Écrits d’artistes

On connaissait Markus Lüpertz comme peintre et comme sculpteur ; on le découvrira ici poète, orateur, essayiste. Aussi ancienne que sa pratique de la peinture, fruit de la même exigence portée avec la même vigueur, son œuvre d’écrivain réclame d’être lue à part – quoique l’écrivain en question s’affirme peintre corps et âme.
Cette apparence de paradoxe, entre autres « affirmations », le lecteur pourra l’approfondir au fil de cette sélection de textes écrits sur près de soixante ans, dans lesquels Lüpertz, en adepte du mystère, s’avance tour à tour sous le masque d’Orphée, du « rejeton de philosophe » et du peintre franc-tireur, faisant valoir avec une constance implacable sa vérité. Comme il le dit lui-même : faites-vous à moi, il n’y a pas d’autre moyen / il n’y pas de remède contre moi / je suis comme la pluie / je fais qu’en vous les fleurs fleurissent / que la terre respire, que le monde en vous vous paraisse supportable.
Préface d’Éric Darragon. Traduction de Régis Quatresous.

Carnets d’atelier 1975-1990 ; Textes 1979-2000 ; Entretiens 1984-2014
Réunissant d’une part carnets, d’autre part textes et entretiens dont l’écriture ou la parution s’échelonnent des années 1970 à aujourd’hui, Le Temps de peindre jette sur l’œuvre de la peintre Monique Frydman un éclairage neuf par son ampleur, sa densité et sa profondeur. C’est en effet le premier mérite de ce volume en deux volets, doublement préfacé et enrichi de cahiers iconographiques importants, que de proposer au lecteur une approche croisée de ce travail dans lequel l’écriture, avant, pendant, après, joue un rôle constitutif, ne serait-ce qu’en permettant à l’artiste de « rationaliser par la parole » ce qui advient dans sa peinture.

« Observations sur la peinture » : ce titre vient de Bonnard lui-même, qui, à la fin de sa vie, sans les dater, composa un mince florilège de ses notes. Aujourd’hui replacées dans l’ordre chronologique, augmentées d’inédites, assorties même de reproductions de pages d’agendas, les notes ici réunies, qui s’échelonnent sur presque vingt années (1927-1946), sont une révélation.

Tous les jours pendant plus de deux ans, Thieri Foulc s’est astreint à l’écriture d’une « peinture non peinte », texte court qui résume une idée de tableau dont le principal intérêt – dixit l’auteur – est justement de ne pas être réalisée, de rester à l’état de fulgurance, de « projet », dans un élan interrompu en direction de la peinture. Discipline hybride, donc, qui croise verbal et pictural, et joue de cette allégeance double comme d’un moyen de ne s’en tenir à aucune.

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Essais sur l’art

Trois peintres de la Figure est le deuxième volume de la suite Proximité du tableau, initiée en 2021 par le philosophe Paul Audi, dont l’œuvre est en grande partie consacrée à mieux cerner les questions éthiques complexes qui hantent les arts en régime de modernité. Je ne vois que ce que je regarde, le premier volume paru chez Galilée, cherchait à décrire « le miraculeux de la présence » qui peut naître de la rencontre entre un regard et un tableau. Dans ce deuxième volume, ce miraculeux a pour nom « Figure ». La Figure est ce qui émerge quand a lieu une rencontre avec un tableau, cette « entité imaginale qui me regarde ». Pour comprendre les conditions de cette fragile émergence, Paul Audi prête ici une attention passionnée aux œuvres de trois peintres contemporains : Eugène Leroy, Paul Rebeyrolle et Ronan Barrot.

Figures disparues , vol.2
En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation de la figure humaine héritées de la Renaissance ? Dans quelle mesure cette rupture s’est-elle logée dans le discours moderniste au point, désormais, d’y passer en partie inaperçue ? L’art contemporain est-il un art qui se situe simplement après Auschwitz ou bien est-il, de manière plus complexe, un art d’après l’événement ?
Telles sont quelques-unes des questions qui donnent a cette Histoire de l’art d’après Auschwitz ses principales orientations. À bien des égards, en proposant une relecture critique des fondements de la modernité artistique et une généalogie de l’art contemporain, cette vaste étude se veut donc aussi une contre-histoire de l’art.

