En 1874, un groupe de peintres dissidents expose ses œuvres en marge des circuits officiels. Un critique invente par dérision le mot « impressionnisme ». Cet événement est considéré, à juste titre, comme l’une des étapes initiatrices de l’art moderne. Avec ces expositions, l’écosystème de l’art contemporain se met alors en place : recherche du scandale, intervention monopolistique d’un marchand, union opportuniste des plasticiens et des écrivains d’avant-garde.
Cet ouvrage s’appuie sur une documentation de première importance et met en avant propos et témoignages de « premières mains » qui révèlent pour la première fois la stratégie des artistes. Les échos avec notre époque contemporaine sont multiples et pour le moins surprenants…
Cinquante-huit artistes ont participé aux huit expositions qui ont eu lieu entre 1874 et 1886. Parmi les plus connus des impressionnistes, seul Pissarro est présent à la totalité des expositions. Monet n’apparaît qu’à cinq, Renoir et Sisley à la moitié seulement. Manet, Whistler, Van Gogh ou Lautrec, dont les noms sont souvent associés à ce mouvement, n’ont jamais exposé avec les impressionnistes, contrairement à Forain, Seurat, Gauguin ou au symboliste Redon.
L’accent est systématiquement mis sur la rupture picturale que constituent ces expositions. Pourtant, ces expositions présentent un large échantillon de techniques et de supports : estampes, sculptures, projets de céramiques, éventails, dessins… Dans tous ces domaines, les impressionnistes expérimentent et se montrent novateurs. Quelques décennies avant le triomphe de l’Art nouveau, ils gomment les frontières entre beaux-arts et arts décoratifs. Degas sculpteur ouvre la voie à l’hyperréalisme.
Les impressionnistes remettent aussi en question l’organisation du marché de l’art, cherchant à se promouvoir et à vendre directement leurs œuvres. Ils lancent des campagnes de communication agressives, dont les méthodes « de Barnum » étaient jusqu’alors réservées aux spectacles populaires : mâts publicitaires, drapeaux, affiches voyantes… Dans les salles d’exposition, tout est soigneusement organisé, du tissu qui couvre les murs, aux encadrements, sans oublier les banquettes et l’éclairage.
Durand-Ruel, qui s’imposera comme le marchand des impressionnistes, développe, lui aussi, et non sans mal, une stratégie commerciale inédite. Pariant sur l’avenir, il tente de se réserver l’exclusivité de la production de ces artistes. Il part à la conquête d’un marché nord-américain ouvert à de nouvelles formes d’art. Lorsque Durand-Ruel meurt, en 1922, l’impressionnisme est mondialement consacré.
Ces expositions se déroulent alors que la grande déflation frappe le marché de l’art. Les acheteurs devenant rares, les peintres officiels cherchent à éliminer toute concurrence. Ils bénéficient de l’appui d’une presse en pleine expansion. Tous les arguments sont bons pour discréditer les impressionnistes : escrocs, aliénés mentaux, secte... Les rebelles bénéficient du soutien de quelques plumes : Zola, Huysmans, Laforgue, Mallarmé, Fénéon… Mais ces voix n’ont alors que peu ou pas de prestige. Lorsque Zola connaît enfin le succès, il publie L’Œuvre, qui est ressenti par les impressionnistes à la manière d’une trahison.
Plus que les attaques de la presse, ce sont l’opportunisme de certains membres et les rivalités internes qui minent le groupe.
Le scandale a contribué à faire connaître les impressionnistes. De jeunes artistes de formation académique s’approprient leurs recettes. Profitant de cette évolution, Renoir, puis Sisley et Monet rejoignent le très officiel Salon.
Au fil des expositions, deux tendances s’opposent chez les insurgés : volonté de cohérence esthétique d’une part, ouverture à de nouvelles formes d’expression, d’autre part. Caillebotte, qui cherche à muséifier l’impressionnisme, incarne la première tendance. Degas et Pissarro, au contraire, invitent de jeunes artistes dont les expressions et les aspirations sont parfois différentes de celles des impressionnistes. Hétérogène, mais riche d’avenir, l’ultime exposition de 1886 ouvre la voie aux formes nouvelles d’expression (néo-impressionnisme, symbolisme) qui, jusqu’au début du vingtième siècle, se succéderont avec une extrême rapidité.
Aucune étude de ce type sur l’impressionnisme n’avait été réalisé, et ce livre constitue un apport de grande importance pour l’histoire de l’art et de sa médiation à l’aube du modernisme.
Les auteurs
Ingénieur de recherche au service des musées de France, Laurent Manœuvre travaille sur l’impressionnisme et ses origines (Eugène Boudin, Millet, Manet, femmes impressionnistes), la peinture de marines (Louis Garneray, Joseph Vernet) et l’art contemporain.
Responsable de l’informatisation des peintures, dessins, estampes et sculptures des collections publiques françaises à la Direction des musées de France, peintre lui-même, il est l’auteur de plusieurs études, expositions et ouvrages consacrés à Boudin (Petit dictionnaire autobiographique Eugène Boudin, Belin, 2014 ; Boudin : Les plages, éditions des Falaises, 2015 ; etc.) ou à l’impressionnisme (Les Pionnières, éditions des Falaises, 2016 ; Mary Cassatt au cœur de l’impressionnisme, À propos, 2018)
Il a été le commissaire de l’exposition présentée en 2013 à Paris par le musée Jacquemart-André, et co-commissaire scientifique de l’exposition « Eugène Boudin, L’Atelier de la lumière » présentée d’avril à septembre 2016 au Musée d’art moderne André Malraux, dans le cadre du « Festival Normandie Impressionniste ».
Presse
Isabelle Schmitz, Le Figaro hors série l’impressionnisme
Didier Smal, La cause littéraire