : « C’est un travail du négatif qui vient à perturber, à désécrire les constructions optiques de l’appareil pour ouvrir l’image finale à la réalité du motif et à sa présence même. » Il s’ensuit dans cette œuvre une poésie de la présence, dans laquelle toute réalité profonde s’offre et se dérobe à la fois, proche et lointaine, évidente et retirée, et qui ne peut être ralliée qu’au prix d’un effort radical contre toute rhétorique de l’image.
Premier ouvrage consacré à l’œuvre photographique de Nathalie Savey, qui reproduit ses principales séries accompagnées de poèmes et proses de Philippe Jaccottet qui accompagnent et éclairent son travail. Trois études inédites par Héloïse Conésa, Michel Collot, Yves Millet.
André du Bouchet est l’un des poètes français les plus singuliers et les plus marquants de la seconde moitié du XXe siècle. Michel Collot explore ici les principales étapes de son itinéraire poétique et les divers aspects de son œuvre. Il l’a placée sous le signe d’une « écriture en marche », étroitement liée à un parcours de l’espace, que révèle le travail des carnets, à une pratique singulière de la traduction, et au dialogue avec des poètes admirés comme Hölderlin, Reverdy, ou Celan. Il interroge ensuite le rapport qu’André du Bouchet a entretenu de longue date avec la peinture, notamment avec celles de Giacometti et de Tal Coat : elle a puissamment contribué à infléchir son écriture et sa relation au monde, en le rendant particulièrement attentif à la matière des mots et des choses et à la mise en page de ses textes.
« Notre face à face avec les bêtes est une partie de cache-cache. Nous nous contentons de les voir disparaître, et faute de mieux, nous les mangeons, en signe de reconnaissance. Chacun de son côté. »
Que le lecteur prête l’oreille au grincement de ce coup d’archet d’initial. Comme le laisse deviner son titre suggestif, ce livre, sacrifiant à l’hommage animalier, y sacrifie selon ses termes. On s’en assurera en tournant la page et en découvrant aussitôt un éloge de la cochonnaille – en découvrant, surtout, que Vincent Wackenheim est fabuliste, et que les « bestioles », c’est aussi nous.
Est-ce un hasard si le nom de La Fontaine paraît dès l’ouverture ? Non. Car ce recueil de textes courts tous inclassables, qui pourrait être sous-titré Pastiches et mélanges, est empreint à chaque mot d’un esprit moraliste, ironique, vivace, acide, truculent, égrillard et d’un amour sensible des choses de lettres et d’esprit que d’aucuns rattacheraient au génie français depuis Rabelais, sinon au génie alsacien depuis Sébastian Brant.
On y trouvera entre autres une façon de monographie sur la passion de Jean Paulhan pour les tatous, un essai attentif sur le bestiaire d’Albrecht Dürer, une observation zoologico-littéraire de la pieuvre chez Victor Hugo. On y trouvera un revival de la chanson de geste (« La Grande Guerre des volatiles ») en pas moins de trois épisodes, et puis une exhumation consciencieuse de recettes carnivores du XIXe siècle. On y trouvera encore l’édifiante idylle de l’humaine Madame Roll et du poissonneux Monsieur Mops ; la très-morale histoire de l’adoption d’une girafe par un ménage parisien ; un satirique récit de week-end entre amis qui dégénère en pugilat de rhinocéros. – On trouvera donc, partout dans Bestioles, en la piquante compagnie des dessins de Denis Pouppeville, un régal bien saignant de langue et une intelligence mordante.
« J’aime (ce mot est inexact) votre œuvre ; je m’explique tout par elle. J’aurais voulu en témoigner. » (Christian Prigent à Francis Ponge)
Francis Ponge a soixante-dix ans lorsque, en août 1969, il reçoit d’un étudiant de Rennes un mémoire consacré à son œuvre. Cet étudiant, c’est Christian Prigent, alors âgé de vingt-trois ans et fondateur de la tout nouvelle revue TXT. L’un espère faire reconnaître définitivement la modernité de son œuvre et lui assurer des héritiers ; l’autre, cherchant son écriture, évolue très vite sur le plan esthétique et idéologique. Et Tel Quel n’est pas loin.
Correspondance entre un « grand écrivain » et un « jeune homme », selon les termes dans lesquels s’institue l’échange, cette suite d’une centaine de courriers adressés entre 1969 et 1986 a cependant bien peu en commun avec les Lettres à un jeune poète, et documente surtout notre histoire littéraire récente. Elle éclaire la réception d’une œuvre qui entend incarner « un apport aussi radical (pour le moins !) que celui d’Artaud ou de Bataille à la mutation en cours » et témoigne de l’effervescence intellectuelle et politique de l’après-68, laquelle sera la cause majeure de la rupture entre les deux hommes.
Transmission ambiguë au-delà d’un fossé générationnel ? Tel est peut-être ce que donnent à voir ces lettres. Ou, pour reprendre l’expression de Benoît Auclerc : « relation enragée ».
À l’appel d’une voix chère, une femme se réveille dans une chambre d’hôpital. Elle se met en chemin. Dehors, le monde sort d’un cataclysme ; la vie reprend ses droits, parcimonieuse, précaire. Guidée par son intuition et le désir de retrouver une présence qu’elle n’a peut-être que rêvée, cette femme amnésique gagne la campagne, fait de brèves rencontres, s’endort dans une forêt. Son voyage, de station en station, prend une allure initiatique.
La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries, aux noms empreints d’une sourde mélancolie, comme ses Tentatives d’épuisement, ses Images inquiètes, ou ses Absences. Les Archives du désastre, qui comptent aujourd’hui près de 400 pièces de modeste format et auxquelles sont consacrées ce volume, sont l’une d’entre elles. Elles recueillent un ensemble de figures spectrales, dessinées à la craie noire, puis voilées d’une couche de peinture vert de Hoocker. Elles sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. Préface de Lionel Bourg ; entretien avec Anne Favier.
Reproduction en fac-similé d’une série de vingt aquarelles — des couchers de soleil — de l’artiste Ann Loubert, accompagnées de deux poèmes de Jacques Moulin.
(Ouvrage au tirage limité, uniquement vendu auprès de nos éditions.)
Au Pont du Diable est le résultat d’un moment de pause. Pause d’un artiste, venu au bord de l’eau aux heures les plus chaudes de la journée, pour voir les gens s’y prélasser. Alexandre Hollan ne reste pourtant pas inactif. Fusain à la main, il réalise des croquis de ces êtres rassemblés là. Un seul trait, modulé en quelques courbes, suggère les corps, les visages, sans fond ni perspective. Les modèles ne posent pas, ils se laissent saisir par l’œil de l’artiste comme ils sont, sans chercher à paraître. Et de la même façon, pas de pose artistique dans les croquis. Il s’agit simplement de saisir la vie telle qu’elle se donne à voir.
Catalogue de l’exposition des œuvres d’Ann Loubert & Clémentine Margheriti à la Halle Saint-Pierre, à Paris, du 14 octobre au 2 novembre 2014.