« L’anonymat est un combat » disait Jean Clay. Une discrétion revendiquée plane sur l’existence et sur l’œuvre de celui qui a fondé les prestigieuses éditions Macula en 1980. Atopiques rassemble ses écrits sur l’art les plus importants, parus notamment dans les revues Robho et Macula qu’il a fondées avec une passion érudite, au fil des années 1960 à 1980. Des contributions des historiens de l’art Yve-Alain Bois et Thierry Davila en éclairent la portée théorique et historique.

« Je n’ai pas de théorie sur l’art. Quand j’écris sur un artiste, j’essaie de dire ce que j’ai vu, entendu et pensé dans l’atelier, devant les œuvres. » Fidèle à cette approche, Jean Frémon nous livre un témoignage précieux de ses rencontres avec les artistes et leur travail. Sa longue carrière de galeriste associée à son activité d’écrivain a permis à ce compagnonnage d’irriguer des écrits où se manifeste librement la fascination de l’auteur pour les peintres et sculpteurs qu’il fréquente, et d’exercer un regard vivant sur la création contemporaine.

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Esperluette

Le dialogue entre Olivier Cena, journaliste, et Gérard Traquandi, peintre, s’ouvre à Venise, au cœur des merveilles de l’architecture italienne et à quelques pas du fourmillement de la Biennale d’art contemporain. Un semblable contexte, riche en significations esthétiques, sociales et politiques, est le point de départ d’une discussion libre qui aborde tour à tour les questions de la mondialisation et de la démocratisation de l’art contemporain, aussi bien que celle, déterminé par la problématique écologique, du rapport de la peinture à la nature, aux êtres et aux choses qui peuplent la terre.

« Il n’y a pas de commencement. Ce que l’on nomme l’œuvre n’a ni commencement ni fin, voilà ce que dit d’abord le peintre. » Ainsi commence sans commencer le dialogue en spirales entre l’écrivain Marc Le Bot et le peintre Leonardo Cremonini, Les parenthèses du regard que les deux auteurs avaient dédié à Gaëtan Picon. Repris en fac-similé, il est accompagné d’autres essais par lesquels Marc Le Bot tente d’approcher « l’irréductible énigme » de la peinture figurative et métaphysique de Leonardo Cremonini.

Dans la monographie qu’il a consacrée en 2016 à Frédéric Benrath, Pierre Wat notait très justement que la peinture est vécue chez ce dernier « comme un art épistolaire et amical ». Mais ce caractère « adressé » de l’aventure picturale de Benrath fut également prolongé – ou redoublé – par l’intense correspondance écrite dont il ne cessa de l’accompagner tout au long de sa vie. « Cette correspondance qui s’établit entre nous, écrit Benrath le 20 juillet 1975, ces lettres établissent vraiment une “correspondance” entre nos pensées affectives et nos idées sur les choses et les gens, sur l’art et la littérature. Cela est très important, tu le sais puisque tu réponds si bien ». Mais, comme le dira Michèle (ou Alice) dans une lettre du 29 décembre 1980, à un moment où elle prend un peu plus d’indépendance, « T’écrire, c’est aussi écrire » : le destinataire tend à disparaître et à être absorbé dans l’acte d’écriture auquel il a pourtant servi de point de départ.

Cet ouvrage réunit la correspondance du marchand d’art Pierre Matisse et du peintre Joan Miró, entre 1933 et 1983. Reflets d’une relation aussi bien professionnelle qu’amicale entre les deux hommes, les lettres échangées donnent une vision particulière du monde de l’art. Les déclarations d’amitié y côtoient les tensions entre marchands, les réflexions de l’artiste se mêlent aux évocations plus intimes. De la description des œuvres réalisées par Miró, jusqu’à la mise en place des expositions, les échanges retracent les différentes étapes d’une production artistique foisonnante qu’il faut défendre au mieux. Car pour permettre à Miró d’émerger aux États-Unis, Pierre Matisse le dit bien, il faut « ouvrir le feu ».

