Deux femmes raconte l’histoire d’une image qui, affleurant à la mémoire de l’artiste, ne cesse en même temps de se diffracter. Le livre de Farhad Ostovani donne à contempler une série réalisée à partir d’une intrigante photographie de sa mère et de sa grand-mère, photographie datant de son enfance iranienne. Retravaillant avec ses outils de peintre un certain nombre de photocopies de cet instantané sans prétention artistique, il en propose des « variations », quasiment musicales, qui approfondissent le mystère de ces deux présences, et de cet instant suspendu, qui semble s’être détaché du cours du temps.
Comme le remarque avec justesse l’écrivain et historien de l’art Alain Madeleine-Perdrillat, « en soumettant l’image première, figée et décevante, à différents traitements possibles, [Farhad Ostovani] la rend à la vie et approfondit le mystère de cet instant suspendu ». Au fil des variations, on est envoûté par un calme étrange, semblable à celui qu’on peut trouver dans les tableaux de James McNeill Whistler ou d’Edward Hopper, calme étrange qui règne dans ce qui ressemble à une chambre, une chambre d’hôtel peut-être, où ces deux figures féminines, dans leurs robes à fleurs, ne se regardent pas et semblent emportées dans une rêverie silencieuse et sans fin.
Que recherche l’artiste, auprès de ces deux femmes, qui semblent à la fois si proches, tant la quotidienneté de la scène nous donne l’impression d’en faire partie, et si lointaines, le passage de la photographie à des photocopies de qualité médiocre donnant le sentiment que quelque chose s’efface ? Peut-être à déjouer une hantise autant qu’à retrouver une présence bienveillante, celle de sa grand-mère, dont il dresse le portrait dans un texte elliptique et délicat : « Quand nous n’arrivions pas à dormir ou que nous faisions de mauvais rêves, nous pouvions aller nous réfugier auprès de grand-mère pour dormir. Elle dormait sur un matelas à même le sol. »
Comme le souligne Jeanne Dorn au cours d’un entretien éclairant qui accompagne cette édition, Deux femmes s’inscrit pleinement dans « l’art de la série » propre à Farhad Ostovani, dont on peut se rappeler que les autres motifs de prédilection sont les montagnes, les raisins, les fleurs, les horizons, un Bacchus dans un parc de Nervi, le jardin d’Alioff. Cet art de la série, on peut le comprendre, précise-t-elle, « comme un renoncement au chef d’œuvre traditionnel au profit d’une patiente approche du réel dans son instabilité toujours fugace et sa signifiance précaire. »
Les auteurs
Farhad Ostovani est né dans le nord de l’Iran, à Lahijan, en 1950. Il commence à peindre à l’âge de douze ans. Il entre en 1970 au département des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran avant d’intégrer l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris cinq ans plus tard, après sa première exposition en 1973 à l’Institut Français de Téhéran.
En 1994, il se lie d’amitié avec Yves Bonnefoy et Bernard Blatter et s’intéresse aux éditions. Il reçoit en 2014 le Grand prix de bibliophilie (prix Jean Lurçat) de l’Académie des Beaux-Arts pour We talked between the rooms, poésie d’Emily Dickinson traduite par Yves Bonnefoy. Son site Internet.
« Et les œuvres de Farhad dans les premiers temps de son travail à Paris sont elles-mêmes la preuve que son regard de peintre n’était alors nullement requis par l’aspect extérieur des choses, couleurs et formes, jeux des couleurs dans les formes, dissolution du souci de l’être dans celui de la composition du tableau, comme ce fut le cas à travers l’histoire de l’Occident chez tant de peintres même paysagistes. Mais ce qu’il faut remarquer aussi, c’est qu’elles montrent que le risque que je disais presque fatal quand on cherche à signifier la présence comme telle existait bien aussi chez ce jeune peintre. » Yves Bonnefoy