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Squiggle

Grand peintre américain, mais aussi professeur de calligraphie et de typographie, Charles Pollock, frère aîné de Jackson Pollock, n’aura laissé que peu de traces de l’existence de son œuvre avant de mourir à Paris. Sa fille, Francesca, et son épouse Sylvia, mettront alors vingt années à rassembler, archiver, faire connaître son travail et sa vie voilés par le silence et la discrétion. Pour quoi et pour qui s’être effacé ? Quels sens donner aux toiles de Charles Pollock et à son silence ? Aiguillonnée par ces questionnements, Francesca Pollock entreprend de (re)nouer un dialogue avec le père qu’elle a perdu à l’âge de 21 ans. La parole, qui fut si rare entre eux, est alors délivrée au moyen d’une écriture à plusieurs voix, celle de l’auteure, celle de Charles Pollock qui affleure des correspondances, de ses écrits et entretiens, mais aussi celle des œuvres du peintre et de ses contemplateurs qui « parlent » bien plus que tout autre chose.

Ce texte traite de l’initiation à l’art, de la création, de la transmission et de la mémoire à travers l’évocation du couple de sculpteurs, Karl-Jean Longuet (1904-1981) et Simone Boisecq (1922-2012). Se jouant élégamment des codes de la monographie, le livre d’Anne Longuet-Marx, fille des artistes, est un hommage tendre à une saga familiale à laquelle, en digne héritière, elle confère la profondeur du temps et celle du sentiment. L’ouvrage se lira aussi bien comme un récit que comme une introduction à l’œuvre des deux artistes.

Quand j’ai lu la Vita nova de Dante pour la première fois, j’ai été frappé par la complexité intellectuelle du livre, enraciné dans la croyance médiévale en une relation entre l’amour sacré et l’amour profane, mais aussi par le fait que beaucoup de ces thèmes continuent de nous parler, aujourd’hui encore.
Je me suis concentré sur les significations qui, sous le titre du livre de Dante, évoquent la nature, et donc sur la venue du printemps lui-même : trente-trois œuvres accompagnent les trente-trois sonnets, en saisissant l’impression produite par les différents moments de la saison, depuis la toute première poussée végétale jusqu’au temps où la terre est toute recouverte par la vibrante vie nouvelle. (F.O.)

Ce livre collectif présente pour la première fois de manière exhaustive tout l’œuvre peint et dessiné de l’écrivain. On connaissait déjà par des expositions dans les années 70 et par des publications en revue (notamment le « Cahier du Temps qu’il fait » en 1991, certaines reproductions dans le « Quarto ») l’activité picturale de Louis-René des Forêts, à laquelle il s’est consacré durant plusieurs années alors qu’il avait cessé d’écrire. Mais on en avait jamais eu que des vues partielles, plus ou moins bien reproduites. C’est donc un manque que vient combler cette publication collective, en permettant de reproduire en grand format les soixante et une peintures de l’auteur et la totalité de ses dessins. L’ouvrage sert donc de catalogue raisonné de toute cette œuvre secrète pour la donner à voir de la façon la plus exacte et la plus agréable, de la découvrir enfin dans l’ampleur et l’originalité de ses compositions, dans la variété de ses réalisations plastiques.

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Phalènes

« Se pourrait-il qu’un événement soit ce moment si singulier qu’il prend forme et consistance dans le plus grand silence pour répondre en écho, secrètement, à bien d’autres moments […] et que tous forment alors, les uns pour les autres, et par les autres, une sorte de territoire, de constellation, où les appels deviennent accueils et les accueils appels ? »

C’est dans le sillage de tels événements fondateurs que nous entraine Franck Guyon. Au centre du récit, un événement pictural : la réalisation par Antonello de Messine d’une Vierge de l’Annonciation, à la fin du XVe siècle.

Récit d’une fascination et exploration d’une obsession, le texte de Yannick Haenel nous plonge dans la sollicitation invincible des nus peints par Pierre Bonnard. S’immergeant quotidiennement dans leurs couleurs, contemplant et comparant d’un œil altéré la vibration salutaire de leurs tons, l’auteur « perfectionn[e] [sa] soif ». De cette rencontre se libère l’écriture parmi la multiplication entêtante des corps qui étincellent.

À qui pense qu’on n’a plus grand-chose à voir ni à apprendre des peintures de Claude Monet, trop vues, trop interprétées, le court récit de Stéphane Lambert démontre le contraire. Il se donne à lire comme une tentative de regarder l’œuvre du peintre de Giverny depuis notre présent tragique : celui d’une « ère nucléarisée », d’un « champ de ruines à l’approche d’un possible anéantissement », d’un « après-paysage ». Dès lors, peut-être pourrons-nous entrevoir « dans la noirceur d’autres nuances que pure noirceur ».

« Peintre du lointain intérieur s’il en est », Édouard Manet incarne aux yeux de Gérard Titus-Carmel une déchirure étrangement féconde du rapport moderne au monde. Retiré dans la nuit de son être, dans ce que Georges Bataille nommait « une indifférence suprême », le peintre lave le monde qu’il représente de toute interprétation pathétique. Mais c’est pour le rendre à son étrangeté fascinante, pour ouvrir « sur un état du monde bien plus énigmatique qu’il n’y paraît ».

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Studiolo

Aimer David, ce titre n’est pas pour Alain Jouffroy l’aveu d’une tocade mais l’énoncé d’un programme. Cet essai paru en 1989, pour les 200 ans de la Révolution, s’inscrit dans un plus vaste engagement de l’auteur pour, à l’encontre de la proclamation de la mort du sens sous la «  tyrannie esthético-morale du nihilisme », renouer le fil d’une « nouvelle peinture d’histoire » signifiante dont il voit les continuateurs en certains peintres de la figuration narrative et, en David, le grand initiateur. Il s’agit donc de revenir à ce que fut ce dernier avant de devenir dans notre esprit le peintre des images glacées de nos livres d’histoire : l’homme d’une révolution politique et esthétique. (Préface de Renaud Ego)

Ce palais idéal, ce palais très vaste et rigoureusement inhabitable, ce résumé de toutes choses de l’univers, ce bâtiment longuement, amoureusement enrichi et orné, ce somptueux château sorti d’un songe est bien fait pour accueillir d’autres songes.
Qui d’entre nous, à l’instar de Cheval et de Jules Verne, n’a pas eu la tentation de creuser un souterrain, de bâtir une maison dans un arbre, de clore hermétiquement une cabane, afin de vivre aux lisières du mystère, de l’impossible, en oubliant le quotidien et le social ?

Manet, accoucheur « impersonnel » de l’art moderne ? Paru pour la première fois chez Skira en 1955, ce Manet-là est celui de Georges Bataille – et donc une œuvre en prise directe sur les débats esthétiques de son temps, dont elle parle aussi le langage. C’est ce qui lui confère sa singularité impérissable, ainsi que sa portée historique. (Préface de Michel Surya)

Plus le temps passe, plus s’éloigne cette œuvre qui, ayant suscité le commentaire à l’égale des plus grandes du XXe siècle, a par rapport à elles le désavantage mais aussi la force singulière d’avoir été incarnée par son auteur. « Œuvre-vie », dans les termes de Borer, œuvre faite chair, en actions et en discours, forcément inachevée, interrompue par la mort et appelant par conséquent le thrène, l’hommage, la commémoration, de même qu’elle suscita du vivant de l’artiste la fascination, voire l’idolâtrie.

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Beautés

Dans la dernière édition de L’origine des espèces (1856) Charles Darwin s’interroge sur la nature du sentiment de la beauté. Le temps a passé et la réponse à la question que se posait Darwin semble de plus en plus échapper à la philosophie et à l’esthétique pour devenir l’affaire de l’anthropologie, des naturalistes et de la sociologie. En matière d’art, la fin des prétentions de l’universalisme européen et celles aussi de « l’exception humaine » (J-M. Schaeffer) renouvellent les questions concernant l’origine de nos conduites esthétiques : quand et comment sont-elles apparues ; quels en sont les moteurs ; sont-elles exclusivement humaines… ? Si les pratiques contemporaines depuis une quarantaine d’années ne rejettent plus l’idée de beauté plastique, elles y sont parfois (souvent) indifférentes comme si cette notion qui a longtemps dominé l’art était marginale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Beautés ouvre donc l’enquête en interrogeant artistes et penseurs dans le but de documenter les enjeux.

Depuis deux siècles l’histoire de l’art occupe le passé, elle ordonne les musées, l’enseignement, les discours esthétiques et critiques, établit les hiérarchies, restaure les vérités, les réputations et finit par cautionner les valeurs du marché. Face à l’histoire l’artiste et l’amateur d’art, manquant d’autorité et de statut, sont souvent démunis.

Qu’en est-il aujourd’hui de la distinction entre arts majeurs et arts mineurs ? Une telle hiérarchisation des pratiques artistiques entre high and low a-t-elle encore un sens ou bien doit-on désormais considérer que le temps d’une création libre, sans bornes ni entraves est venu, que l’art est un tout au sein duquel chacun est libre d’aller et de venir comme bon lui semble ?
Derrière cette question qui agite l’art contemporain depuis quelques décades se cachent de nombreux enjeux économiques, sociaux et bien sûr esthétiques qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et se développent tout au long du XXe. L’étude de ces enjeux montre que l’esprit libertaire qui prétend faire tomber les barrières est autant porteur d’émancipation que d’une idéologie libérale.

L’usage actuel du terme de chef-d’œuvre semble paradoxal. On le voit dénié par la réalité de l’art, qui procède d’un travail produisant des pièces par séries ; décrié par l’époque, qui le rejette comme une notion anachronique, sinon antidémocratique ; dévoyé par le marché, où il s’emploie pour désigner celui des travaux d’un artiste qui se vend le plus cher – et néanmoins, il subsiste à l’état de boussole, de nec plus ultra, d’expérience esthétique suprême : jamais les toiles de maîtres n’auront vu défiler autant de spectateurs.
À partir de ce constat, Éric Suchère et Camille Saint-Jacques proposent chacun un essai, sous un titre – Le Chef-d’œuvre inutile – qui se veut moins provocant que problématique. Car s’il s’agit bien ici d’interroger ce qu’on pourrait nommer un déclin du chef-d’œuvre, on ne trouvera en ces pages nulle déploration de principe. Non pas céder, donc, à une dépréciation massive des tendances contemporaines, mais forger les critères qui permettront de les comprendre et d’en apprécier l’opportunité.

Constellations

Ce livre évoque le roman picaresque, il n’y a pas d’autre mot, de La Délirante et de ma vie, c’est tout un, et de l’amitié créatrice qui m’a lié à tant de poètes et de peintres, à Sam Szafran surtout, le temps de cette aventure.
L’escalier de la rue de Seine que je l’avais engagé à dessiner et peindre, avant qu’il s’y mît pour n’en plus sortir, comme du songe d’une ammonite, marqua l’acmé de notre amitié et de son œuvre. J’ai tenté jusqu’au bout de l’arracher à la tentation de l’escalier, mais elle était si forte qu’il resta captif de ses déclinaisons jusqu’à sa mort. [F.E.-E.]

Au milieu des années 1990, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a abandonné l’entreprise familiale de fourrure, pour fonder à Strasbourg une galerie consacrée à ce que Jean Dubuffet appela l’Art Brut. Un retour à ses amours d’adolescence : le monde de l’art et ses sensations fortes, s’impose à lui. Débutant à la manière d’un conte, s’apparentant ensuite, tantôt à un roman d’aventures, tantôt à une enquête, Le Beau, L’Art Brut et le Marchand relate ce périple singulier.

Histoire de l’art

En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…

Photographie

Une femme surgit. Et revient, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, en une suite de dix-sept séquences. 17 secondes, le roman-photo de Marc Blanchet, lie chaque portrait de cette femme à une prose, en une suite numérotée qui interroge le mystère de l’autre autant que l’acte et l’image photographiques. Y a-t-il réellement fiction ? Ne sommes-nous pas plutôt dans un monde d’hypothèses, né de l’envie d’écrire sur l’être aimé, d’en raconter la présence dans le temps — et penser ainsi la photographie à travers une écriture poétique ? 17 secondes se déploie comme un éventail, à même de se refermer pour enclore ses secrets.

And Also The Trees (« et aussi les arbres ») propose une approche photo-textuelle du paysage dans laquelle l’arbre est autant modèle que sentinelle, dans sa propre solitude ou dans une solitude rassemblée : la forêt. Souvent prises dans la vitesse, au crépuscule ou de nuit, ces photographies inscrivent des diffractions où la notion de composition s’avère essentielle. Écritures photographique et littéraire se côtoient ou se disjoignent pour penser le paysage, dans ses mystères, ses ruptures, son opacité — parfois son silence. En miroir d’un essai sur l’acte photographique et la perception de son propre corps lors des prises de vue, l’écrivain-photographe Marc Blanchet, par l’horizontalité du paysage ou la verticalité d’un arbre, nous met face à un univers qui surgit entre soudaineté et disparité, présence et profusion.

Moi je connais mon pays et je le peins. Allez-y voir, vous reconnaîtrez mes tableaux. (Gustave Courbet)
La voiture du paysage : c’est ainsi que Courbet désignait la carriole entraînée par l’âne Gérôme – du nom de son rival bonapartiste de Vesoul – à travers les paysages de son Jura natal. Munis d’une voiture tant soit peu plus puissante, l’écrivain François Laut et le photographe Lin Delpierre ont parcouru les plateaux et vallées de ce qui fut à la fois le terrain de son enfance, son « atelier ouvert » et, étendu à la Suisse, sa terre d’exil.
Aux cinq séries de huit photographies, regard contemporain sur le territoire pictural d’un peintre du XIXe siècle, répondent autant de textes qui élargissent le champ en puisant d’abondance aux écrits et aux peintures de Courbet. Le Jura y agit comme révélateur des nombreuses vies du peintre, des plus éclatantes aux moins connues.

« Le silence nous porte à la contemplation, à l’écoute de l’inouï. S’il me fascine, c’est que je sais qu’il m’attend quelque part. S’il fait mine d’être muet, peut-être nous écoute-t-il ? Il n’est pas le vide, il est plein de lui-même. Il s’écrit par la ponctuation, il bat entre les mots. Constitutif de la musique, il est audible. Il se donne à voir par le dépouillement en peinture ou par les arrêts entre nos gestes. Il doit être photographiable ; certains y sont déjà parvenus. Oui, photographier le silence qui ne réclamerait plus les mots qui m’envahissent et me débordent si souvent. »
Les images rapportées par Patrick Bogner de ses incursions aux abords du cercle arctique, dans les Orcades, les Féroé, à Saint-Kilda, en Islande ou en Norvège, mettent en scène le sublime écrasant de paysages déserts et déchaînés, inhabitables, où l’homme, fatalement de passage, vient rechercher un face-à-face avec des forces qui l’excèdent.
Inspiré par le romantisme primitif du Sturm und Drang, le photographe reprend ainsi l’ambition de Caspar David Friedrich : celle d’une peinture de paysage capable – si tempétueuse, heurtée et accablante qu’elle soit – de susciter la même contemplation que les images sacrées.

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Littératures

Vallées, forêts et monts vosgiens à la lisière de la Lorraine et l’Alsace : Karine Miermont traverse ces lieux depuis une trentaine d’années, travaille à leur protection. Les sensations vécues dans ces espaces, les expériences et surtout le désir, la poussent à raconter les vies de ceux qui y habitent : arbres, herbes, lichens, pierres, eau, animaux, hommes et femmes : « Toutes ces présences qui ouvrent des récits, des histoires ». Par l’observation, l’analyse, de telle source, tel arbre, tel cerf, pourtant familiers, l’auteure s’ouvre à l’étonnement et à la contemplation. Si l’élément naturel sature chaque page de ce récit, ce n’est pas tant pour le décrire, faire état de recherches très précises que pour en relater l’expérience sensible, existentielle, et ainsi la mettre à portée du lecteur.

Obstaculaire. Il fallait bien ce néologisme difficile pour qualifier l’élan violent et contrarié qui enfante ici comme ailleurs la poésie de Cédric Demangeot. Nom, comme « ossuaire », ou adjectif, comme « oraculaire », il nomme avec une sécheresse exacte ce singulier appareillage de la parole dont le moteur est l’empêchement, le mouvement la butée, et qui ne fonctionne qu’en se brisant pour laisser voir sa mécanique détruite.

Drame, comédie, conte, épopée du langage ou satire de l’humanité à travers son langage, Forêt des mots est inclassable mais il n’est certes pas dénué d’échos avec les faits les plus contemporains, les plus universels, dès lors qu’ils impliquent les us et abus de la langue. Comme les voix qui le peuplent, le livre porte catégories, lieux communs et bavardages, belles promesses et nobles mots à la lumière, avant qu’ils s’y dissolvent et retombent dans le magma de la parole.

« Aumaille » viendrait du latin animalia, qui désigne les grands animaux, ceux de la ferme, et renvoie en écho à l’anima, à l’âme. Laumailler c’est en même temps le nom de jeune fille de la grand-mère paysanne, longuement évoquée en ces pages, qui avait charge de l’entretien du cimetière du village. Ne serait-ce donc pas aussi un dérivé de « lamer » : « couvrir d’une pierre tombale » ?
Plein de ces recoupements de la mémoire intime, celle des jours passés à la ferme de ses grands-parents, et de la mémoire collective, transmise dans le parler, les gestes et les choses, le récit de Kristell Loquet ne cherche pas, quant à lui, à sceller le tombeau des défunts proches et à adresser un adieu à un mode de vie en déshérence. S’il les scrute si intensément, ce n’est pas déploration du passé, mais volonté de réincarner cette âme vivace et de la perpétuer à l’avenir.
Tendu entre jadis et demain, l’enfance et l’enfantement, ce récit sans capitales ni points finaux, émaillé des dessins de Daniel Dezeuze, est de fond en comble un récit de transmission.

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Hors collection

La peinture figurative et évanescente de Jérémy Liron se déploie en grande partie par séries, aux noms empreints d’une sourde mélancolie, comme ses Tentatives d’épuisement, ses Images inquiètes, ou ses Absences. Les Archives du désastre, qui comptent aujourd’hui près de 400 pièces de modeste format et auxquelles sont consacrées ce volume, sont l’une d’entre elles. Elles recueillent un ensemble de figures spectrales, dessinées à la craie noire, puis voilées d’une couche de peinture vert de Hoocker. Elles sont les reliques d’un désastre, d’un changement d’astre, qui eut lieu avec la vague d’attentats terroristes durant la dernière décennie. Préface de Lionel Bourg ; entretien avec Anne Favier.

Reproduction en fac-similé d’une série de vingt aquarelles — des couchers de soleil — de l’artiste Ann Loubert, accompagnées de deux poèmes de Jacques Moulin.

(Ouvrage au tirage limité, uniquement vendu auprès de nos éditions.)

Au Pont du Diable est le résultat d’un moment de pause. Pause d’un artiste, venu au bord de l’eau aux heures les plus chaudes de la journée, pour voir les gens s’y prélasser. Alexandre Hollan ne reste pourtant pas inactif. Fusain à la main, il réalise des croquis de ces êtres rassemblés là. Un seul trait, modulé en quelques courbes, suggère les corps, les visages, sans fond ni perspective. Les modèles ne posent pas, ils se laissent saisir par l’œil de l’artiste comme ils sont, sans chercher à paraître. Et de la même façon, pas de pose artistique dans les croquis. Il s’agit simplement de saisir la vie telle qu’elle se donne à voir.

Catalogue de l’exposition des œuvres d’Ann Loubert & Clémentine Margheriti à la Halle Saint-Pierre, à Paris, du 14 octobre au 2 novembre 2014.

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